Expertise santé-sécurité du CSE : de l’agrément à l’habilitation, qu’est-ce que cela change ?

MANAGEMENT RH / QVT || Réglementation / droit social
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15/10/2020 - Sébastien MILLET

Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le comité social et économique (CSE) peut, outre le recours à un Expert-comptable, faire appel à un expert « habilité » dans 3 cas de figure, dont deux concernent la santé, la sécurité et les conditions de travail


  1. Lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement (dans ce cas, l’expertise est financée à 100% par l’employeur, sauf annulation judiciaire) ;

  2. En cas d'introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (parallèlement à la procédure d’information-consultation du CSE, rendue obligatoire dans cette hypothèse – dans ce cas, l’expertise est en principe cofinancée par le CSE à hauteur de 20%) ;

  3. Également, dans les entreprises d'au moins 300 salariés, en vue de préparer la négociation sur l'égalité professionnelle (nous n’aborderons pas ici ce cas d’expertise).

Le CSE, instance fusionnée, a ainsi hérité de cette prérogative dont disposait l’ancien CHSCT.

Toutefois, la réforme issue des ordonnances Macron ne s’est pas exactement opérée ici à droit constant, puisque l’expert, qui devait à l’origine disposer d’un agrément auprès du Ministère du travail pour être valablement désigné, devra dorénavant être certifié (C. Trav., R2315-51 et 52).

La nuance, de taille, se traduit par d’importants changements fixés par l’arrêté du 7 août 2020 relatif aux modalités d’exercice de l’expert habilité auprès du CSE.

 

1°) Ce qui change sur le papier : nouveau processus de certification plus exigeant pour les experts

Sans entrer dans tous les détails du texte, voici un résumé comparatif avant/ après :

 

Expert agréé
(ancien régime)

Expert habilité
(nouveau régime à compter du 1er janvier 2020)

Objet de l’expertise

 

Eclairer ses membres sur les champs ci-dessous :

  • En leur apportant une information claire, précise et impartiale, avec des éléments d’information lisibles et objectifs leur permettant de formuler un avis éclairé (à cette fin, l’expertise doit favoriser les échanges entre l’employeur et les élus et « réduire l’asymétrie des connaissances ») ;
  • En établissant un diagnostic ;
  • En présentant des propositions d’actions et des solutions concrètes sur la base de celui-ci.

Le cas échéant, l’expertise intègre une vision globale de la santé au travail en tenant compte des questions liées notamment :

  • A l’organisation et la finalité du travail ;
  • Au rôle de l’encadrement ;
  • A la politique de prévention des risques professionnels menée par l’employeur. 

 

Précisément, la finalité de l’expertise est exprimée en 6 points d’attendus : 

  • Analyser les situations de travail ;
  • Evaluer les risques professionnels et, le cas échéant, les événements accidentels ;

 

  • Evaluer les incidences pour les travailleurs, de la mise en place d’un projet important ou de l’introduction d’une nouvelle technologie ;
  • Identifier les opportunités qui permettraient, notamment, d’améliorer les conditions de travail et d’emploi, l’organisation, la santé au travail et la prévention des risques professionnels ;

 

  • Formuler des recommandations en la matière (qui doivent être objectivement fondée à partir d’un diagnostic) ;
  • Restituer sous forme écrite et orale au CSE les conclusions de l’expertise (en apportant notamment la « démonstration du diagnostic et des recommandations formulées »).

 

Objet de la certification

 

  • Habiliter l’organisme expert à conduire les expertises sur la base d’un système de management de la qualité.

 

  • Attester qu’il dispose des compétences nécessaires pour répondre à la demande d’expertise formulée par le CSE

Domaines

L’agrément porte sur l’un ou l’autre des domaines suivants :

  • Santé et sécurité au travail ;
  • Organisation du travail et de la production.

La certification doit porter sur au moins un des domaines suivants :

  • Organisation du travail (dont les équipements de travail) ;
  • Environnement de travail (y compris les expositions chimiques, physiques et biologiques) ;
  • Egalité professionnelle. 

