Michel Debout - : « Le confinement a créé des dévalorisations, des replis, des désocialisations et derrière tout ça il y a des pensées suicidaires »

« Le confinement a créé des dévalorisations, des replis, des désocialisations et derrière tout ça il y a des pensées suicidaires »

MANAGEMENT RH / QVT || Risques psychosociaux
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08/04/2021
Michel Debout  -
Michel Debout
Spécialiste de la prévention du suicide et des souffrances au travail

Michel Debout, professeur émérite de la médecine légale et du droit de la santé, spécialiste de la prévention du suicide a réalisé une étude en partenariat avec l’IFOP, pour vérifier si la crise Covid, par son effet sur l’économie et le travail, allait provoquer un risque suicidaire élevé.

Spécialiste du suicide et des souffrances au travail, Michel Debout sait que depuis 1929, il y a un lien entre crise économique et sociale et risque suicidaire. Lors de la crise de 1929, il y a eu une surmortalité par suicide dans les années 31/32. La même observation a été faite pendant la crise de 2008. Pour vérifier si cela va se produire à la suite de la crise de la Covid-19, Michel Debout et l’IFOP ont mené une étude en septembre 2020, soit entre le premier et le deuxième confinement, sur les pensées suicidaires des Français.

Qu’avez-vous constaté avec cette étude ?
Ce que j’ai remarqué c’est que ce que l’on a appelé confinement 1 et 2 n’étaient pas du tout les mêmes situations. Pendant le confinement 1, c’était « Restez chez vous ». Personne ne travaillait, sauf par télétravail, mais c’était encore le début. Il y a eu un arrêt de l’activité économique et sociale. Seuls certains métiers étaient indispensables. Pendant le confinement 2, qui à mon avis n’en était pas un, c’était « Tous au travail », sauf quelques métiers (de la restauration, événementiel, culture…).  Ces métiers-là ont eu l’impression de mesures discriminatoires. Plutôt que de créer de la solidarité entre les Français - comme au premier confinement où nous faisions front ensemble face au virus – cela a créé du chacun pour soi. On a créé de « l’archipellisation » des Français.

Quelles sont les conséquences d’un tel phénomène ?
Cette situation a créé des dévalorisations, des replis, des désocialisations et derrière tout ça il y a des pensées suicidaires.
Des groupes de la population sont plus atteints par les pensées suicidaires que la moyenne de la population. Il s’agit des chômeurs, des jeunes dont les étudiants et tous ceux qui travaillent dans les activités qui sont empêchées.
Un sentiment d’injustice est né et il a deux conséquences. Une dépressive : je ne vaux rien, je ne suis pas au niveau et une autre colérique : on est en colère contre le système, on ne peut pas sortir de cette précarité, on ne voit pas la fin, il n’y a aucune perspective.

Quelles solutions à mettre en place ?
Il faudrait que chaque chômeur puisse rencontrer un médecin dans les deux mois qui suivent sa perte de travail, pour faire un bilan de son état et voir les conséquences de cette perte d’emploi sur son état général et psychique. Pour dire aux chômeurs « on ne vous laisse pas tomber ».
Pour les étudiants, il faut reconstruire les espaces de rencontre, pour lutter contre le problème d’isolement. Quand vous faites du téléenseignement toute la journée et que vous n’avez plus le droit de sortir, vous n’avez plus de lieux pour échanger, pour vivre. Il faut donc donner des espaces de rencontre aux jeunes.
Enfin, concernant ceux qui ne peuvent plus travailler, il faut se focaliser sur la santé des dirigeants de petite entreprise. Eux sont très marqués par la situation économique. La perte de l’emploi veut dire un dépôt de bilan, l’abandon d’un projet. Il faut mettre en place, avec les chambres des métiers par exemple, des messages de solidarité, de rencontres, « on va vous aider pas seulement financièrement mais aussi humainement ». La réponse est dans le lien humai, - parfois spécifique avec le médecin, un soignant, un psychiatre ou non spécifique avec les collègues, les confrères, les amis - qui permet de continuer de vivre dans une société.

Ceux qui ont repris le travail sont-ils épargnés par les pensées suicidaires ?
Pour eux, on observe des situations de travail qui sont difficiles. Le télétravail a des côtés positifs mais est aussi rejeté lorsqu’on le présente comme l’alternative au travail en présentiel. Les gens veulent travailler quelque part, avec d’autres, ils veulent voir leurs collègues, etc.
Quand l’organisation du travail ne répond pas aux attentes des personnes vous avez des situations de sur-stress, de burn-out. Les conditions de travail qu’on vous impose ne correspondent pas à ce que vous attendez. Il faut produire, sur-produire même. Il existe une pression sur la production qui donne souvent du harcèlement moral au travail.

Que préconisez-vous ?
Il a fallu attendre novembre pour que le ministre de la Santé parle de santé mentale et de traumatismes. Il aurait fallu prendre des mesures dès le début de l’été 2020. Il y a un manquement coupable des autorités sanitaires.
Il faut des mesures de prévention pour éviter les passages à l‘acte suicidaire mais aussi des mesures pour éviter les effets de la colère sur l’ordre social lui-même. C’est le psychisme de l’humain qui est mis en tension. Il suffit d’une goutte pour que tout déborde. Et cela donne de la violence. Contre soi, ce qui conduit au suicide ou contre autrui.