1. « Conditions de travail » : de quoi parle-t-on ? Faut-il chercher à la définir ?
Les enjeux autour de la question des conditions de travail sont omniprésents, et pourtant paradoxalement, c’est probablement l’une des notions les plus vagues en droit du travail, faute de définition que ce soit en droit de l’Union européenne ou en droit national.
Sans doute serait-ce vain d’ailleurs de chercher à appréhender cela dans une définition juridique qui serait par définition limitative.
Néanmoins, la nature ayant horreur du vide, des formulations existent, telles que celle proposée par la DARES : « Les conditions de travail recouvrent les aspects matériels (contraintes physiques, moyens, conditions sanitaires, etc.), organisationnels (temps de travail, rythme de travail, autonomie et marge de manœuvre, etc.), et psychosociaux (relations avec les clients, la hiérarchie et les collègues, sentiment d’utilité, etc.) dans lesquels est exercée l'activité professionnelle ».
Dit autrement, il s’agit de l’environnement de travail appréhendé sous l’angle à la fois organisationnel, technique et humain (le volet environnemental méritant certainement de venir s’ajouter désormais à ce triptyque classique … ).
Les conditions de travail ont été également replacées au cœur des enjeux de qualité de vie au travail (en passant de l’ancienne QVT à la QVCT *), qui regroupe 6 dimensions selon l’ANACT : 1/ l’organisation, contenu et réalisation du travail ; 2/ le projet d’entreprise et le management participatif ; 3/ l’égalité professionnelle ; 4/ le dialogue social professionnel ; 5/ les compétences et parcours professionnels ; 6/ la santé au travail et la prévention des risques.
*cf. loi santé-travail n° 2021-1018 du 2 août 2021, art. 4.
Une sorte donc de grand « fourre-tout » permettant, notamment pour les tribunaux, d’appréhender au cas par cas sous cette étiquette de très nombreuses problématiques dès qu’elles portent sur les conditions d’exercice du travail au sens large.
2. Les enjeux autour des conditions de travail accrus en raison de la porosité entre sphère professionnelle et sphère personnelle
L’une des difficultés est que l’environnement professionnel est de plus en plus impacté par des sujets de tous ordres relatifs à la sphère de vie personnelle (y compris au travail), sachant que l’employeur doit assurer une conciliation équilibrée entre vie professionnelle et vie personnelle.
Cette porosité, alimentée par les outils technologiques (smartphones, réseaux sociaux, etc.) et les nouvelles organisations hybrides (télétravail, etc.), constitue un grand marqueur des évolutions du travail et du rapport au travail.
A l’anniversaire cette semaine des 5 ans du premier confinement COVID (déjà !), chacun a bien conscience qu’il s’agit d’un fait sociétal avec lequel il faut composer.
L’exercice peut toutefois s’avérer délicat et mérite quelques points de vigilance.
3. Points de vigilance concernant l’exercice du pouvoir de direction en vue de faire évoluer les conditions de travail
D’une manière générale, l’employeur est fondé au titre de son pouvoir de direction (qui découle de la liberté d’entreprendre), à pouvoir imposer à son personnel salarié un changement de conditions de travail.
Dès lors que celui-ci n’affecte pas le contenu contractuel de la relation de travail (= les clauses du contrat type), l’accord du salarié n’est pas requis, et cette mesure est opposable au salarié au nom du lien de subordination juridique, sous peine de sanction disciplinaire (pouvant aller jusqu’au licenciement) en cas de refus.
Le champ des possibles est ici infiniment vaste : modification d’horaires, mise à disposition de nouveaux outils, changement de bureau, etc…
Ce principe une fois posé comporte toutefois des limitations en droit du travail, dont voici quelques exemples :
En « tête de gondole » du Code du travail figure l’exigence générale de justification et de proportionnalité énoncée à l’article L1121-2 : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (et reprise pour les règlements intérieurs à l’article L1321-3, 2° CT).
Il découle de ce principe général dans notre ordre juridique que même si une mesure de simple changement des conditions de travail ne constitue pas une modification contractuelle, sa licéité peut être mise en cause lorsque :
- Elle porte atteinte excessive à un droit ou une liberté fondamentale (typiquement le droit à pouvoir exercer une vie privée et familiale normale – cf. p. ex. jugé récemment à propos d’une modification d’horaires jour/ nuit : Cass. Soc. 29 mai 2024, n° 22-21814) ;
- Elle constitue un indice de discrimination directe ou indirecte, en révélant la prise en considération d’un motif illicite (par exemple en cas de changement de conditions de travail imposé à un salarié protégé en considération de son activité syndicale – précisons ici qu’il existe une particularité puisqu’en cas de refus d’un simple changement des conditions de travail par un salarié protégé, l’employeur doit, sauf à renoncer à la mesure, solliciter une autorisation de licenciement de l’inspecteur du travail) ;
- Elle constitue une mesure abusive ou un détournement de pouvoir non justifié ni proportionné, voire un indice de harcèlement moral participant à un ensemble d’agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
- Elle serait de nature à compromettre la sécurité et/ou la santé (physique ou mentale) du salarié, ce qui pose la question de l’analyse des risques et de la prise de mesures adéquates (formation, examen d’aptitude, etc.).
Au plan juridique, les risques de contestation potentiels sont donc nombreux ; dit autrement, ce n’est pas parce qu’un changement des conditions de travail peut être imposé qu’il sera forcément valable et sécurisé !
Les illustrations en jurisprudence sont nombreuses, que ce soit d’ailleurs au plan individuel ou collectif (notamment en matière de réorganisations et transformations d’entreprise - cf. ici la décision emblématique Cass. Soc. 5 mars 2008, n° 06-45888).
A noter que la prise de décision patronale peut également être soumise à des exigences procédurales en termes de dialogue social avec les partenaires sociaux.
Par exemple, dans les entreprises de 50 salariés et plus, le CSE doit être informé et consulté -y compris sur les conséquences environnementales des mesures envisagées, préalablement à tout « aménagement important » modifiant les conditions de travail (L2312-8, 4° CT).
Ces quelques exemples illustrent le fait que changer les conditions de travail n’est jamais tout-à-fait anodin d’un point de vue juridique, ce qui peut sembler parfois contre-intuitif.