Face à cette nouvelle révolution technologique et au rythme accéléré sans précédent qu’elle imprime dans nos sociétés et organisations (qui sera amplifié avec l’arrivée de l’informatique quantique), le droit affiche toujours un certain train de retard, partagé entre la nécessité de réguler et laisser faire l’innovation (cf. le Règlement UE 2024/1689 du 13 juin 2024 « IA Act »).
 

 

1. Des risques de transition au cœur des préoccupations 

Les risques (et opportunités) de transition et de maladaptation sont aujourd’hui parfaitement connus et documentés, notamment dans le domaine du travail, tant sur le plan national qu’international. 
 

Citons ici quelques études récemment publiées : 
 

  • Conseil d’état, 31 mars 2022 « Intelligence artificielle et action publique : construire la confiance, servir la performance »
  • CNAMTS/INRS, novembre 2022 « l’IA au service de la santé et sécurité au travail – perspectives à horizon 2023 »
  • Rapport d'enquête LaborIA,  13 mars 2023 « usages et impacts de l’IA sur le travail, au prisme des décideurs », « Etude des impacts de l’IA sur le travail »
  • Commission IA du Gouvernement, novembre 2024 « IA : notre ambition pour la France »
  • Avis du Comité économique et social européen, 21 mars 2025 « Une intelligence artificielle au service des travailleurs: leviers pour exploiter le potentiel et atténuer les risques de l’IA dans le cadre des politiques de l’emploi et du marché du travail »
  • OSHA « Digital platform work Safe and healthy work in the digital age ».
     

Sans rentrer dans l’inventaire à la Prévert des risques (RPS, gestion RH algorithmique, etc.), force est de constater que ces technologies IA plus ou moins banalisées ne sont jamais neutres en termes de d’impact humain, mais aussi environnemental.

 

 

 

2. Pas de projet de SIA sans dialogue social

Côté entreprise, le sujet mérite donc une prise de recul et une véritable réflexion intégrée, objective et globale :
 

  • Quels besoins en termes d’organisation ou de création de valeur ?
  • Quelle stratégie sociale et économique d’entreprise ?
  • Quels risques/ bénéfices attendus pour le modèle d’affaires ?
  • Quelles mesures d’accompagnement ?
  • Quelle acceptabilité/ confiance ?
  • Quelle durabilité ?
  • Quelle maîtrise ?
  • Quelle temporalité, marge d’expérimentation et réversibilité ?
  • Etc.

 

Quel que soit le secteur d’activité ou la profondeur du déploiement envisagé, le dialogue social apparaît comme un incontournable, notamment pour des raisons d’ordre juridique.
 

Dans une entreprise de 50 salariés et plus doté d’un CSE, dès lors que le projet est de nature à impacter la marche générale de l’entreprise, les élus doivent être informés et consultés en vertu de l’article L2312-8 du Code du travail.
 

Il peut s’agir principalement ici (liste non limitative) :
 

  • d’une introduction de nouvelles technologies ;
  • de mesures de nature à affecter les conditions d'emploi, de travail (formation professionnelle, etc.) ;
  • d’un aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;
  • de mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs (type suppression ou transformation d’emplois, compression d’effectifs, restructuration – cf. L2312-39 et 40 CT également).
     

Une fois n’est pas coutume au regard de l’histoire moderne, l’IA est de nature à impacter directement les « cols blancs », ce qui amène les populations d’ingénieurs, cadres et assimilés à se sentir plus concernés par ces transformations.
 

Avant toute décision arrêtée dans son principe, le CSE doit rendre un avis sur ces projets impactant l’organisation et la marche générale de l’entreprise, mais également sur les conséquences environnementales des mesures envisagées (ce qui est loin d’être neutre dans ce domaine au vu de la littérature disponible).
 

Dans certains cas (p. ex. si le projet de modification des conditions de travail et SST peut être qualifié d’ « important », ce qui n’est pas toujours le cas – cf. Cass. Soc. 12 avril 2018, 16-27866), le CSE peut avoir recours à un expert habilité et bénéficier d’un délai allongé pour la restitution de son avis (soit 2 mois par défaut).   
 

Ce processus doit si besoin être répété de manière échelonnée lorsque le projet comporte différentes séquences décisionnelles échelonnées, ce qui sera généralement le cas en matière de SIA, du test jusqu’au déploiement « en dur ».
 

 

3. Chercher l’accord plutôt que le juge

En cas d’irrégularité du processus sur le fond ou la forme, le projet peut être entravé par une action judiciaire en référé sur le fondement classique du trouble manifestement illicite (art. 835 CPC).
 

Les directions d’entreprises doivent se montrer vigilantes car le juge civil peut surtout ordonner la suspension des usages de la technologie d’IA concernée et et faire injonction à l’employeur de régulariser la procédure d’information consultation, assortie d’une astreinte financière (en cas d’inertie, le risque peut même basculer dans le champ du pénal, sur le terrain du délit d’entrave, lequel est en pratique rarement poursuivi en première intention). 
 

Après une période contentieuse plutôt marquée par la question de l’expertise CE, CHSCT ou CSE en cas de projet d’introduction de nouvelles technologies, plusieurs décisions rendues en 2025 viennent d’être rendue sur la question de la suspension du projet de SIA, y compris au stade d’une phase simplement « pilote » (TJ Nanterre du 14 février 2025, RG n° 24/01457 ; TJ Créteil  15 juillet 2025, RG n° 25/00851). 
 

En lien avec la première affaire, la relance du dialogue social a permis une sortie de conflit, par la voie d’un accord d’entreprise de type « transactionnel » conclu avec les syndicats représentatifs le 26 juin 2025.
 

L’accord de méthode apparaît ici comme une clé de succès dans la conduite du projet, en posant des garanties négociées (engagements d’accompagnement du changement sur le plan procédural, social, technologique.