Obligation de sécurité, harcèlement, discrimination : gravitation entre univers parallèles

MANAGEMENT RH / QVT || RPS / Incivilité / Santé mentale
/
27/11/2020 - Sébastien MILLET

Innombrables sont les situations dans lesquelles la dégradation des conditions de travail d’un collaborateur peut entraîner une atteinte à sa santé et déboucher sur une mise en cause de la responsabilité de l’employeur.


Les notions de manquement à l’obligation de sécurité, de harcèlement (moral ou sexuel) et de discrimination en raison de l’état de santé sont autant de vases communicants susceptibles d’alimenter le contentieux, notamment prud’homal.
Prenons quelques exemples récents en jurisprudence :

  • Un licenciement pour insuffisance professionnelle directement consécutif à une alerte du salarié concernant ses difficultés au travail et ses arrêts maladie pour burn out peut laisser supposer l’existence d’une discrimination à raison de son état de santé, le risque étant alors la nullité du licenciement prononcé (cf. Cass. Soc. 5 février 2020, n° 1822399).

    Typiquement, le spectre du manquement à l’obligation de sécurité est bien présent en arrière-plan.

  • L’absence de harcèlement (moral ou sexuel) n’exonère pas en soi l’employeur au regard de son obligation de sécurité à partir du moment où il n’a pas diligenté d’enquête interne suite à la plainte du ou de la salariée.

    Il n’y a pas d’automaticité pour la jurisprudence, qui considère que « l'obligation de prévention des risques professionnels (…), est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral (…) et ne se confond pas avec elle » (Cass. Soc. 8 juillet 2020, n° 18-24320 ; Cass. Soc. 27 novembre 2019, 18-10551).

    Dit autrement, la juridiction saisie du litige ne peut écarter la demande de dommages-intérêts du salarié pour manquement à l’obligation de sécurité du seul motif qu’il ne justifie pas d’éléments, qui, pris dans leur ensemble, permettraient de présumer l’existence d’un harcèlement.

  • Le fait de confier au salarié des tâches dépassant ses capacités physiques eu égard à son état de santé, de manière habituelle et non-conforme aux prescriptions du médecin du travail, compromettant son état de santé laisse supposer l’existence d’un harcèlement moral (Cass. Soc. 4 novembre 2020, n° 19-11626).

    Faute de preuve par l'employeur d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, celui-ci peut être condamné à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice spécifique et distinct lié au harcèlement moral, en l’occurrence indépendamment de la nullité du licenciement prononcé pour faute grave, à la fois pour discrimination en raison de l’état de santé et pour harcèlement moral.

  • La frontière entre ces différentes qualifications (manquement à l’obligation de sécurité, harcèlement, discrimination), est donc très poreuse : l’un peut conduire à l’autre ou venir l’alimenter, tandis que l’absence de l’un n’exclut pas la reconnaissance de l’autre …

    Autant dire que les entreprises doivent se montrer très vigilantes et diligentes dans la gestion managériale, particulièrement en cas de relation de travail dégradée.

Rappelons ici la règle d’or pour l’employeur, à savoir être en mesure de justifier :

  • D’avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail, et plus particulièrement, en cas de harcèlement, d’avoir, dès l’alerte, pris les mesures immédiates propres à le faire cesser (cf. Cass. Soc. 1er juin 2016, n° 14-19702) ;

  • D’avoir pris des mesures ou décisions de bonne foi, justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ou toute discrimination (directe ou indirecte).