Dans toutes les entreprises quelques soit leur taille ou leur
activité, la démarche d’analyse et d’évaluation des risques est
capitale, et ne cesse d’ailleurs d’être rappelé à juste titre
dans le cadre de la crise sanitaire, dans la mesure où elle guide
l’arbitrage des mesures de prévention à mettre en œuvre.
Elle constitue en outre au plan juridique un marqueur essentiel
en termes de responsabilité, et d’appréciation du respect de
l’obligation de sécurité-prévention de l’employeur.
L’exigence de formalisme, sous l’angle d’une retranscription
obligatoire dans le document unique d’évaluation des risques,
tend à occulter le fait qu’il s’agit avant tout d’une démarche
constructive d’approche par les risques, avec pour corollaire
d’être souvent vécu comme une pure « contrainte documentaire »
administrative, notamment dans les TPE/PME.
Cela étant, il faut bien considérer que ce rôle pivot du document
unique va être renforcé.
Au terme de longues discussions, les partenaires sociaux ont
trouvé un consensus dans le cadre de l’accord national
interprofessionnel conclu le 9 décembre 2020, « pour une
prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé
au travail et conditions de travail ».
Sans entrer dans tout le détail de son dispositif, cet ANI vient
rappeler que « le DUERP est l’outil indispensable de la
prévention », et constitue la base d’un plan d’action nécessitant
de mobiliser des moyens nécessaires sur le plan technique humain
et financier (il aurait été utile d’y ajouter la dimension
organisationnelle, tant cet aspect est structurant).
Sur la méthode, il rappelle que le DUERP résulte d’une approche
collective de la prévention dans le cadre du dialogue social,
même si in fine, il revient à l’employeur de choisir la méthode
appropriée pour inscrire son plan d’action dans la durée et dans
une optique de progrès continu.
Partant de ces principes, l’accord entend faire également du
document unique la base du plan de « traçabilité collective »,
notamment sur le terrain de l’évaluation et du suivi des
expositions au titre du risque chimique.
De manière originale, un groupe de députés à l’Assemblée
nationale a souhaité déposer une proposition de loi (n° 3718 pour
renforcer la prévention en santé au travail), afin de transposer
les dispositions de cet ANI dans la loi et notamment le Code du
travail.
Voici un avant-goût du projet de retranscription législative
concernant le document unique d’évaluation des risques
professionnels :
Tout d’abord, précisons que l’économie générale de l’obligation
de sécurité et des principes généraux de prévention, parmi
lesquels figure l’évaluation des risques qui ne peuvent être
évités, n’est pas modifiée par ce projet.
En revanche, l’article de référence (C. Trav., L4121-3) serait
complété pour renforcer la collégialité dans la démarche
d’évaluation des risques (même si son impulsion relève de
l’initiative et de la responsabilité de l’employeur), en en
faisant un objet du dialogue social, à trois niveaux :
- En présence d’un CSE, et le cas échéant d’une CSSCT, les élus
viendraient apporter leur contribution à
l’analyse des risques dans l’entreprise ;
- De son côté, le SPST (service de prévention et de santé au
travail selon la nouvelle appellation des services de santé au
travail consacrée par la réforme) viendraient apporter son
aide à l’évaluation, sa mission étant par
ailleurs étendue au fait d’apporter son aide à l’évaluation et à
la prévention des risques professionnels dans l’entreprise, de
manière pluridisciplinaire ;
- En troisième lieu, le « référent » prévention (salarié compétent désigné par l’employeur pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels dans l’entreprise) pourrait être sollicité pour apporter son concours.
Au travers de cette nuance sémantique (triptyque « contribution
»/ « aide »/ « concours »), les niveaux d’implication seront
différents.
En pratique, on peut douter que cela change fondamentalement les
choses dans la mesure où actuellement, les CSE ont déjà pour
mission dans le champ de la santé sécurité au travail de procéder
à l'analyse des risques professionnels auxquels peuvent être
exposés les travailleurs, notamment les femmes enceintes, ainsi
que des effets de l'exposition aux facteurs de risques
professionnels.
Par « contribution », le législateur entend manifestement
privilégier une logique de concertation, sans instaurer
expressément une obligation spécifique d’information-consultation
préalable, ce qui contribue à maintenir une certaine ambiguïté
sur la procédure à suivre.
Observons toutefois que l’objectif étant de renforcer le dialogue
social dans le champ de l’évaluation des risques professionnels,
l’avis de l’instance plénière (c’est-à-dire en CSE et pas
simplement en CSSCT) restera toujours à privilégier compte tenu
des enjeux en termes de consensus et d’appropriation du document
unique, indispensable pour développer la culture sécurité dans
l’entreprise.