Autorité chargée de délivrer le titre

Ministère du travail (après avis du COCT)

Organisme certificateur titulaire d’une accréditation pour la certification du système de management de la qualité d’organismes experts (type COFRAC).

Durée de l’agrément

5 ans maximum (renouvelable)

A noter : des dispositions transitoires ont été prévues jusqu’au 31 décembre 2021 afin de sécuriser les agréments en cours.

5 années maximum avec surveillance annuelle et audit annuel sur site.

Pouvoir de contrôle de la DGT.

Conditions de délivrance

Agrément délivré sur dossier (expérience professionnelle, compétences du demandeur, pertinence des méthodes d'intervention proposées, engagements déontologiques relatifs à la prévention des conflits d'intérêts et à la pratique professionnelle de l'expertise, compatibilité de l'agrément demandé avec les activités du demandeur autres que d'expertise).

Processus séquencé (cf. annexe 4 de l’arrêté du 7 août 2020)

Preuve par l’organisme candidat de sa capacité à exercer les missions d’expertise conformément au référentiel de certification découlant des nouvelles règles.

 

Obligations administratives de l’expert

Adresser chaque année avant le 31 décembre au Ministre du travail la liste des expertises réalisées au cours de l'année civile écoulée, ainsi qu’une copie des rapports (sur demande).

Mise en place :

  • D’un système de management de la qualité ;
  • De procédures idoines (cf. autocontrôle interne de la qualité et la pertinence des expertises, traitement dans un délai de 1 mois des plaintes et réclamations, etc.) ;
  • De moyens organisationnels, humains et matériels adaptés

Obligation d’assurance de responsabilité civile. 

Communication et mise à jour de la liste des chargés de projet qualifiés selon le domaine d’expertise, et des sous-traitants potentiels.

Réalisation d’un audit de surveillance annuel.

Transmission annuelle à l’organisme certificateur un bilan de ses activités.

Obligations de l’expert vis-à-vis des parties

Soumission au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication dont il aurait eu connaissance dans le cadre de l’expertise

Désignation formalisée pour chaque expertise d’un chargé de projet qualifié (pouvant encadrer une équipe de travail composée de salariés disposant d’une compétence spécifique), et information du CSE mandant.

Le rôle du chargé de projet est central dans la conduite opérationnelle de l’expertise, puisqu’il doit être en mesure :

  • D’appréhender les aspects techniques de l’expertise ;
  • De comprendre les ressorts du dialogue social ;
  • De conduire une expertise, de l’analyse des besoins à la restitution de l’expertise ;
  • D’identifier si besoin les compétences spécifiques nécessaires lorsqu’il ne les détient pas en propre ;
  • D’organiser le travail de l’équipe ;
  • De choisir les méthodologies d’expertise adaptée à la demande du CSE (selon cahier des charges conforme à l’annexe 3 de l’arrêté du 7 août 2020) ;
  • D’organiser les analyses du travail pertinentes et mettre en place les entretiens permettant de recueillir les points de vue des acteurs de l’entreprise ;
  • De vérifier la pertinence des travaux exécutés ;
  • De restituer le résultat de l’expertise au CSE dans le respect des délais. 

Respect du cadre réglementaire de déontologie professionnelle défini à l’annexe 2 de l’arrêté du 7 août 2020 (notamment en matière de confidentialité, de responsabilité, d’indépendance et de prévention des conflits d’intérêt).

Interdiction de proposer des prestations en rapport avec les conclusions de l’expertise à l’issue de la mission. 

Sous-traitance de la mission

* Rappelons qu’en cas d’expertise « multi-champs », la loi prévoit l'établissement d'un rapport d'expertise unique (C. Trav. L2315-85, 2° et R2315-48). L'expert désigné peut s'adjoindre la compétence d'un ou plusieurs autres experts sur une partie des travaux ; il doit alors vérifier qu’ils disposent des compétences ou de l'habilitation nécessaire.

