Pour une classification du caractère cancérogène des travaux exposant aux fumées de soudage ou aux fumées métalliques de procédés connexes

Travaux exposant aux fumées de soudage ou aux fumées métalliques
Publi-rédac
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23/08/2022

Sandrine Charles
Chef de projets, coordinateur d’expertise scientifique, à l’unité Reach-CLP-PE

 


Contexte et enjeux

De nombreux professionnels appartenant à des secteurs d’activités variés (construction, fabrication et réparation de machines, équipements, véhicules, métallurgie, etc.) sont amenés à mettre en œuvre des procédés de soudage. Ainsi, en France, il s’agit de plus de 500 000 salariés, soit 2,1% des salariés français, exposés aux fumées de soudage d’éléments métalliques (SUMER, 2017). Néanmoins, ce nombre est probablement sous-estimé, certains professionnels étant amenés à réaliser du soudage sans que cela soit leur activité principale et ne sont donc pas comptabilisés dans les professionnels exposés. Par ailleurs, différents corps de métiers peuvent être exposés à des fumées de soudage de façon indirecte ou passive, de par leur présence à proximité de personnes effectuant des opérations de soudage.

Le soudage consiste à assembler deux pièces métalliques par fusion de leurs bords avec un cordon de soudure. Il est à distinguer d’autres techniques d’assemblage telles que le collage ou l’assemblage mécanique. Parmi les nombreuses techniques pouvant être mises en place et définies dans la norme NF EN ISO 4063, l’assemblage à chaud, est la technique la plus répandue. En particulier, le procédé MIG-MAG semble être en 2021 celui le plus utilisé en France, suivi de près par le procédé TIG et le procédé avec électrode enrobée. Les procédés sous flux en poudre (plutôt en chaudronnerie) et le soudage par résistance par points semblent être également régulièrement mis en œuvre en France mais de façon moins importante. La diversité des procédés de soudage est un élément important à considérer car il est rare qu’un soudeur mette en œuvre une seule technique de soudage durant sa carrière professionnelle.

procédés de soudage et techniques connexes

Figure 1 : procédés de soudage et techniques connexes

Du fait des hautes températures nécessaires à la fusion du métal à souder, les techniques de soudage vont générer des fumées composées d’une phase gazeuse (différents gaz tels que les oxydes d’azote, le monoxyde et le dioxyde de carbone, le fluorure d’hydrogène, l’ozone…) et d’une phase particulaire composée principalement de métaux et d’oxydes de métaux ainsi que de silicates et de fluorures. La composition des fumées et leur quantité dégagée peuvent différer d’un procédé à l’autre. Néanmoins, un certain nombre de leurs composants sont classés comme des agents cancérogènes avérés (catégorie 1A) ou présumés (catégorie 1B) par le règlement CLP1 . C’est en particulier le cas de certaines formes ou composés d’arsenic, du béryllium, du cadmium, du chrome (VI), du cobalt, du plomb, du nickel.

Des techniques connexes, dont le brasage fort, mais également le coupage, le gougeage, la projection thermique, etc, sont également émissives de fumées composées de particules métalliques similaires à celles issues des procédés de soudage.

En 2017, le Centre International de recherche sur le cancer (CIRC) a classé les travaux exposant aux fumées de soudage comme des cancérogènes chez l’Homme (groupe 1). Cette conclusion se base sur des preuves suffisantes de cancérogénicité chez l’Homme (preuves suffisantes pour les cancers du poumon et preuves limitées pour les cancers du rein) et de preuves de cancérogénicité limitées chez l’animal (fumées de soudage d’acier inoxydable) (Guha et al. 2017).

Cette évaluation conjuguée avec une forte occurrence en milieu professionnel démontre une forte suspicion du caractère cancérogène de ces expositions sans qu’il n’existe actuellement de cadre réglementaire clair pour le définir. C’est dans ce contexte que la Direction générale du travail (DGT) a saisi l’Anses le 17 novembre 2017 afin d’apporter un avis sur l’inclusion des travaux exposant aux fumées de soudage dans l’arrêté fixant la liste des substances, mélanges et procédés cancérogènes au sens du code du travail 2 . L’expertise de l’Anses s’inscrit dans un cycle de travaux en santé travail relatif à l’identification de procédés cancérogènes à inscrire dans la réglementation française et/ou européenne pour la protection des travailleurs. L’objectif final de ces travaux est de maîtriser les risques professionnels associés à la mise en œuvre de ces procédés afin de prévenir les effets mutagènes ou cancérogènes.

Périmètre de l’expertise menée par l’Anses

Ont été considérés dans le champ d’expertise, uniquement les procédés de soudage définis dans la norme NF EN ISO 4063 de février 2011 ainsi que les techniques connexes (telles que le brasage, le coupage, le gougeage3 , la projection thermique, le rechargement) émettant des fumées métalliques.

