Enquêtes RPS et harcèlement : sécuriser la démarche

MANAGEMENT RH / QVT || RPS / Incivilité / Santé mentale
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30/04/2021 - Sébastien MILLET

Dans le domaine de la prévention des risques professionnels et de la protection de la santé au travail, notamment de la santé psychique et mentale, la pratique des enquêtes se développe au sein des entreprises.


Cette pratique est assez peu réglementée par les textes, ce qui offre une grande latitude d'appréciation sur l'opportunité d’y recourir.

Plusieurs types d'enquêtes existent :

  • Celles intervenant à l'initiative de l'employeur dans le cadre de ses prérogatives de direction de l'entreprise, le plus généralement suite à la révélation d'incidents.

    Les diligences imposées par l'obligation de sécurité peuvent ainsi conduire à mettre en œuvre des enquêtes RPS (notamment pour les besoins de l'évaluation des risques), ou dans d'autres cas à constituer une cellule psychologique d'écoute.

    Le plus souvent il s'agira d'enquêtes à caractère disciplinaire visant à faire la lumière sur des agissements illicites, tel que harcèlements, agissements sexistes, violence au travail, manquements à l'éthique (corruption, etc.), et plus généralement fautes professionnelles de toute nature.     

    Cette démarche s'avère parfaitement légitime en cas d'alerte sur des faits de harcèlement, étant rappelé que légalement, « l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral », et que « tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire » (C. trav., L1152-4 et 5).

  • Citons en parallèle les enquêtes mises en œuvre à l'initiative des représentants du personnel dans le cadre de la mission et des attributions du CSE, ou déléguées à sa CSSCT lorsqu'elle existe.

    Exemples : sondage auprès des collaborateurs ; inspection régulière en matière de santé et de sécurité au travail ; enquête en cas d'accident du travail et de maladies professionnelles ou à caractère professionnel ; recours à un expert habilité en cas de constat de risque grave ou de projet d’aménagement important ; enquête suite au déclenchement d'un droit d'alerte (danger grave et imminent, atteintes aux droits des personnes).

  • Celles intervenant conjointement d'un commun accord entre la direction et les représentants du personnel, qui seront généralement conduites de manière paritaire au travers d'un comité de pilotage ou groupe de travail.


Selon les besoins, l’enquête peut être soit menée en interne par des personnes habilitées et soumises à la confidentialité (ex : personnel RH), notamment lorsqu'elle s'inscrit dans un cadre disciplinaire.

Elle peut toutefois nécessiter de faire intervenir un prestataire extérieur à l'entreprise et disposant de compétences spécifiques, tout particulièrement dans le domaine des risques psycho-sociaux (ex : psychologue).

La définition du cahier des charges de l’enquête (objectifs, méthodologie, déontologie, durée, coût, livrable, etc.) est souvent source d’âpres discussions, voire de contentieux judiciaire.

Et pour cause, une enquête, qui suppose l'audition de tout ou partie du personnel, sur des sujets bien souvent conflictuels, n'est pas une mesure anodine sur le plan de la politique sociale et doit être appréhendée avec précaution.

Si l’enquête offre un espace d'expression pour les personnes entendues ou auditionnées, son objet est d'aboutir à un recueil de faits ou de témoignages permettant de tirer des conclusions objectives sur une situation contextuée.

En matière disciplinaire, il est capital que les preuves tirées de l’enquête puissent être exploitables, ce qui pose inévitablement la question de la recevabilité et de la pertinence des témoignages recueillis, à plus forte raison lorsqu'il s'agit de témoignages indirects.

Lorsqu'une sanction a été prononcée, il est très fréquent qu'elle soit contestée au motif d'une irrégularité de procédure.

La sécurisation juridique de l’enquête nécessite donc des précautions d'usage tant sur le fond que sur la forme.

Une décision récente vient illustrer cela de manière intéressante, dans une affaire où une salariée cadre avait été licenciée pour faute grave pour des faits de harcèlement moral (Cass. Soc. 17 mars 2021, n° 18-25597).

L'entreprise, informée de plaintes, avait missionné en concertation avec ses délégués du personnel un consultant extérieur spécialisé dans les risques psycho-sociaux, afin d'entendre les salariés et de recueillir leurs témoignages dans un cadre neutre.

Cet audit de comportement avait permis de faire ressortir des insultes à caractère racial et/ou discriminatoire, ainsi qu'un mode de management par la peur entraînant des perturbations graves pour l'organisation et l'efficacité collective.

