Le lean manufacturing, l’arme anti-crise : mythes et réalités

par Christian Hohmann, expert de l’excellence opérationnelle

DOSSIER
ORGANISATION DE LA PREVENTION || Management SST / 01/11/2012

Le Lean ne constitue en aucun cas un abri anticrise, car la survie d’une entreprise dépend avant tout des bénéfices issus de ses ventes.
Bien qu’une entreprise Lean puisse espérer une meilleure profitabilité de par son efficience et par son positionnement concurrentiel, une entreprise parfaitement Lean sans commandes ne peut espérer survivre. La loi de l’offre et de la demande s’applique avec plus de rigueur encore durant les périodes difficiles, la leanitude est par conséquent une condition de survie favorable, mais non suffisante en temps de crise.
Ces rappels faits, quels conseils peut-on donner face à une période difficile ?


Sautez le pas !

Le premier concerne les entreprises peu avancées en matière de transformation Lean et consiste à utiliser la crise comme catharsis pour évacuer les craintes et hésitations face au changement. Ces dernières sont d’autant plus fortes que la situation n’est pas perçue comme grave, sérieuse.
En effet, il est humain de préférer le maintien du confort relatif d’une organisation et des modes de fonctionnement connus. Ce frein au changement puissant demeure tant que les circonstances ne commandent pas de changer radicalement et sans délai.
La gravité de la situation, réelle ou dramatisée, peut ainsi être utilisée pour engager une transformation, qui dans d’autres circonstances se serait heurtée à de fortes résistances.
Il faut ensuite engager une transformation ambitieuse, car non seulement un tel moment favorable peut ne plus se présenter, mais une crise va raffermir les entreprises réellement Lean par rapport à celles qui n’ont déployé que de la « cosmétique Lean ».


Veillez à votre réseau !

Le second conseil s’adresse à toutes les entreprises, particulièrement à celles qui, avancées en matière de Lean, risquent de se complaire dans son illusoire protection.
Le retour d’expérience de la crise de 2008-2010 montre que, dans bien des cas, les pertes de commandes et les allongements de délais de paiement cumulés ont eu un effet domino funeste sur la chaîne d’approvisionnement, causant la défaillance de fournisseurs, certains stratégiques. Ces défaillances impactent par ricochet l’entreprise cliente qui elle-même, isolément, demeurait relativement épargnée. Dans un tel cas, la conséquence d’une défaillance d’un partenaire stratégique est relativement identique, que l’entreprise cliente soit Lean ou pas.

Le conseil est donc de vérifier scrupuleusement la robustesse de sa Supply Chain, d’aider au déploiement Lean les fournisseurs stratégiques qui le nécessitent et le méritent et/ou d’étudier des scénarios alternatifs en cas de défaillance de certains maillons.


Veillez à la réactivité et à l’agilité de l’entreprise

Le troisième conseil est de veiller à la réactivité et à l’agilité de l’entreprise. En effet, dans une période turbulente telle que durant une crise, les incertitudes et les pertes de confiance conduisent à la réduction de la visibilité. Les commandes fluctuent, majoritairement à la baisse, avec des préavis de plus en plus courts, voire nuls. Il existe néanmoins des cas d'augmentations brusques de demandes, notamment dans le cadre de reports de commandes initialement passées à des fournisseurs défaillants ou trop lents à réagir.
Les difficultés des concurrents sont des opportunités à exploiter pour asseoir une réputation de fournisseur réactif, fiable. Sans compter que face à ses propres difficultés, un client peut accepter de payer les dépannages au prix fort. Ce dernier levier étant à utiliser avec intelligence, car autant un client pourra se souvenir favorablement d’un dépannage en temps difficiles, autant il se souviendra avec certitude et défavorablement s’il se sent pris en « otage ».


Mises en garde et rappels aux décideurs et managers

Le quatrième conseil est fait d’une série de mises en garde et rappels qui visent les décideurs et managers.


Gardez vos ressources sous tension positive

Les périodes de sous-charge procurent aux entreprises des opportunités pour travailler sur des projets d’améliorations avec les ressources humaines disponibles. En temps ordinaires, de trop nombreuses initiatives achoppent sur le manque de disponibilité des acteurs ou sur la priorité donnée à un fonctionnement quotidien pourtant sub-optimal.
Les améliorations permettent de préparer la reprise, l’avenir. Gare à la tentation de stopper les actions de progrès engagées, les formations, etc.


Revisitez vos processus, organisations et modes opératoires

Rappelons également que Lean est une démarche qui s’autofinance au travers des économies réalisées, ce qui la met en position très favorable en période de crise où les dépenses sont fortement réduites et les crédits difficiles à obtenir. Les gaspillages sont un « luxe de riches » que les entreprises peuvent se permettre moins que jamais dans une situation de crise, dans laquelle les gaspillages y compris ceux négligés jusque-là deviennent des opportunités, des priorités du moment.


Visez le long terme et la pérennité

Le management démontre ses réelles qualités dans la gestion des temps difficiles. Il démontre sa légitimité et mérite l’adhésion des subordonnés par son exemplarité et son engagement sur le long terme. Attention à ne pas utiliser les outils du Lean dans une optique purement productiviste, sans déployer la philosophie qui les lie, faute de quoi les acteurs continueront à vivre les désillusions successives de ce qu’ils peuvent ressentir comme la nouvelle mode du moment.


En guise de conclusion

Si l’on admet, à la lueur de ces quelques indications, que le Lean ne constitue pas un abri anticrise, l’effet psychologique du Lean sur les personnels semble lui, indéniable, car 96 % des participants à l’édition 2009 de l’étude européenne « Automotive Lean Production » pensaient que le Lean aide à surmonter une crise.
Le retour d’expériences de celle de 2008-2010 devrait livrer des indications intéressantes sur les mythes et réalités entourant cette question et valider ou non l’hypothèse d’une meilleure résistance des entreprises Lean et de leur résilience face à la crise.


Retrouvez Christian Hohmann sur son site web http://chohmann.free.fr et son blog http://hohmann.over-blog.com

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