Comment est née l’idée de cet ouvrage ?
Magali Manzano : L’idée a émergé au sein du
groupe de travail « Santé au travail » de la Fédération Française
des Psychologues et de Psychologie (FFPP), qui est composé de
praticiens et d’universitaires. L’objectif de ce groupe est de
discuter des enjeux rencontrés sur le terrain et d’explorer ce
que nous cherchons à développer sur le terrain avec les acteurs
des organisations, de quelle manière, sur quel niveau de
prévention, pour quel registre (individuel et/ou collectif), et
pour quelle(s) finalité(s). C’est durant ce processus que nous
avons pris la mesure de l’importance de créer un ouvrage pour
rendre tout ceci accessible à un large public.
Christine Jeoffrion : Cet ouvrage entend ainsi
rendre accessible la pluralité des approches, des interventions,
et des positionnements développés par les psychologues en
situations de travail (modifications d’organisation de travail,
réduction de l’absentéisme, amélioration de la qualité de vie au
travail,…) ou sur les effets du travail auprès des personnes
(épuisement professionnel, stress post-traumatique, perte de
sens,…). Il a ainsi permis à des psychologues praticiens de
rendre compte de leurs pratiques, pour certains, pour la première
fois, dans une publication scientifique. Il répond à notre
ambition commune de favoriser cette mise en visibilité et cette
articulation très forte entre théorie et pratique et entre
enseignants chercheurs et praticiens.
MM : Ce livre permet aussi de distinguer
psychologie du travail et psychologie du travail appliquée au
champ de la santé au travail, où les liens entre travail et santé
sont analysés par le prisme du développement, de la préservation
et de l’altération de la santé du fait du travail.
CJ : Enfin je dirais que cet ouvrage a pour
objectif de montrer une autre image du psychologue que celle à
laquelle nous avons l’habitude de faire référence. Le
psychologue, ce n’est pas uniquement un face à face avec un
patient. La psychologie fait référence à une multitude
d’approches et la psychologie sociale du travail et des
organisations engendre des interventions qui se situent
essentiellement au niveau des collectifs et des organisations, ce
que l’on nomme la prévention primaire et secondaire.
Quel est justement le rôle du psychologue dans le champ
de la santé au travail ?
MM : Son rôle varie en fonction de son statut et
des structures au sein desquelles il intervient et exerce. Selon
qu’il soit en libéral, qu’il exerce en service de santé au
travail, qu’il soit salarié au sein d’une organisation publique
ou privée ou encore qu’il soit enseignant-chercheur, les marges
de manœuvre et les pratiques du psychologue du travail sont
différentes. Ses missions vont de la sensibilisation au conseil,
jusqu’aux interventions en prévention pour soutenir des processus
de transformation dans les organisations. Il peut aussi être
amené à faire de la prévention tertiaire, en soutien aux
personnes en souffrance au travail ou en épuisement
professionnel. Le psychologue en santé au travail intervient
auprès des employeurs, des salariés, des CSE, etc.
Avez-vous des exemples ?
MM : Le psychologue peut accompagner les acteurs
d’une organisation dans la réflexion autour de l’aménagement du
lieu de travail en lien avec la dangerosité de l’activité. Quand
il y a un déménagement ou une modification du lieu de travail,
c’est important de le faire à partir de l’activité des uns et des
autres, de manière à intégrer la prévention dans l’organisation
future du travail et des lieux de travail.
CJ : Autre exemple, nous avons mené une
recherche-intervention pilote auprès de personnels de deux
services de scolarité d’une université. L’idée était de
comprendre les différents facteurs de risques auxquels cette
catégorie de personnel est exposée. En l’occurrence, il
s’agissait notamment du manque de reconnaissance, de l’insécurité
au travail (dans la mesure où plusieurs personnes étaient dans
des contrats à durée déterminée), des difficultés face à un
management insuffisamment à l’écoute, de la multiplicité des
activités et des pics d’activité (inscriptions, examens,
etc.).
Cette étude a permis la mise en place d’un vaste plan de
prévention des Risques Psychosociaux (RPS) dans cette
organisation.
MM : On remarque justement que l’intégration des
RPS dans le Document Unique (DU) est un élément récurrent dans le
travail des psychologues au travail qui ont développé une
expertise assez approfondie sur ce point. S’il est encore courant
d’entendre que le sujet est trop complexe et qu’il est difficile
d’inclure les RPS dans le DU, il s’agit pourtant d’un
accompagnement que les psychologues réalisent régulièrement au
sein de TPE et de PME.
Dans votre ouvrage vous parlez de « mutations
contemporaines ». De quoi s’agit-il exactement ?
MM : Cela concerne évidemment tout ce qui
rejoint l’individualisation très forte dans le cadre du travail :
les modalités d’évaluation, de rémunération, l’organisation du
travail très découpée jusqu’à la micro-tâche… Mais aussi le monde
du travail mondialisé avec des chaines de sous-traitance qui
peuvent être extrêmement longues et qui posent la question de la
responsabilité de la prévention et de la sécurité, etc. Il y a
une nécessité de savoir comment on peut continuer à faire du
collectif dans un monde du travail de plus en plus découpé,
rapide et où, l’un des crédos principaux, est la performance sans
limite.
CJ : Nous faisons aussi référence aux mutations
qui sont liées au passage de l’intérêt porté à la santé physique
pour arriver au focus mis sur la santé mentale dans les années
2000, avec ce que l’on a nommé les RPS, puis, dans les années
2010, à l’intérêt porté à la qualité de vie au travail. Nous
avons fait un travail de recensement méthodique, mais sûrement
non exhaustif, des textes (lois, rapports, accords nationaux
interprofessionnels, etc.) pour tracer l’évolution de ces
différents focus.
À la fin de votre ouvrage, vous donnez des perspectives
sur l’avenir du psychologue dans le champ de la santé au
travail.
MM : Ce livre permet en effet de confirmer
l’expertise développée par les psychologues du travail (et des
psychologues cliniciens) dans le champ de la santé au travail. Il
permet aussi de voir que nous couvrons un large pan
d‘interventions articulant organisation du travail, collectif et
individuel.
CJ : L’autre enseignement que nous pouvons
tirer, c’est qu’à la lecture des enjeux, nous voyons bien que les
psychologues du travail vont devenir assez incontournables sur
plusieurs sujets comme le maintien dans l’emploi ou la prévention
de la désinsertion professionnelle, mais aussi sur les questions
liées à l’intelligence artificielle ou encore à la reconception
d’organisations de travail.
MM : La responsabilité sociétale des entreprises
(RSE) est aussi un sujet important dont les psychologues du
travail doivent se saisir. Nous avons des compétences en termes
de compréhension et d’analyse du travail et pouvons proposer de
véritables approches responsables en termes de développement
d’organisation, de structuration d’organisation respectueuses des
hommes et des femmes mais aussi de l’environnement dans lequel
s’inscrit l’entreprise.