Thierry Venin - Agence Départementale du Numérique (Pyrénées-Atlantiques) : Pourquoi les TIC ont amplifié le stress au travail

Pourquoi les TIC ont amplifié le stress au travail

MANAGEMENT RH / QVT || Risques psychosociaux
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19/02/2014
Thierry Venin - Agence Départementale du Numérique (Pyrénées-Atlantiques)
Thierry Venin
directeur de l'Agence Départementale du Numérique (Pyrénées-Atlantiques), chercheur associé au laboratoire CNRS-UPPA SET
Agence Départementale du Numérique (Pyrénées-Atlantiques)
Alors que les nouvelles technologies de l'information devaient faciliter notre travail, elles sont devenues une source majeure de stress. Thierry Venin a conduit un important travail de recherche sur les interactions entre risques psychosociaux et TIC sur le poste de travail tertiaire. Il nous en livre les principaux enseignements.

Pourquoi avoir entrepris ce travail de recherche sur les effets des TIC sur l'organisation du travail ?
En partant d'un constat simple. Aujourd'hui les conditions de travail dans les métiers tertiaires sont physiquement moins éprouvantes que ne l'étaient celles de nos aînés. Pourtant de plus en plus de travailleurs de bureau se plaignent de leur environnement professionnel, de l'intensification des tâches et ont la sensation des ne plus maîtriser leur temps. Les cas de souffrance au travail et de burn-out se multiplient de façon très inquiétante dans le tertiaire.
Or les rapports et travaux menés récemment en Europe sur les risques psychosociaux n'ont selon moi pas suffisamment pris en compte les conséquences de la révolution numérique sur le travail de l'individu. Cette lacune nous a été confirmée par l'agence européenne pour la santé et la sécurité au travail.
L’absence de réflexion et de maîtrise des TIC est un facteur aggravant voire générateur de stress au travail. Nous nous sommes engouffrés dans la révolution numérique sans en mesurer aucunement les conséquences sur le travail.
Après avoir célébré la facilité d'accès à l'information et la rapidité de décisions portées par les TIC, nous en découvrons aujourd'hui la face cachée. Ce qui amène à des annonces choc de la part des entreprises : Volkswagen qui expérimente en Allemagne la coupure de l'accès aux blackberry professionnels après 18h ou Thierry Breton qui déclare vouloir faire d'Atos une entreprise zéro e-mail à 2 ans.

Comment s'est orientée cette recherche et pour quels résultats ?
Ma recherche a duré au final plus de 4 ans. Elle s'est appuyée sur 4 volets distincts. Un volet statistique avec l'enquête CFE CGC sur la souffrance au travail dans laquelle nous avons introduit des items concernant les TIC. Ensuite un volet plus qualitatif à travers des focus groups où nous avons réuni plus de 250 cadres issus d'horizons professionnels divers : fonction publique, PME, grands groupes… J'ai également développé et mis à disposition sur Wikipédia une sonde logicielle permettant de séquencer la réception et la réponse aux emails. Elle a été téléchargée plus de 250 fois, le retour des utilisateurs est très intéressant. Enfin mon propre travail au cœur du numérique m'a permis d'enrichir la réflexion théorique de nombreuses observations issues du terrain.
Les données issues de ces phases de recherches confirment les nombreux effets indésirables des TIC parmi lesquels l'addiction au temps court, la porosité entre univers professionnel et privé, la difficulté à faire face à l'infobésité, ou l'émiettement continu du travail… Au total nous avons identifié 22 effets indésirables !

Existe-t-il des solutions pour naviguer sans encombre dans cet écosystème numérique, que vous qualifiez même "d'hostile à la production" ?
Des prises de conscience se manifestent dans les entreprises avec des tentatives pour maîtriser et réguler l'environnement numérique des salariés. Ces expériences sont encore trop nouvelles pour pouvoir en tirer des modélisations recommandables.
Il est très clair que les syndicats et les employeurs doivent se saisir ensemble de ces questions. Les solutions relèvent à la fois d'une responsabilité individuelle et d'une responsabilité collective. Et la question ne se résoudra pas d'elle-même avec la génération Y qui serait naturellement beaucoup plus à l'aise pour limiter l'impact des TIC sur son environnement de travail. Bien au contraire, l'enquête CFE CGC a mis en lumière qu'aisance n'était pas synonyme de maîtrise et que les jeunes générations étaient aussi, voire plus vulnérables à la tyrannie de la connexion permanente.

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