L’intérêt de parler du handicap en entreprise

MANAGEMENT RH / QVT || Accessibilté / handicap
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03/04/2024

Parler du handicap avec un candidat ou un salarié est souvent délicat pour l’employeur. Sujet à la fois très personnel et largement répandu dans la société, il cristallise les difficultés rencontrées en matière d’inclusion et de diversité au sein de l’entreprise. Pourtant, l’entreprise et la personne en situation de handicap ont tout intérêt à en parler ensemble. 


En 2024, le handicap est (toujours) le premier motif de discriminations, devant l'origine et l'état de santé. Un obstacle majeur dans l’accès à l’emploi des 12 millions de Français concernés, bien davantage impactés que la population générale (taux de chômage de 12% contre 7,3%, étude Dares, 19 octobre 2023). Le caractère personnel du handicap combiné à l’invisibilité des handicaps (80%) et à leur critère discriminant, nourrissent les difficultés de communiquer entre les PME et les personnes en situation de handicap. 

85 % des handicaps apparaissent au cours de la vie. L’entreprise ne peut pas échapper aux épreuves de son personnel. Le handicap fait partie de nos vies, qu’on le veuille ou non ! Pourtant, la loi n’oblige pas à signaler à l’employeur le statut de travailleur handicapé (RQTH, invalidité). Lors de l’entretien d’embauche, le candidat TH doit pouvoir assumer ses qualités, ses limites, ses besoins spécifiques en lien avec les exigences du poste brigué. C’est un positionnement fondamentalement personnel. Si la visite médicale d’embauche peut établir un avis d’aptitude avec des restrictions, la communication de la situation participe à instaurer une relation de confiance avant de s’engager pleinement dans le projet professionnel.

De son côté, l’employeur n’a pas le droit d’aborder directement le handicap (excepté si le statut est annoncé), sous peine de s’exposer à une plainte. Lors des rendez-vous conseils réalisés avec l’AGEFIPH auprès des PME assujetties à l’obligation d’emploi handicap (ndlr : l’OETH impose aux entreprises de 20 salariés et plus d’employer 6% de travailleurs handicapés dans leur effectif), nous conseillons régulièrement aux dirigeants de ne pas parler frontalement du handicap, au risque de se mettre en difficulté ou en tous cas, dans l’inconfort relationnel. Adopter le langage entrepreneurial et s’appuyer sur les thèmes de santé au travail, de sécurité ou de prévention des risques est plus approprié au fonctionnement de l’entreprise, notamment pour susciter l’intérêt et amener le salarié à faire savoir sa situation, son statut.

Au sein de l’entreprise, la situation est sensiblement différente. L’obligation d’emploi des 6% de travailleurs handicapés a été instaurée par la loi votée en 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées de 2005. Cette obligation légale incite les PME à mettre en œuvre une démarche d’emploi handicap en faveur des bénéficiaires OETH ; d’un autre côté, elle peut les contraindre à réagir pour éviter la pénalité financière. Cette dernière, souvent perçue comme une taxe supplémentaire qui s’ajoute aux nombreux autres prélèvements obligatoires, se calcule en multipliant 400 à 600 fois le SMIC horaire selon l’effectif, voire s’élever à 1500 en cas de sur-contribution (si inaction constatée sur 5 années continues). Ce coût plus ou moins élevé, pousse souvent les entreprises à se préoccuper davantage de cette question. En effet, l’entreprise répond à ses besoins en main d’œuvre en recrutant des compétences, et non un statut particulier, assez contre-nature pour les patrons. 

Le levier d’action n’est pas forcément que dans le quota. L’employeur a l’obligation plus étendue de veiller à la santé et à la sécurité des travailleurs par le biais d’actions de prévention, d’information et de formation. Les risques professionnels doivent être évalués sur chaque poste et consignés dans le DUERP (document unique d'évaluation des risques professionnels). Ce point de vue peut constituer un premier point d’entrée du sujet pour initier le dialogue en interne (affiche, plaquette, intranet, réseaux sociaux…). Si la gestion des urgences ne se prête pas toujours à la communication dans les PME, l’écoute, l’empathie, la compréhension constituent un terreau fertile pour amener progressivement les salariés concernés à partager leur état de santé à un référent bien identifié en interne. Acteurs centraux, les services de santé et de prévention au travail doivent également être consultés pour anticiper les situations négatives (arrêt de travail/maladies professionnelles > inaptitudes > licenciements) et contribuer autant que possible au maintien dans l’emploi.

De son côté, le salarié ne saisit pas toujours l’intérêt de faire savoir ses difficultés, ni de faire reconnaître et/ou savoir sa qualité de travailleur handicapé (RQTH). Un climat de travail tendu est moins propice à dire ses vulnérabilités. Le silence peut engendrer des mauvais jugements du collectif de travail qui peut juger à tort, s’il ne connait pas la situation. Cela peut aussi créer un climat nocif où la jalousie peut se mêler aux préjugés et aux mauvaises impressions si ses collègues bénéficient d’un équipement différent, moins bien en apparence.

Pourtant, la communication est incontournable pour gérer correctement les besoins et aménagements spécifiques, ou même éviter toute aggravation de santé en situation de travail. Par peur du licenciement, le salarié se mure dans le silence et endure, souffre jusqu’à l’arrêt de travail. Il est souvent déjà trop tard quand l’inaptitude est déclarée par la médecine du travail. Communiquer son état de santé, ses besoins spécifiques permet à son employeur de mieux comprendre la situation et d’envisager les solutions d’adaptation ou d’aménagement pour le maintenir dans son emploi, en s’appuyant sur les services de Cap emploi, l’AGEFIPH et/ou la Médecine du travail. En période de tension de recrutement, les PME ont intérêt à préserver leurs bons éléments, marque employeur oblige.

« La différence se cache dans l’œil de celui qui regarde ». L’avocate et conférencière Virginie Delalande milite pour une communication d’ouverture, bienveillante et respectueuse. Condition sine qua non à l’intégration, au suivi de l’état de santé des salariés au sein de l’entreprise. Si à première vue la prévention représente un coût, il s’apparente bien paradoxalement à un investissement bénéfique à terme. Un placement à intérêt partagé pour la stabilité et l’attractivité, le climat et le dialogue social et par ricochet le fonctionnement harmonieux de l’entreprise.

 

Yann KAPPES
Chargé de mission handicap CPME Auvergne Rhône Alpes