Ainsi, le soudage, le brasage ou autres opérations sur des matières plastiques n’ont pas été traités dans cette expertise. De plus, l’activité de soudage implique un certain nombre de co-exposition (rayonnements ionisants et non-ionisants, solvants organiques, huiles et graisses minérales, produits de dégradation thermique, etc.) pouvant être à l’origine de cancers. L’impact sanitaire de ces co-expositions n’a pas été évalué dans le cadre de ces travaux. Enfin, compte-tenu des faibles températures atteintes se situant habituellement entre 180°C et 250°C, les fumées dégagées lors d’activité de brasage tendre sur pièces métalliques sont jugées très pauvres en composés particulaires métalliques. Le brasage tendre n’est donc pas considéré comme émettant des fumées similaires à celles générées lors des travaux de soudage.

Méthodologie et analyse du caractère cancérogène

Extraction de bases de données en pathologies professionnelles
A partir des données du réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) et des données de reconnaissance en maladie professionnelle hors tableau des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), les cancers bronchopulmonaires, les cancers urothéliaux, les cancers du rein et les cancers des voies aérodigestives supérieures sont les plus fréquemment retrouvés chez les soudeurs. Cette analyse reflète également la notoriété de l’association entre ces types de cancers et les activités de soudage.

Classification existante des fumées de soudage
Pour pouvoir être inclus dans l’arrêté fixant la liste des substances, mélanges ou procédés cancérogènes, une substance, un mélange ou un procédé doit répondre aux critères de classification des agents cancérogènes 1A et 1B définis dans le règlement CLP ou à des critères pouvant être jugés équivalents à ces derniers.
Contrairement au règlement CLP qui ne s’applique qu’aux substances et mélanges, le CIRC est un organisme s’intéressant également aux procédés et pour lequel les critères de classification sont jugés en accord avec ceux définis par le règlement CLP. En 2018, le CIRC a classé les fumées de soudage dans le groupe 1 (cancérogène pour l’Homme) (Iarc 2018), dont les critères sont jugés équivalents à une catégorie 1A du règlement CLP (Farion 2019).

Mise à jour de la littérature pour l’identification des organes cibles de la cancérogénicité
Depuis la dernière monographie du CIRC, sont parues dans la littérature épidémiologique, 9 nouvelles publications relatives aux fumées de soudage : une méta-analyse (Honaryar et al. 2019), une étude de cohorte (Michalek, Martinsen, Weiderpass, Kjaerheim, et al. 2019) et sept études cas-témoins (Barul et al. 2020, Chen et al. 2021, d'Errico et al. 2020, Michalek, Martinsen, Weiderpass, Hansen, et al. 2019, Parent et al. 2017, Pesch et al. 2019, Talibov et al. 2019).
L’analyse des résultats de ces études, menée par l’Anses, montre qu’ils sont globalement cohérents avec ceux des études analysées dans la monographie du CIRC et confirment le caractère cancérogène des fumées de soudage, en particulier pour les cancers du poumon (Guha et al. 2017; Honaryar et al. 2019; Pesch et al. 2019) et dans une moindre mesure les cancers du rein (Guha et al. 2017; Michalek, Martinsen, Weiderpass, Hansen, et al. 2019). Les études postérieures permettent en plus de conclure à des preuves suffisantes pour le cancer du larynx et à des preuves limitées pour les cancers de la cavité buccale et naso-sinusiens (Barul et al. 2020 ; d'Errico et al. 2020).

Lien causal entre l’exposition aux fumées de soudage et cancérogénèse

Figure 2 : Lien causal entre l’exposition aux fumées de soudage et cancérogénèse

La majorité des études ne rapportant pas de détails sur la technique de soudage ou technique connexe mise en œuvre, il n’a pas été possible d’imputer spécifiquement l’apparition de cancer à un type de procédé particulier, aux types de métaux soudés ou à la méthode de traitement de la surface à souder mise en œuvre. Il est donc recommandé de mieux préciser ces éléments lors de la conduite de nouvelles études épidémiologiques sur le sujet.

Vers un renforcement de l’encadrement des expositions aux fumées de soudage en France et en Europe
L’application de cette méthodologie conduit l’Anses à re­commander d’ajouter, à l’arrêté français fixant la liste des procédés cancérogènes, les travaux exposant aux fumées de soudage ou aux fumées métalliques de procédés connexes notamment le brasage fort, le gougeage, l’oxycoupage, la projection thermique, le rechargement. Cet intitulé permet de protéger les professionnels exposés de façon directe ou indirecte aux fumées métalliques qu’elles soient issues de procédés de soudage mais également de procédés connexes dont la composition en agents cancérogènes s’avère similaire à celle des fumées de soudage.
Cette inclusion à l’arrêté doit être associée à d’autres mesures de prévention des risques visant à informer et former le personnel exposé et les employeurs au risque cancérogènes lié à des expositions directe et indirecte aux fumées de soudage ou aux fumées métalliques des procédés connexes listés. Ceci afin d’inciter à l’emploi de procédés les moins émissifs et à l’utilisation de protections collectives et individuelles.
L’arrêté étant en grande partie une transposition de la Directive 2004/37/UE relative à la protection des travailleurs contre les risques liés aux cancérogènes ou mutagènes, il est recommandé que cette position soit portée au niveau européen à des fins d’harmonisation de la règlementation sur la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents cancérogènes ou mutagènes au travail.  