Devant les juridictions du fond, le licenciement avait toutefois été jugé sans cause réelle et sérieuse, au motif que les preuves tirées du compte-rendu de cette mission constituaient un procédé déloyal dans la mesure où l'intéressée n'avait pas été préalablement informée ni entendue dans ce cadre.

Décision censurée par la Cour de cassation, qui considère au contraire, au double visa du principe de loyauté dans l'administration de la preuve et de l'article L1222-4 du Code du travail (selon lequel « aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance »), qu’« en statuant ainsi, alors qu'une enquête effectuée au sein d'une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n'est pas soumise aux dispositions de l'article L1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d'un procédé clandestin de surveillance de l'activité du salarié, la cour d'appel a violé par fausse application le texte et le principe susvisés ».

L'arrêt fait également droit à l’argument de l’employeur, qui soutenait que les juges du fond sont tenus d'examiner l'ensemble des éléments de fait et de preuve soumis aux débats par les parties : « (…) Pour juger que le licenciement de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a retenu que [certains] témoignages (…) ne présentaient pas de valeur probante, étant indirects. En statuant ainsi, sans examiner, même succinctement, les autres témoignages qui étaient soumis à son examen et dont l'employeur soutenait qu'ils étaient directs » la cour d'appel n’a pas valablement motivé sa décision.

Cette décision et donc importante en pratique puisqu'elle permet d'écarter le débat sur l'irrecevabilité de la preuve tirée d'une enquête diligentée par l'employeur à l'insu du salarié mis en cause au titre de faits de harcèlement moral.

Ce faisant, elle retient une interprétation restrictive de l'article L1222-4 du Code du travail en considérant que l’enquête disciplinaire ne s'apparente pas à un dispositif de collecte d'informations personnelles concernant le salarié.

Cela peut à première vue sembler contre-intuitif dans le contexte actuel de la législation sur la protection des données à caractère personnel (RGPD), mais il nous semble que cette position est parfaitement justifiée sur le plan du droit de la preuve.

Typiquement, il n'est pas illégitime dans ce domaine que l’enquête puisse rester confidentielle à l'égard du salarié mis en cause au stade du recueil des témoignages des protagonistes, sous peine de risquer d'être entravée par des pressions éventuelle.

D'autre part, le salarié mise en cause conservera toujours la possibilité de contester la valeur probante des éléments recueillis dans le cadre du débat contradictoire devant le juge prud'homal.

En définitive, il n'y a donc pas d'atteinte à l'égalité des armes, d'autant que le doute doit profiter au salarié en matière disciplinaire (cf. témoignages anonymes par exemple : « Vu l'article 6, § 1, et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Attendu que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes (…) » - Cass. Soc. 4 juillet 2018, 17-18241).

Ajoutons enfin que dans ce domaine, les dénonciations faites de mauvaise foi exposent leurs auteurs à :

  • Des sanctions disciplinaires (peu importe l’intention de nuire : « (…) le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce » - Cass. Soc. 11 décembre 2019, 18-18207) ;

  • Un risque de poursuites pénales pour dénonciation calomnieuse (article 226-10 du Code pénal : « La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. (…) »)..  


En tout état de cause, il appartient au juge d'apprécier les éléments de preuve qui lui sont présentés. En cas de rejet, la décision peut d'ailleurs être contestée ; ainsi par exemple, une enquête même incomplète peut constituer un élément de preuve recevable (le fait que seule une partie du personnel soit entendue ne remet pas nécessairement en cause l'exigence d'exhaustivité et d'impartialité de l'enquête interne – Cass. Soc. 8 janvier 2020, n° 18-20151).

Pour conclure, dans le domaine des RPS en général, l’enquête constitue un levier important pour permettre à l'employeur de justifier de ses diligences, au regard d'une part de son obligation renforcée de sécurité et de protection de la santé, et d'autre part, de son obligation de prévenir les situations de harcèlement moral ou sexuel.

Attention toutefois, pour la jurisprudence, « (…) l'obligation de prévention des risques professionnels (…) est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral (…) et ne se confond pas avec elle ». Ainsi, le juge ne peut valablement rejeter la demande d’indemnisation d’un salarié pour manquement à l'obligation de sécurité, en retenant qu'aucun agissement répété de harcèlement moral n'étant établi, il ne pouvait être reproché à l'employeur de ne pas avoir diligenté une enquête et par là-même d'avoir manqué à son obligation de sécurité (Cass. Soc 27 novembre 2019, n° 18-10551).