Quel est votre regard sur le rapport des femmes au travail ?
En tant que journaliste, à la base, je me suis spécialisée sur l’expérience des femmes au travail, car je trouvais que l’on en parlait peu. J’ai pu construire cette réflexion sur l’émancipation féminine au travail pendant 10 ans. Mon prisme originel était celui de « l’empowerment » : quels sont les codes de réussite pour avoir les mêmes carrières que les hommes ? Comment casser le plafond de verre ? Mais j’ai fini par changer mon regard sur ce sujet.
Quel nouveau constat faites-vous alors dans « Les Méritantes » ?
J’ai interviewé beaucoup de femmes qui m’ont raconté leur expérience professionnelle. Le constat est simple : les femmes peuvent faire énormément d’efforts, se contorsionner dans tous les sens, mais il reste un problème de fond. Le monde du travail est pensé par les hommes pour les hommes. Autant je ne renie pas l’importance du développement personnel pour les femmes, mais je conseillais autrefois aux femmes de s’accrocher à leur travail à tout prix. Ce n’est pas juste pour elles, car leurs efforts ne suffisent pas. Le monde du travail fait encore peser aux femmes la responsabilité des inégalités qu’elles subissent.
Pourquoi parlez-vous de « mépris du féminin » au travail ?
Prenons un exemple basique. Pour réussir dans leur milieu professionnel, les femmes doivent bien souvent se conformer à la culture du présentéisme : faire de gros horaires, 9h-19h du lundi au vendredi. Mais comment faire avec un enfant à l’école qui finit à 16h30 et ne travaille pas le mercredi ? Cela concerne des millions de gens en France. Pourtant, c’est à chaque famille de régler cela comme s’il s’agissait d’un problème personnel. Certaines familles auront les moyens de faire appel à une nounou, mais c’est bien 50 % des femmes qui arrêtent ou réduisent leur activité professionnelle à l’arrivée du premier enfant, contre 6% des hommes. 83 % des emplois à temps partiel en France sont occupés par des femmes. C’est un phénomène culturel, politique, sociétal. Sinon, les enfants sont confiés aux grands-parents, majoritairement les grands-mères. Cela représente 23 millions d’heures de garde d’enfants chaque semaine en France. C’est hallucinant de constater que le monde du travail repose sur le travail gratuit des femmes qu’il exclut. Au travail, les femmes culpabilisent beaucoup, se sentent parfois illégitimes. Beaucoup cachent le fait qu’elles sont aidantes, enceintes, malades. Des situations que les hommes connaissent beaucoup moins. C’est impossible d’être la Wonder Woman que l’on nous incite à être. Car l’on a fait de l’égalité un enjeu de performance individuelle.
Quel message adresseriez-vous aux acteurs du monde du travail ?
Il manquait un discours complémentaire qui permette aux femmes de déculpabiliser et qui rende sa part de responsabilité au monde du travail. C’est à lui de changer, d’être plus inclusif. Voilà l’objet du livre : il faut reconnaitre le travail que font les femmes et qui est déjà essentiel. J’appelle à ce que l’on arrête de considérer l’égalité professionnelle comme acquise, à changer de prisme sur ce sujet pour construire un monde de demain plus équilibré, plus juste pour tout le monde. Et cela profitera aussi aux hommes.
En savoir plus :
- Site internet de Lucile Quillet
- Découvrir le livre « Les Méritantes »