Qu’est-ce qui vous a poussé à créer cette association ?
Quel était le constat initial ?
Le constat, c’était qu’en 27 ans d’expérience, j’ai perdu plus de
collègues et d’amis par suicide que sur des interventions, même
si certaines étaient particulièrement délicates. Cela m’a amené à
me poser des questions. Nous avons regardé des chiffres, pour
comprendre un petit peu la situation. Nous sommes partis de 1996,
puisque cela correspond à la création du Service de soutien
psychologique opérationnel, le SSPO, qui existe encore
annuellement. Il s’agissait aussi d’une année noire, puisqu’il y
a eu 70 suicides cette année-là. Puis nous sommes remontés sur 25
ans. Et il se trouve que depuis 25 ans, nous avons une moyenne de
45 suicides par an. En comparaison, nous avons chaque année entre
huit et dix collègues qui meurent en service. En nous tournant
vers l’INSERM, nous avons découvert que dans la police nationale,
il y a 41% de suicides en plus que dans la population active
française. C’est donc un phénomène vraiment important, qui ne
peut pas simplement s’expliquer par la présence d’un moyen létal
à disposition. Sachant que le taux de suicide en France est déjà
l’un des plus élevés d’Europe, c’est dire si notre profession est
particulièrement touchée.
Avec tous ces éléments, nous étions bien obligés de reconnaître
que le SSPO, tel qu’il est structuré, ne fonctionne pas. Dans un
premier temps, nous avons créé un groupe Facebook secret, qui ne
fonctionnait que par le bouche-à-oreille, pour libérer la parole.
Puis la page a rencontré un succès assez important, et les
collègues étaient de plus en plus nombreux à se confier. Nous
avons commencé à rencontrer des situations de plus en plus
compliquées, sans avoir les compétences pour en gérer certaines.
Il y avait un besoin de formations, et donc de financements. De
plus, sans structure, il était impossible de parler publiquement.
C’est pourquoi nous avons décidé de nous structurer en
association.
En quoi consistent vos actions ?
L’idée c’est de libérer la parole. Que les collègues se disent
qu’ils ne sont pas seuls à souffrir, pas seuls à parler et qu’il
existe toujours des solutions. Actuellement, nous sommes 26
bénévoles, tous formés à la gestion de la crise suicidaire et aux
premiers secours psychologiques d’urgence. Au quotidien, nous
recevons des appels ; en 2021, nous avons dépassé les 6000
appels. Suivant le degré de mal-être, nous avons différentes
réponses à apporter :
- Nous dédramatisons le fait d’aller voir un psychologue, et nous accompagnons vers la prise de rendez-vous avec un professionnel de santé.
- Nous avons une équipe de 10 psychologues, un médecin spécialisé psycho-trauma et deux infirmières psychiatriques bénévoles qui peuvent prendre notre relais 24h/24 7j/7. Nous assurons une véritable continuité dans la prise en charge.
- En ultime recours, nous avons la possibilité de localiser le collègue pour diriger les secours chez lui.
Nous avons également un partenariat avec plusieurs cliniques
psychiatriques qui peuvent accueillir un collègue dans un délai
extrêmement court, en chambre individuelle et sans dépassement
d’honoraire dans des espaces un peu à part. Ce point est
important pour nous, car certains collègues refusent – à juste
titre – d’aller dans un environnement psychiatrique, parce que
l’on peut y retrouver des personnes qu’on a potentiellement déjà
interpellées, qui sont placées là d’office.
Comment mieux prévenir ces risques ?
Nous nous battons pour qu’il y ait plus de psychologues de
proximité. Actuellement, il y a moins de 100 psychologues pour
150 000 policiers en France. Nous nous battons aussi pour que le
protocole SIX’C, sur lequel nous avons été formés,
soit développé auprès de tous les policiers de France. Selon
nous, une des premières causes du mal-être, c’est le stress
post-traumatique par accumulation. C’est une pathologie qui coupe
la parole ; il est donc important de savoir comment aider ses
collègues dans cette situation. Nous avons également proposé une
notation à 360°, permettant à la hiérarchie de savoir comment les
chefs sont perçus par les gens qu’ils commandent. Après il y a
une chose toute simple, c’est d’en parler. À la demande de
plusieurs directeurs départementaux et directeurs régionaux, nous
allons à la rencontre de collègues pour leur parler, pour les
inviter à faire attention aux autres.
Depuis que nous nous sommes ouverts au monde extérieur et que
nous communiquons sur ces sujets, énormément de gens nous
contactent pour nous proposer leur aide, notamment des
professionnels. Et je trouve ça dommage que, jusqu’à présent,
nous nous soyons privés d’aide extérieure en restant entre nous
ou en masquant le problème. Il n’y a aucune honte à avoir, et
nous mettons un vrai point d’honneur en tant qu’association à
voir comment nous pouvons collaborer avec toutes les structures
qui souhaitent nous aider.
En savoir plus
- Si vous êtes en souffrance ou bien si vous vous inquiétez
pour un proche, voici le numéro national de prévention du
suicide : 3114. Gratuit, ce service propose une écoute
professionnelle et confidentielle 24h/24 7j/7, par des
infirmiers et psychologues spécifiquement formés.
- Site de l’association
- Site du numéro national de prévention du suicide