Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ce sujet du
temps libre ?
A partir d’un constat, en observant mes concitoyens. Aujourd’hui
notre société est toute entière conditionnée par notre
organisation du travail. Peut-on exister en dehors du travail et
comment envisager la vie en dehors du travail ? C’est une
question à la fois personnelle, éthique et politique.
Nous accordons beaucoup d'importance au travail, alors qu'il
provoque de plus en plus de souffrances psychiques et qu'il perd
son sens. Je le constate tous les jours avec mes collègues
enseignants, qui ont la sensation de perdre de plus en plus
l’essence même de leur métier : transmettre un savoir. Le
paradoxe, c'est que la productivité est telle que nous pourrions
travailler beaucoup moins tout en conservant un mode de vie
équivalent. Sans parler de la crise écologique qui devrait, si
nous étions rationnels, nous conduire à produire et à consommer
moins.
Pourquoi notre rapport au temps libre a-t-il changé du
fait de cette évolution de notre travail ?
Notre temps libre est devenu un temps de consommation et donc de
travail aussi. Nous ne savons plus comment « ne rien faire »
alors nous « faisons rien » : jouer sur notre smartphone,
consommer de la télé-réalité, acheter sur internet… Se vider la
tête pour pouvoir affronter la réalité de notre travail le
lendemain.
Le temps libre est juste employé à le passer. Ce n’est pas un
temps de liberté, que l’on pourrait utiliser pour se réaliser en
tant qu’être humain en réfléchissant, en nous cultivant, en
rêvant. Là encore, on « fait-rien », on s'occupe… et on enrichit
l'industrie du divertissement !
Comment peut-on changer la donne ?
Je soutiens l'idée qu'il vaudrait mieux « ne rien faire » que «
faire-rien », c'est-à-dire que le couple produire-consommer ne
soit plus le cœur de notre existence. Pour cela, des solutions
existent déjà, il suffit de les redécouvrir et de s'en emparer :
s'investir dans une association, dans la vie politique locale,
cultiver son jardin, explorer des savoirs et des savoir-faire «
inutiles »… Il faut remettre la politique (au sens noble du
terme) et la culture au centre, revaloriser l'authenticité et la
beauté plutôt que le seul enrichissement personnel.
La crise écologique actuelle va, je l’espère, provoquer un
sursaut et nous pousser à réagir pour inventer ensemble une
société qui soit plus juste et plus émancipatrice, basée sur le
partage et la créativité.
En savoir plus
- La société de consumation. Pour une politique de l'oisiveté, Editions Marie B., Lignes De Repères, à paraître en mai 2020