Karine Briard - DARES : Conditions de travail : les inégalités de genre à la loupe

Conditions de travail : les inégalités de genre à la loupe

MANAGEMENT RH / QVT ||
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27/04/2022
Karine Briard  - DARES
Karine Briard
Économiste statisticienne, spécialiste des questions d’égalité femmes-hommes.
DARES

Dans sa publication, présentée en mars dernier, « Métiers « de femmes », métiers « d’hommes » : en quoi les conditions de travail des femmes et des hommes diffèrent-elles ? », la DARES dresse un bilan inédit des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes en matière de conditions de travail. Son autrice revient sur les grands constats tirés de cette étude.

Qu’est-ce qui a poussé la DARES à conduire cette étude ? Quels étaient les constats préliminaires ?
Il existe beaucoup de travaux, notamment sociologiques, qui mettent en évidence des différences dans les conditions de travail entre les femmes et les hommes. Néanmoins, sur ces questions-là, il manquait une évaluation quantitative avec un panorama complet et une vision globale de ces inégalités. Beaucoup d’études portent sur un métier, ou un secteur spécifique. Ici, nous nous sommes intéressés à cette question des conditions de travail en exploitant l’enquête « Conditions de travail » de la Dares, qui est extrêmement riche. J’ai distingué 88 métiers et retenu 74 items de conditions de travail qui recouvrent plusieurs aspects de la pénibilité, ainsi qu’une gamme étendue de facteurs de RPS, telles que les contraintes d’organisation du travail, les exigences émotionnelles, le soutien social, le manque d’autonomie…

L’idée était d’avoir une vision la plus globale possible, avec une certaine neutralité dans le constat pour faire un diagnostic quantifié, afin de savoir véritablement où situer les inégalités de conditions de travail entre les femmes et les hommes.


Quelles sont les grandes tendances observées ?
Ce qui ressort très clairement, c’est que les hommes – quels que soient les grands groupes de métiers auxquels ils appartiennent – sont davantage exposés aux risques physiques, alors que les femmes sont, elles, plus exposées aux différents facteurs de RPS. Il y a tout d’abord une « ségrégation professionnelle », selon la nature de l’activité. Ainsi, dans les métiers « physiques », on retrouve essentiellement des hommes. Et dans les métiers davantage exposés aux RPS, on retrouve surtout des femmes. Cependant, au sein même des métiers, les femmes et les hommes sont aussi exposés à des conditions de travail différentes.

Pour mener cette étude, j’ai essayé de répartir les métiers selon leur prédominance sexuée, ce qui a amené à constituer cinq groupes. Tout d’abord, deux grands groupes de métiers masculinisés, avec un premier principalement constitué de métiers d’ouvriers très exposés à la pénibilité physique avec peu d’autonomie, et un autre groupe où, à l’inverse, les salariés sont peu exposés à ces facteurs de risques. Au sein des métiers féminisés, on peut aussi distinguer deux groupes : les métiers « de bureau » et les métiers de service. Les salariés des métiers de bureau sont relativement épargnés à des conditions de travail difficiles, alors que ceux des métiers de service sont plus exposés que la moyenne à tous les risques. Enfin, il y a un dernier groupe, composé de métiers mixtes. Ici, on va retrouver des salariés plutôt épargnés par les risques physiques, modérément exposés aux risques en général, avec un peu plus d’autonomie que les autres salariés en moyenne.

La pénibilité, le manque d’autonomie et les exigences émotionnelles apparaissent comme les trois facteurs de risques qui différencient le plus les métiers.

Est-il possible d’en dégager des pistes d’évolution ?
Cette étude est un premier panorama, donc il n’y a pas réellement de point de comparaison. Elle a permis de quantifier des faits dont on avait connaissance, mais qui n’étaient pas clairement mesurés. En particulier, lorsqu’on compare les hommes aux femmes, il faut bien avoir en tête que les durées de travail ne sont pas les mêmes, les femmes occupant bien plus souvent que les hommes des emplois à temps partiel. Et il apparait que, à temps de travail identique, les femmes restent plus exposées aux RPS que les hommes. Ce qui est ressorti aussi, et qui peut paraître étonnant, c’est que dans les métiers féminisés de bureau, où plus de 80% des salariés sont des femmes, ce sont les hommes qui sont les plus exposés à tous les types de risque.

Nous pouvons évidemment nous interroger sur les facteurs de ces disparités, d’autant que certaines caractéristiques des postes occupés ne peuvent être identifiées dans les données de l’enquête. En tout état de cause, les résultats interrogent sur la rémunération associée aux métiers. Quand le salaire est la réponse au travail prescrit, il n’inclut pas toutes les activités invisibles liées pourtant au fait de pouvoir bien effectuer son travail. Typiquement, une aide-soignante ne fait pas seulement ce qui est inscrit sur sa fiche de poste ; elle prend parfois plus de temps pour écouter et rassurer le patient, etc. Et c’est du temps et une charge émotionnelle qui peuvent ne pas être comptabilisés et justement rémunérés.

De manière générale, je m’attendais à certains résultats, mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils apparaissent aussi clairement.