Références :

  • Anses. Avis et rapport d’expertise relative aux travaux exposant aux fumées de soudage. Février 2022.
  • Barul, Christine, Mireille Matrat, Aviane Auguste, Julien Dugas, Loredana Radoï, Gwenn Menvielle, Joëlle Févotte, Anne-Valérie Guizard, Isabelle Stücker, et  Danièle Luce. 2020. "Welding and the risk of head and neck cancer: the ICARE study."  Occup Environ Med 77:oemed-2019. doi: 10.1136/oemed-2019-106080.
  • Chen, Y., E. T. Chang, Q. Liu, Y. Cai, Z. Zhang, G. Chen, Q. H. Huang, S. H. Xie, S. M. Cao, W. H. Jia, Y. Zheng, Y. Li, L. Lin, I. Ernberg, D. Wang, W. Chen, R. Feng, G. Huang, Y. X. Zeng, H. O. Adami, et  W. Ye. 2021. "Occupational exposures and risk of nasopharyngeal carcinoma in a high-risk area: A population-based case-control study."  Cancer 127 (15):2724-2735. doi: 10.1002/cncr.33536.
  • d'Errico, A., J. Zajacova, A. Cacciatore, S. Alfonzo, F. Beatrice, F. Ricceri, et  G. Valente. 2020. "Exposure to occupational hazards and risk of sinonasal epithelial cancer: results from an extended Italian case-control study."  Occup Environ Med. doi: 10.1136/oemed-2020-106738.
  • Farion, Nicolas. 2019. "Thèse d'exercice pour l'obtention du Diplôme d'État de Docteur en Pharmacie – comparaison des systèmes de classification des agents cancérogènes causes de divergences et proposition d’équivalences.
  • Guha, N., D. Loomis, K. Z. Guyton, Y. Grosse, F. El Ghissassi, V. Bouvard, L. Benbrahim-Tallaa, N. Vilahur, K. Muller, et  K. Straif. 2017. "Carcinogenicity of welding, molybdenum trioxide, and indium tin oxide."  Lancet Oncol 18 (5):581-582. doi: 10.1016/s1470-2045(17)30255-3.
  • Honaryar, M. K., R. M. Lunn, D. Luce, W. Ahrens, A. t Mannetje, J. Hansen, L. Bouaoun, D. Loomis, G. Byrnes, N. Vilahur, L. Stayner, et  N. Guha. 2019. "Welding fumes and lung cancer: a meta-analysis of case-control and cohort studies."  Occup Environ Med 76 (6):422-431. doi: 10.1136/oemed-2018-105447.
  • Iarc. 2018. "Welding, Molybdenum trioxide, and indium tin oxide - Volume 118." Lyon: IARC. 320p.
  • Matinet, B., E. Rosankis, et  M. Léonard. 2020. "Enquête SUMER 2017 : Les expositions aux risques professionnels - Les produits chimiques." : DARES. 323.
  • Michalek, I. M., J. I. Martinsen, E. Weiderpass, J. Hansen, P. Sparen, L. Tryggvadottir, et  E. Pukkala. 2019. "Heavy metals, welding fumes, and other occupational exposures, and the risk of kidney cancer: A population-based nested case-control study in three Nordic countries."  Environ Res 173:117-123. doi: 10.1016/j.envres.2019.03.023.
  • Michalek, I. M., J. I. Martinsen, E. Weiderpass, K. Kjaerheim, E. Lynge, P. Sparen, L. Tryggvadottir, et  E. Pukkala. 2019. "Occupation and risk of cancer of the renal pelvis in Nordic countries."  BJU Int 123 (2):233-238. doi: 10.1111/bju.14533.
  • Parent, M. E., M. C. Turner, J. Lavoué, H. Richard, J. Figuerola, L. Kincl, L. Richardson, G. Benke, M. Blettner, S. Fleming, M. Hours, D. Krewski, D. McLean, S. Sadetzki, K. Schlaefer, B. Schlehofer, J. Schüz, J. Siemiatycki, M. van Tongeren, et  E. Cardis. 2017. "Lifetime occupational exposure to metals and welding fumes, and risk of glioma: a 7-country population-based case-control study."  Environ Health 16 (1):90. doi: 10.1186/s12940-017-0300-y.
  • Pesch, B., B. Kendzia, H. Pohlabeln, W. Ahrens, H. E. Wichmann, J. Siemiatycki, D. Taeger, W. Zschiesche, T. Behrens, K. H. Jöckel, et  T. Brüning. 2019. "Exposure to Welding Fumes, Hexavalent Chromium, or Nickel and Risk of Lung Cancer."  Am J Epidemiol 188 (11):1984-1993. doi: 10.1093/aje/kwz187.

1 Règlement n°1272/2008 relatif à la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances et des mélanges

2 Il s’agit de l’arrêté du 03 mai 2021 modifiant l’arrêté du 26 octobre 2020

3 Dans ces travaux, il n’est question que du gougeage thermique (et pas du gougeage mécanique).