Bien sûr, encore faut-il que les partenaires sociaux acceptent de
jouer le jeu et d’avoir une participation constructive et active,
ce qui nécessite d’une part, d’entretenir la confiance dans le
dialogue social, et d’autre part de favoriser un niveau de
formation suffisant (point sur lequel la loi viendrait également
renforcer la durée minimale de formation des élus en santé,
sécurité et conditions de travail).
En revanche, des modifications plus profondes seraient apportées,
avec l’ajout d’un nouvel article L4121 3-1 dans le Code du
travail, prévoyant que :
« I. – Le document unique d’évaluation des risques
professionnels répertorie l’ensemble des risques
professionnels auxquels sont exposés les travailleurs,
organise la traçabilité collective de ces
expositions et comprend les actions de
prévention et de protection qui en découlent, regroupées dans un
programme annuel de prévention.
II. – L’employeur transcrit et met à jour dans le document
unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et
la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application
de l’article L4121 3.
Les organismes et instances mis en place par la
branche peuvent accompagner les entreprises au
moyen de méthodes appropriées aux risques
considérés et de documents d’aide à la rédaction.
III. – Les résultats de cette évaluation débouchent sur un
programme annuel de prévention des risques professionnels
et d’amélioration des conditions de travail, qui
:
1° Fixe la liste détaillée des mesures devant être
prises au cours de l’année à venir qui comprennent les
mesures de prévention des effets de l’exposition aux facteurs de
risques professionnels, ainsi que, pour chaque mesure, ses
conditions d’exécution et l’estimation de son coût ;
2° Identifie les ressources de l’entreprise
pouvant être mobilisées ;
3° Comprend un calendrier de mise en
œuvre.
IV. – Le document unique d’évaluation des risques
professionnels et ses versions antérieures
:
1° Sont conservés par l’employeur ;
2° Sont tenus à la disposition des instances et personnes
énumérées par décret ;
3° Sont remis à sa demande au salarié ou à
l’ancien salarié selon des modalités fixées par décret.
»
Si l’employeur et les autres parties prenantes disposent d’une
marge de manœuvre pour le choix des méthodes d’analyse, force est
de constater qu’en termes de contenu, les exigences seraient
renforcées.
À noter que les branches pourront dans ce cadre mettre à
disposition des entreprises, notamment à destination des TPE/
PME, des outils pratiques pour faciliter la démarche (il n’est
toutefois pas prévu en l’état, comme c’est le cas en matière de
plan d’action anti-pénibilité, de dispositif de référentiel de
branche opposable qui permettrait de sécuriser la démarche des
entreprises – cf. C. Trav., L4163-2).
Observons qu’il y a en tout état de cause une logique à ce que le
document unique intègre les mesures concrètes de prévention
existantes et envisagées, dans la mesure où celles-ci sont
l’aboutissement naturel de la démarche d’analyse. Cette exigence
sous-entendue est largement appliquée dans la pratique. Demain,
si le texte aboutit en l’état, il s’agira d’une obligation forte
dont le non-respect sera passible de sanctions, sachant que les
agents de contrôle de l’inspection du travail disposeront ainsi
d’un fondement juridique pour relever une non-conformité.
Les petites structures auront particulièrement intérêt à se faire
accompagner dans ce cadre afin de structurer au mieux leur
démarche.
Toutes les entreprises, et pas uniquement celles disposant d’un
CSE, devront ainsi justifier qu’elles ont établi et mis à jour
chaque année un programme annuel de prévention, lequel devra être
consistant et en cohérence avec l’évaluation des risques, la
difficulté étant de prendre le parti de faire des arbitrages et
prioriser les actions. L’avenir dira quel regard pourront porter
les juridictions sur les mesures ainsi décidées par l’employeur.
Si bien entendu, il ne saurait être question de faire des
économies au détriment de la santé et de la sécurité du
personnel, les moyens dont disposent les entreprises sont
toujours limités, ce qui nécessitera certainement de prévoir des
mesures compensatoires lorsque certains investissements doivent
être différés.
Cette démarche sera donc particulièrement impliquante pour les
dirigeants d’entreprises et devra être traitée en comité de
direction.
Ajoutons qu’en termes de risque, à l’instar des fiches
d’exposition, la fonction de traçabilité des expositions
(entendue ici de manière collective et non individuelle) risque
d’alimenter fortement le contentieux puisque l’employeur devra
conserver toutes les générations de document unique, a priori
sans limitation de durée, avec possibilité pour les travailleurs
et anciens collaborateurs d’en demander une copie, laquelle
jouera un rôle probatoire capital dans le cadre des futurs
contentieux.
Cela préfigure un accroissement des risques juridiques pour
l’entreprise, à charge pour elle d’agir très concrètement en
faveur de l’effectivité de la prévention.
Affaire à suivre dans le cadre des débats parlementaires.