Thomas Schauder - : Notre temps libre est symptomatique de l’absence de sens de notre travail

Notre temps libre est symptomatique de l’absence de sens de notre travail

MANAGEMENT RH / QVT || Risques psychosociaux
/
06/03/2020
Thomas Schauder -
Thomas Schauder
professeur de philosophie

Écrivain et professeur de philosophie, Thomas Schauder s’intéresse plus particulièrement à notre rapport au temps libre. Ce temps est-il réellement « libre » aujourd'hui ou n’est-il que le revers de notre temps de travail ?

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ce sujet du temps libre ?
A partir d’un constat, en observant mes concitoyens. Aujourd’hui notre société est toute entière conditionnée par notre organisation du travail. Peut-on exister en dehors du travail et comment envisager la vie en dehors du travail ? C’est une question à la fois personnelle, éthique et politique.
Nous accordons beaucoup d'importance au travail, alors qu'il provoque de plus en plus de souffrances psychiques et qu'il perd son sens. Je le constate tous les jours avec mes collègues enseignants, qui ont la sensation de perdre de plus en plus l’essence même de leur métier : transmettre un savoir. Le paradoxe, c'est que la productivité est telle que nous pourrions travailler beaucoup moins tout en conservant un mode de vie équivalent. Sans parler de la crise écologique qui devrait, si nous étions rationnels, nous conduire à produire et à consommer moins.

Pourquoi notre rapport au temps libre a-t-il changé du fait de cette évolution de notre travail ?
Notre temps libre est devenu un temps de consommation et donc de travail aussi. Nous ne savons plus comment « ne rien faire » alors nous « faisons rien » : jouer sur notre smartphone, consommer de la télé-réalité, acheter sur internet… Se vider la tête pour pouvoir affronter la réalité de notre travail le lendemain.
Le temps libre est juste employé à le passer. Ce n’est pas un temps de liberté, que l’on pourrait utiliser pour se réaliser en tant qu’être humain en réfléchissant, en nous cultivant, en rêvant. Là encore, on « fait-rien », on s'occupe… et on enrichit l'industrie du divertissement !

Comment peut-on changer la donne ?
Je soutiens l'idée qu'il vaudrait mieux « ne rien faire » que « faire-rien », c'est-à-dire que le couple produire-consommer ne soit plus le cœur de notre existence. Pour cela, des solutions existent déjà, il suffit de les redécouvrir et de s'en emparer : s'investir dans une association, dans la vie politique locale, cultiver son jardin, explorer des savoirs et des savoir-faire « inutiles »… Il faut remettre la politique (au sens noble du terme) et la culture au centre, revaloriser l'authenticité et la beauté plutôt que le seul enrichissement personnel.
La crise écologique actuelle va, je l’espère, provoquer un sursaut et nous pousser à réagir pour inventer ensemble une société qui soit plus juste et plus émancipatrice, basée sur le partage et la créativité.

En savoir plus

  • La société de consumation. Pour une politique de l'oisiveté, Editions Marie B., Lignes De Repères, à paraître en mai 2020