L’établissement, cadre d’appréciation des obligations de l’employeur (précisions jurisprudentielles)

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11/03/2014 - Sébastien MILLET
L'établissement constitue un périmètre juridique fondamental, notamment en droit de la prévention des risques professionnels. Non défini par la loi ou la réglementation, il est généralement considéré comme une unité de lieu (critère géographique) au niveau de laquelle doit être déployée la politique de prévention, ce qui suppose que le chef d’établissement dispose du pouvoir de décision dans le domaine de la santé-sécurité au travail (critère d’autonomie).

Positionner les obligations au niveau de l’établissement permet une approche « terrain » en termes de prévention. Dans les entreprises ayant une pluralité d’implantations, l’enjeu est important et donne fréquemment lieu à contentieux.
Il a ainsi été récemment jugé que :

• Si l’employeur est tenu de procéder à l’évaluation des risques professionnels au niveau de chaque établissement, le fait de mener sa démarche sans coordination ni règles et procédures communes imposées à l'ensemble de ses établissements ne saurait lui être reproché en tant que tel. Le constat selon lequel chaque établissement disposait dans cette affaire d'une liberté d'action jugée anormale et préjudiciable à la protection de salariés exposés à des risques de violence psychologique ou physique en raison de la nature de leur travail, n’a pas été retenu en soi comme un manquement de l’employeur, dès lors qu’aucun manquement n’était caractérisé dans tel ou tel établissement (cf. Cass. Soc. 20 novembre 2013, n° 12-17240). En d’autres termes, il appartient à l’employeur de retenir, sous sa propre responsabilité et dans le respect des principes généraux de prévention (C. Trav., L4121-1 et suivants), la méthodologie la plus adaptée à chaque établissement, sans être tenu de définir un cadre général et uniforme de procédure au niveau « entreprise ». Quel que soit le mérite de cette solution en termes de souplesse et de pragmatisme, une politique d’ensemble paraît néanmoins opportune afin d’impulser l’action préventive et de bien la cadrer au niveau de chaque établissement. On peut sérieusement douter qu’une gestion « anarchique » de l’évaluation des risques, comme cela était relevé par les juges, puisse être réellement efficace en termes de prévention. La solution est donc en apparence assez surprenante du point de vue de la maîtrise des risques et contraste avec la doctrine habituelle de la Chambre sociale de la Cour de cassation. Elle s’inscrit toutefois dans la considération du critère d’autonomie de l’établissement.

• Le CHSCT doit être obligatoirement constitué dans tout établissement d’au moins 50 salariés (C. Trav., L4611-1). Légalement, l’unité naturelle à retenir est l’établissement (ou l’entreprise lorsque celle-ci est mono-établissement). Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, pas question toutefois d’utiliser la notion d‘établissement pour cantonner la mise en place d’un CHSCT au seul établissement employant 50 salariés et plus dans l’entreprise. La règle est dans ce cas adaptée, au nom du principe selon lequel « tout salarié employé par une entreprise dont l'effectif est au moins égal à 50 salariés doit relever d'un CHSCT » (Cass. Soc. 19 février 2014, n° 13-12207), quitte dans ce cas à devoir regrouper les petits établissements entre eux ou à les rattacher à d’autres plus importants de manière cohérente, afin d’atteindre le seuil d’effectif. Dans cette affaire, l’entreprise employait 1000 salariés, répartis sur une quarantaine de sites ayant un effectif en-deçà de la « barre » des 50 salariés, à l’exception d’un seul établissement. L’un des syndicats a contesté ce découpage aboutissant à ce que seulement 170 salariés sur 1000 soient couverts par un CHSCT. Considérant l’entreprise comme un établissement unique (les sites en question ne constituant pas des établissements distincts en l’occurrence), les juges imposent ici la mise en place d’un CHSCT unique (et non pas central), correspondant ainsi au périmètre du comité d’entreprise dont les membres sont appelés à constituer le collège désignatif. La jurisprudence semble d’ailleurs attachée à cette correspondance de niveau entre le CHSCT et le CE ou le comité d’établissement, et considère qu’un CHSCT ne peut regrouper des travailleurs appartenant à des établissements différents dotés chacun d’un comité d’établissement, sauf accord collectif dérogatoire (Cass. Soc. 10 mai 2012, n° 11-21386).

On lira avec intérêt dans ce prolongement le rapport d’étude du Pr VERKINDT qui d’être publié, concernant les propositions de réforme du CHSCT, en faveur d’une instance de représentation du personnel dédiée à la protection de la santé au travail.