Responsabilité pénale en matière de santé et sécurité au travail, quoi de neuf ?

MANAGEMENT RH / QVT || Réglementation / droit social
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08/03/2017 - Sébastien MILLET

Incontestablement, les possibilités d’infraction pénale en matière de santé et sécurité au travail sont nombreuses et constituent une zone de risque majeur pour tout employeur (dirigeant et personne morale), ainsi que son délégataire de pouvoirs.


Deux évolutions récentes affectant les règles générales du droit pénal retiennent l’attention et méritent quelques commentaires concernant leurs déclinaisons dans la sphère HSE :

1°) Une aggravation du régime pénal : la réforme de la prescription des délits

La loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, qui vient d’être publiée au Journal officiel du 28 février 2017, vient modifier l’article 8 du Code de procédure pénale en prévoyant que « l’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise ».

Le délai de prescription, jusqu’à lors fixé à 3 ans, est ainsi doublé pour tous les délits passibles de peines correctionnelles. 

La loi nouvelle, plus sévère ici que l’ancienne, est d’application immédiate à compter du 1er mars 2017 (selon l’article 122-2 du Code pénal, « sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur (…) Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des peines »).

Sont ainsi concernés non seulement les délits du Code pénal que peuvent être les délits non intentionnels (d’homicide ou de blessures involontaires, risques causés à autrui) prévus et réprimés par le Code pénal, que les délits prévus par le Code du travail, et tout particulièrement l’infraction-balai d’inobservation d’un texte prescriptif en matière de santé ou de sécurité au travail (cf. C. Trav., L4741-1).

En principe, le délai de prescription de l’action publique court à compter du jour où l’infraction a été commise (cf. infractions instantanées). Toutefois, lorsque l’infraction est « clandestine », la loi vient prévoir que le point de départ correspond au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, sans pouvoir aller au-delà de 12 ans à compter du jour où l’infraction a été commise pour les délits (soit le double du nouveau délai de droit commun). Deux cas sont ici visés (CPP, art. 9-1 nouv.) : l’infraction dite occulte (celle qui « en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire »), et l’infraction dissimulée « dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ». Ce dispositif, conçu surtout pour les infractions financières, devrait peu trouver à s’appliquer en principe dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail. 

Avec cette réforme, le risque de poursuites constitue sur le papier une « épée de Damoclès » plus longtemps, et l’invocation d’une prescription comme moyen de défense sera plus difficile.

Pour autant, il est permis de penser que cette réforme ne devrait pas avoir un impact très significatif dans le domaine de la santé et sécurité au travail. 

D’une part, même lorsque la prescription était de 3 ans pour les délits, la prescription se trouvait rarement acquise en pratique en matière d’accidents de travail, du fait notamment de la diversité des actes de procédure à caractère interruptif ou suspensif (dont la nouvelle définition est donnée aux articles 9-2 et 9-3 nouveaux du Code de procédure pénale), mais aussi du fait qu’il s’agit souvent d’infractions continues (notamment en cas de non-conformité à la réglementation). 

D’autre part, la réforme ne modifie pas le délai de prescription des contraventions (infractions les moins graves et non passibles de peines d’emprisonnement), qui reste fixé à un an révolu. La loi vient toutefois ajouter, par analogie avec les délits, que ce délai court « à compter du jour où l'infraction a été commise » (CPP. art. 9). 

Par ailleurs, il convient de préciser que certaines infractions dans le domaine de la santé et sécurité au travail peuvent désormais faire l’objet d’une procédure d’amende administrative (C. Trav., L4751-1), alternativement aux poursuites pénales. Le délai de prescription de l'action de l'autorité administrative pour la sanction du manquement par une amende administrative est plus court, soit 2 années révolues à compter du jour où le manquement a été commis (C. Trav., L8115-5).

2°) Un renforcement des garanties en cas de poursuites contre l’entreprise : la responsabilité pénale de la personne morale ne se présume pas !

En cas d’accident du travail découlant d’une infraction (inobservation de règles de sécurité, imprudence, etc…), l’entreprise personne morale est-elle nécessairement responsable pénalement ? 

L’article 121-2 du Code pénal pose le principe selon lequel les personnes morales (à l’exception de l’Etat) sont responsables pénalement des infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants. 

A titre d’exemple inverse, l’Allemagne ne reconnaît pas le principe de la responsabilité pénale des personnes morales.

Pendant longtemps, ce texte a été appliqué de manière très large, puis la jurisprudence a amorcé un net retour à plus de rigueur d’analyse juridique et de conformité au principe de légalité des délits et des peines qui suppose une interprétation stricte de la loi pénale.

Désormais, la Chambre criminelle de la Cour de cassation censure clairement les décisions condamnant une entreprise sans que l’auteur de l’infraction n’ait été identifié comme étant l’un de ses organes ou représentants.

(Pour aller plus loin : actu-chronique-responsabilite-penale-entreprise-infration-delegataire-pouvoirs-1405121.php ; actu-chronique-panorama-jurisprudence-penale-sante-securite-travail.php )

Une récente décision vient enfoncer le clou dans cette lignée, suite à un accident du travail (ITT de plus de 3 mois consécutive à une chute de hauteur -8 mètres- d’un technicien qui n’avait à sa disposition qu’une échelle mobile), la société employeur du salarié est condamnée pour délit de blessures involontaires à une peine d’amende 5000 euros.

La Chambre des appels correctionnels confirme la condamnation au motif que lors de l’enquête, l’un de ses directeurs avait déclaré représenter le président de la société dans le cadre de la procédure sans être toutefois titulaire d’une délégation générale de pouvoirs, et qu’ainsi, en l’absence de délégation interne, la responsabilité de la personne morale à raison du manquement relevé était « nécessairement imputable à son président ».

Face il est vrai à la complexité organisationnelle des entreprises, la tentation de faire des raccourcis d’analyse est courante.

Mais la Cour de cassation ne le voit pas de cet œil : « Mais attendu qu’en prononçant ainsi, sans établir si les faits reprochés résultaient de l’action ou de l’abstention d’un organe ou représentant de la société prévenue, éventuellement détenteur d’une délégation de pouvoirs, et si ceux-ci avaient été commis pour le compte de cette société, au sens de l’article 121-2 du code pénal, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision » (Cass. Crim. 7 février 2017, n° 15-85275). 

La responsabilité pénale de la personne morale ne peut donc être automatique.

Dans le registre toujours de l’exigence de motivation des décisions de condamnation pénale, la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de rappeler avec force le principe d’individualisation des peines prévu à l’article 132-1 du Code pénal : « Attendu qu’en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges » (Cass. Crim. 1er février 2017, n° 15-83984). Cet arrêt de principe constitue une évolution importante puisque les peines d’amendes doivent désormais être spécialement motivées alors même que la loi ne l’impose pas expressément. 

Une seconde décision du même jour rendue au sujet cette fois d’une peine complémentaire d’interdiction de gérer indique qu’« en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle » (Cass. Crim. 1er février 2017, n° 15-85199). 

Ce contrôle renforcé est salutaire ; le défaut de motivation et de justification suffisante de la peine permet de faire censurer la décision de condamnation qui serait disproportionnée.