Maître Vincent Luchez - : Les acheteurs publics sont insuffisamment formés à l'achat de sécurité privée

Les acheteurs publics sont insuffisamment formés à l'achat de sécurité privée

SECURITE DES LIEUX DE TRAVAIL || Gardiennage - Télésurveillance
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04/05/2016
Maître Vincent Luchez -
Maître Vincent Luchez
avocat

Maître Vincent Luchez est avocat expert en droit public et marchés publics. Membre du CJCS (Club des Jeunes Cadres en Sûreté), il milite pour que les entreprises de sécurité privée se saisissent du levier des recours contentieux applicables aux marchés publics, afin d’assainir les pratiques d’achat et participer à la professionnalisation du secteur.
Explications

En quoi les marchés publics sont-ils un problème pour les entreprises de sécurité privée ?
Les marchés publics occupent une place essentielle dans le carnet de commande des sociétés de sécurité privée. Or, trop souvent, ces entreprises se plaignent de voir les marchés publics se conclure à des prix trop bas, avec des professionnels qui ne respectent pas forcément tous les engagements nécessaires.
La situation est aujourd'hui paradoxale, avec d'un côté, des autorités publiques qui affirment vouloir aider le secteur à se professionnaliser et à adopter des pratiques plus transparentes et plus éthiques, et de l'autre, des acheteurs publics qui, sur le terrain, continuent à favoriser la pratique du moins-disant.
Il est nécessaire d'engager un véritable travail de formation des acheteurs publics et même une révolution mentale, pour qu'ils comprennent que toutes les offres ne sont pas interchangeables et qu’une bonne prestation de sécurité ne consiste pas seulement à fournir indifféremment du temps de présence. Les acheteurs doivent être capables de prendre des décisions fondées sur d'autres critères que le seul prix. Ce problème n’est pas propre à la sécurité privée, mais il y est particulièrement aigu et concourt à maintenir le secteur dans ses travers structurels (droit du travail ignoré, sous-traitance non maîtrisée, etc.), au moins pour une partie du marché.

Pourquoi les acheteurs publics ne sont-ils pas plus attentifs à la qualité des offres qu'ils analysent ?
Il y a plusieurs raisons. C'est très compliqué de bien acheter de la sécurité privée. Bien souvent, l'acheteur ne sait pas définir puis évaluer une bonne offre : entre un agent de sécurité de la société X et un agent de sécurité de la société Y, comment faire la différence, comment distinguer la valeur ajoutée d’une entreprise plutôt qu’une autre? Et puis le critère prix offre l'avantage de n'offrir aucune possibilité de contestation. Dans un contexte de contraction des budgets, il est plus facile de défendre le choix du moins-disant.
Les entreprises de sécurité privée ont aussi leur part de responsabilité : nombre d’entre elles ne savent pas ou ne cherchent pas à valoriser leur prestation. Elles pourraient par exemple promouvoir les efforts entrepris en matière de recrutement, de formation et de fidélisation de leurs effectifs. La formation est encore trop souvent perçue comme une obligation administrative alors qu’elle devrait être un argument de vente. La fixité et l’ancienneté du personnel devraient rassurer l’acheteur sur le climat social dans l’entreprise, l’efficacité d’équipes particulièrement rodées et l’honnêteté d’agents  bien connus de leurs patrons. Dans un secteur où règnent la rotation des effectifs et la sous-traitance, ce ne sont pas des arguments indifférents.

Quelles sont les solutions pour faire évoluer les achats publics ?
Il y a plusieurs voies possibles pour améliorer les comportements d'achats. La première, c'est la méthode douce, par la pédagogie. Cela passe effectivement par le discours commercial et la formalisation des offres et candidatures des entreprises de sécurité privée, mais aussi par d'autres initiatives prises par les organisations professionnelles ou les pouvoirs publics, comme la Charte de bonnes pratiques d'achat de prestations de sécurité privée, par exemple. La deuxième viendra des mutations des entreprises, par la consolidation du marché, la réduction du nombre des TPE, l’introduction et le développement de la technologie à des prix acceptables, l’arrivée de nouveaux intervenants dans le sillage de l’uberisation, un changement de la perception du coût – humain, financier et d’image – d’un dispositif sécuritaire défaillant ou médiocre. La troisième c'est d'attaquer en justice les décisions d’attributions de marchés publics. Il existe aujourd'hui des procédures contentieuses rapides, comme le référé précontractuel, qui permettent de poser les bonnes questions : toutes les règles de mise en concurrence ont-elles bien été respectées ? Les prix des offres ne sont ils pas anormalement bas ?  Plus ce type de procédure se multipliera, plus la jurisprudence contribuera à « éduquer » les intervenants du marché de la sécurité privée, comme cela a été dans le cas dans d’autres domaines.

Pour terminer, présentez-nous en quelques mots le Club des Jeunes Cadres en Sûreté ?
Le club s'inscrit complètement dans la dynamique d'évolution et de professionnalisation du secteur de la sécurité à laquelle on assiste depuis plusieurs années, notamment avec la création du CNAPS ou la promotion croissante de la coproduction de sécurité publique-privée.
Le CJCS a vocation à accompagner et promouvoir une nouvelle génération de cadres qui occupent des postes à responsabilité dans le secteur de la sécurité. Nous souhaitons aller également de plus en plus à la rencontre du public étudiant ou du monde des ressources humaines pour leur faire découvrir les opportunités de cette filière en plein développement et l’intérêt de disposer de véritables techniciens de la matière.

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