Pourquoi avoir entrepris ce travail de recherche sur les
effets des TIC sur l'organisation du travail ?
En partant d'un constat simple. Aujourd'hui les conditions de
travail dans les métiers tertiaires sont physiquement moins
éprouvantes que ne l'étaient celles de nos aînés. Pourtant de
plus en plus de travailleurs de bureau se plaignent de leur
environnement professionnel, de l'intensification des tâches et
ont la sensation des ne plus maîtriser leur temps. Les cas de
souffrance au travail et de burn-out se multiplient de façon très
inquiétante dans le tertiaire.
Or les rapports et travaux menés récemment en Europe sur les
risques psychosociaux n'ont selon moi pas suffisamment pris en
compte les conséquences de la révolution numérique sur le travail
de l'individu. Cette lacune nous a été confirmée par l'agence
européenne pour la santé et la sécurité au travail.
L’absence de réflexion et de maîtrise des TIC est un facteur
aggravant voire générateur de stress au travail. Nous nous sommes
engouffrés dans la révolution numérique sans en mesurer
aucunement les conséquences sur le travail.
Après avoir célébré la facilité d'accès à l'information et la
rapidité de décisions portées par les TIC, nous en découvrons
aujourd'hui la face cachée. Ce qui amène à des annonces choc de
la part des entreprises : Volkswagen qui expérimente en
Allemagne la coupure de l'accès aux blackberry professionnels
après 18h ou Thierry Breton qui déclare vouloir faire d'Atos une
entreprise zéro e-mail à 2 ans.
Comment s'est orientée cette recherche et pour quels
résultats ?
Ma recherche a duré au final plus de 4 ans. Elle s'est appuyée
sur 4 volets distincts. Un volet statistique avec l'enquête CFE
CGC sur la souffrance au travail dans laquelle nous avons
introduit des items concernant les TIC. Ensuite un volet plus
qualitatif à travers des focus groups où nous avons réuni plus de
250 cadres issus d'horizons professionnels divers : fonction
publique, PME, grands groupes… J'ai également développé et mis à
disposition sur Wikipédia une sonde logicielle permettant de
séquencer la réception et la réponse aux emails. Elle a été
téléchargée plus de 250 fois, le retour des utilisateurs est très
intéressant. Enfin mon propre travail au cœur du numérique m'a
permis d'enrichir la réflexion théorique de nombreuses
observations issues du terrain.
Les données issues de ces phases de recherches confirment les
nombreux effets indésirables des TIC parmi lesquels l'addiction
au temps court, la porosité entre univers professionnel et privé,
la difficulté à faire face à l'infobésité, ou l'émiettement
continu du travail… Au total nous avons identifié 22 effets
indésirables !
Existe-t-il des solutions pour naviguer sans encombre
dans cet écosystème numérique, que vous qualifiez même "d'hostile
à la production" ?
Des prises de conscience se manifestent dans les entreprises avec
des tentatives pour maîtriser et réguler l'environnement
numérique des salariés. Ces expériences sont encore trop
nouvelles pour pouvoir en tirer des modélisations
recommandables.
Il est très clair que les syndicats et les employeurs doivent se
saisir ensemble de ces questions. Les solutions relèvent à la
fois d'une responsabilité individuelle et d'une responsabilité
collective. Et la question ne se résoudra pas d'elle-même avec la
génération Y qui serait naturellement beaucoup plus à l'aise pour
limiter l'impact des TIC sur son environnement de travail. Bien
au contraire, l'enquête CFE CGC a mis en lumière qu'aisance
n'était pas synonyme de maîtrise et que les jeunes générations
étaient aussi, voire plus vulnérables à la tyrannie de la
connexion permanente.
En savoir plus
- Techniques de l’Information et de la Communication et risques psychosociaux sur le poste de travail tertiaire - Thèse pour l’obtention du Doctorat en sociologie présentée par Thierry Venin, décembre 2013