Possible pour une partie des travaux, au profit :

  • Soit d’un autre expert agréé ;
  • Soit d’un organisme habilité à réaliser des contrôles techniques ou des vérifications de conformité dans le cadre de la réglementation relative à la santé et la sécurité au travail (à condition qu’il n’ait pas procédé précédemment à un contrôle ou vérification dans l’entreprise concernée).

Possible pour une partie de la mission, sous réserve de justifier :

  • Soit de compétences (diplôme sanctionnant au moins 5 ans d’études supérieures dans les domaines de la santé, de la sécurité ou de l’organisation du travail, ou dans une matière relevant des sciences humaines et sociales et liée au travail) ;
  • Soit d’une expérience professionnelle d’au moins 5 années au sein d’un organisme expert agréé ou certifié, ou dans le domaine de la gestion des ressources humaines ou du droit du travail. 

Le sous-traitant intervient sous l’autorité du responsable de l’organisme expert certifié, qui doit s’assurer :

  • De son indépendance vis-à-vis de l’employeur et des représentants du personnel ;
  • Du respect de la déontologie applicable. 

 

Délai de restitution des travaux

Les délais sont encadrés par les textes (C. Trav., R2315-47) :

  • Expertises dans le cadre d’une consultation du CSE : au plus tard 15 jours avant l'expiration des délais d’avis implicite (2 ou 3 mois selon les cas, sauf accord d’adaptation contraire)
  • Autres expertises (ex : pour risque grave) : sauf accord contraire, délai de 2 mois à compter de la désignation (délai éventuellement renouvelable par accord pour une durée maximale de 2 mois).

 



2°) Ce que ces changements impliquent en pratique pour les entreprises :  
Tant sur le fond que sur la forme, ce nouveau cadre réglementaire met clairement l’accent sur la qualité de l’expertise (au travers d’exigences de méthodologie, transparence, objectivité factuelle à l’exclusion de tout jugement de valeur, pédagogie, etc.), l’objectif étant de la rendre plus acceptable et pacifiée.
Force est de constater que l’intervention d’experts du CSE est très souvent source de frictions importantes avec l’expert et son mandant, qui rejaillissent négativement sur le dialogue social, pour des questions de principe, mais aussi de budget, de périmètre, ou encore de méthodologie.
L’entreprise n’est pas tenue de « subir » l’expertise, mais doit le cas échéant être particulièrement réactive, compte tenu des délais très brefs qui lui sont impartis pour contester l’expertise devant le Tribunal judiciaire compétent, à savoir 10 jours à compter :

  • Soit de la délibération décidant le recours à l'expertise si l’objectif est de contester la nécessité de l'expertise ;
  • Soit de la désignation de l'expert si la demande a pour objet de contester le choix de l'expert ;
  • Soit de la notification à l'employeur du cahier des charges, si l’employeur entend contester le coût prévisionnel, l'étendue ou la durée de l'expertise ;
  • Soit enfin de la notification du coût final de l'expertise (solde) si l’employeur « payeur » entend contester ce coût.

En lien avec son Avocat, l’employeur doit donc se tenir prêt à saisir le juge, sous peine d’être déclaré irrecevable. Précisons que la saisine par assignation suspend l'exécution de la décision d’expertise ainsi que le cas échéant, les délais de consultation du CSE (cf. C. Trav. L2315-86).

Si les contestations relatives au choix de l’expert habilité devraient rester relativement limitées dès lors que celui-ci aura obtenu le sésame de la certification, en revanche, les nouvelles exigences posées par l’arrêté du 7 août 2020 viendront certainement alimenter les possibilités de recours employeur : lettre de mission, conformité de la méthodologie d’expertise au regard de l’annexe 3 de l’arrêté du 7 août 2020, conduite et pilotage de l’expertise par le chargé de projet, sous-traitance, pertinence et utilité des conclusions formulées, etc.

Un nouveau front contentieux pourrait ainsi s’ouvrir à terme, alors qu’en parallèle, les potentialités d’expertise -notamment pour risque grave- n’ont jamais été aussi larges, alimentées en cela par la crise sanitaire et l’accélération des transformations d’entreprise …