Et pour cause, compte tenu des arbitrages techniques nécessaires
pour faire fonctionner la future plateforme de dématérialisation
puisque le passeport de prévention (à ne pas confondre avec
l’acronyme du PDP qui renvoie au plan de prévention !) aura
vocation à s’intégrer au passeport d'orientation, de formation et
de compétences, lui-même intégré au système d’information du
compte personnel de formation (CPF).
Derrière ces considérations techniques se cache aussi un enjeu
d’ordre politique, liés au niveau de contraintes et de charges
que cela est susceptibles de générer pour les entreprises en
termes de gestion et de ressources allouées … et cela n’est sans
doute rien comparé à la future obligation de déposer le document
unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) ainsi que
ses mises à jour successives sur un portail dématérialisé pour en
permettre, à terme, la traçabilité collective des expositions sur
40 ans glissants.
Dans l’attente, et suite aux propositions des partenaires sociaux
présentées cet été dans le cadre du CNPST visant à aménager les
modalités d’entrée en vigueur, le Gouvernement vient d’ouvrir un
portail internet dédié à l’information publique sur le passeport
de prévention depuis le 5 octobre 2022.
Derrière l’échéance légale du 1er octobre, c’est en fait un
calendrier de déploiement progressif qui s’annonce, selon la
feuille de route suivante :
- Octobre 2022 : annonce du décret détaillant les modalités du passeport de prévention ;
- Avril 2023 : ouverture du passeport de prévention pour les travailleurs (parcours de prévention et attestations) ;
- 2023/2024 : Ouverture du passeport de prévention employeurs (déclaration des données) ;
- 2024 : consultation des passeports de prévention par les employeurs.
Cette exigence de mise en place progressive était d’ailleurs bien
exprimée dans l’ANI du 9 décembre 2020, que la loi est venue «
transposer ».
Les entreprises (ainsi que les organismes de formation externes)
disposeront ainsi d’un délai pour se mettre en conformité avec
l’obligation de renseigner de manière centralisée dans le
passeport de prévention l’ensemble de attestations, certificats
et diplômes obtenus par chaque travailleur dans le cadre des
formations relatives à la santé et à la sécurité au travail et
dispensées à l’initiative de l’employeur.
Objectif, améliorer la prévention des risques professionnels en :
- Simplifiant le circuit de partage sécurisé d’informations entre le travailleur, l’employeur et les organismes de formation ;
- Attestant la réalisation et le suivi des formations en santé-sécurité au travail (dans le cadre initial ou continu), ainsi que l’acquisition de qualifications ou de compétences, tant ce sujet est capital pour la prévention primaire (cf. axe 1.2 du 4e Plan Santé au Travail 2021-2025).
Précisons que dans ce phasage, des distinctions devraient être établies entre :
- Les formations dites transférables d’une entreprise à l’autre
(et même d’un secteur à l’autre) dans le cadre de la portabilité
de l’outil, et celles qui ne le sont pas ;
- Les formations réglementées obligatoires et spécifiques à certains travaux (ex : radioprotection, amiante, travaux sous tension, etc.), des formations SST non réglementées.
On imagine que les entreprises puissent être particulièrement
intéressées par l’accès au contenu du passeport de prévention, en
vue par exemple :
- De sélectionner les candidats au recrutement selon le
meilleur profil (sachant qu’un passeport bien renseigné sera un
élément utile de valorisation du parcours professionnel pour le
demandeur d’emploi) ;
- D’apprécier l’étendue des qualifications dans le cadre d’une
(ré)affectation, d’un changement de poste ;
- De procéder à la désignation du référent prévention SST,
lequel bénéficie désormais de droit, de la même formation en
santé-sécurité au travail que les élus du CSE (C. Trav., L4644-1)
;
- De bien cibler les actions de formation SST à déployer, ou
les adapter au mieux compte tenu de la formation, de la
qualification et de l'expérience professionnelle acquise (cf. C.
Trav., R4141-5) ;
- D’attester sur le plan probatoire (tout particulièrement dans
le cadre d’actions en responsabilité civile ou pénale suite à AT)
que le salarié disposait de solides compétences. Il est
d’ailleurs indiqué sur le nouveau site que « les informations
préchargées seront à valeur probante, traçables et garanties par
la Caisse des Dépôts », ou encore que « le passeport de
prévention permettra de générer une attestation pour apporter la
preuve de vos compétences. Cette attestation sera basée sur votre
parcours prévention ». Typiquement, cela ouvre d’intéressantes
perspectives en termes de défense au contentieux ...
- Etc.
Toutefois, les choses ne seront pas forcément si simples sachant
que le fait pour l’employeur d’avoir un accès au passeport afin
de l’alimenter ne lui donnera pas automatiquement un plein accès
à l’historique exhaustif des données qu’il contient.
En effet, il est prévu que c’est au travailleur qu’il
appartiendra d’autoriser (ou non) l'employeur à « consulter » les
données contenues dans le passeport de prévention, y compris
celles que l'employeur n'y a pas versées.
Même si le dispositif semble s’orienter vers la possibilité pour
le salarié de générer une « attestation prévention » destinée à
l’employeur, on peut s’interroger sur l’interprétation de la loi
dans la mesure où en principe, droit de « consultation » ne
signifie pas autorisation d’utiliser à d’autres fins …
En tout état de cause, deux conditions supplémentaires sont
prévues par la loi :
- Cette consultation est sensée avoir pour finalité exclusive
le suivi des obligations patronales en matière de formation à la
santé et à la sécurité ;
- Dans ce cadre, l’employeur devra garantir le respect des 6 principes généraux applicables en matière de traitement de données à caractère personnel prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 « informatique et libertés » (art. 4), que sont les exigences de licéité et loyauté, de finalités légitimes et transparentes, de pertinence et limitation, d’exactitude, de durée limitée de conservation, et enfin de sécurisation technique.
Ces restrictions légales pourraient aboutir à des contentieux en
cas d’usage illicite ou déloyal des données issues du passeport
prévention, quand bien même le salarié en aurait autorisé
l’accès.
Ajoutons ici que les partenaires sociaux ont émis le souhait que
le passeport prévention ne soit pas détourné et puisse constituer
:
- Un moyen de contrôle des compétences professionnelles des salariés ;
- Un prérequis obligatoire à tout recrutement des salariés ;
- Un outil de contrôle de l’utilisation des droits CPF acquis par les salariés.
Réciproquement, en faveur des entreprises, le passeport
prévention :
- Ne doit pas avoir pour finalité d’être un outil de contrôle
des formations dispensées par l’employeur ;
- Doit laisser libre l’employeur de garder les supports qu’il utilise actuellement pour justifier de la réalisation des formations en cas de contrôle.
En tout état de cause, attention aux faux-semblants, notamment
pour les TPE-PME : le fait par exemple pour un salarié d’avoir
reçu des formations SST dans le cadre d’un précédent emploi ne
dispensera pas le nouvel employeur de lui délivrer a minima la
formation pratique et appropriée à la sécurité de base, ni de la
renouveler périodiquement (cf. L4141-2).