Le document unique, instrument incontournable pour la prévention et la maîtrise des risques professionnels

MANAGEMENT RH / QVT || Réglementation / droit social
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08/02/2021 - Sébastien MILLET

Il est tout à fait clair que l’on ne peut sérieusement prétendre faire de la prévention sans analyse préalable des risques.


Dans toutes les entreprises quelques soit leur taille ou leur activité, la démarche d’analyse et d’évaluation des risques est capitale, et ne cesse d’ailleurs d’être rappelé à juste titre dans le cadre de la crise sanitaire, dans la mesure où elle guide l’arbitrage des mesures de prévention à mettre en œuvre.

Elle constitue en outre au plan juridique un marqueur essentiel en termes de responsabilité, et d’appréciation du respect de l’obligation de sécurité-prévention de l’employeur.

L’exigence de formalisme, sous l’angle d’une retranscription obligatoire dans le document unique d’évaluation des risques, tend à occulter le fait qu’il s’agit avant tout d’une démarche constructive d’approche par les risques, avec pour corollaire d’être souvent vécu comme une pure « contrainte documentaire » administrative, notamment dans les TPE/PME.

Cela étant, il faut bien considérer que ce rôle pivot du document unique va être renforcé.

Au terme de longues discussions, les partenaires sociaux ont trouvé un consensus dans le cadre de l’accord national interprofessionnel conclu le 9 décembre 2020, « pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail ».

Sans entrer dans tout le détail de son dispositif, cet ANI vient rappeler que « le DUERP est l’outil indispensable de la prévention », et constitue la base d’un plan d’action nécessitant de mobiliser des moyens nécessaires sur le plan technique humain et financier (il aurait été utile d’y ajouter la dimension organisationnelle, tant cet aspect est structurant).

Sur la méthode, il rappelle que le DUERP résulte d’une approche collective de la prévention dans le cadre du dialogue social, même si in fine, il revient à l’employeur de choisir la méthode appropriée pour inscrire son plan d’action dans la durée et dans une optique de progrès continu.

Partant de ces principes, l’accord entend faire également du document unique la base du plan de « traçabilité collective », notamment sur le terrain de l’évaluation et du suivi des expositions au titre du risque chimique.

De manière originale, un groupe de députés à l’Assemblée nationale a souhaité déposer une proposition de loi (n° 3718 pour renforcer la prévention en santé au travail), afin de transposer les dispositions de cet ANI dans la loi et notamment le Code du travail.

Voici un avant-goût du projet de retranscription législative concernant le document unique d’évaluation des risques professionnels :
Tout d’abord, précisons que l’économie générale de l’obligation de sécurité et des principes généraux de prévention, parmi lesquels figure l’évaluation des risques qui ne peuvent être évités, n’est pas modifiée par ce projet.

En revanche, l’article de référence (C. Trav., L4121-3) serait complété pour renforcer la collégialité dans la démarche d’évaluation des risques (même si son impulsion relève de l’initiative et de la responsabilité de l’employeur), en en faisant un objet du dialogue social, à trois niveaux :

  • En présence d’un CSE, et le cas échéant d’une CSSCT, les élus viendraient apporter leur contribution à l’analyse des risques dans l’entreprise ;

  • De son côté, le SPST (service de prévention et de santé au travail selon la nouvelle appellation des services de santé au travail consacrée par la réforme) viendraient apporter son aide à l’évaluation, sa mission étant par ailleurs étendue au fait d’apporter son aide à l’évaluation et à la prévention des risques professionnels dans l’entreprise, de manière pluridisciplinaire ;

  • En troisième lieu, le « référent » prévention (salarié compétent désigné par l’employeur pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels dans l’entreprise) pourrait être sollicité pour apporter son concours.


Au travers de cette nuance sémantique (triptyque « contribution »/ « aide »/ « concours »), les niveaux d’implication seront différents.

En pratique, on peut douter que cela change fondamentalement les choses dans la mesure où actuellement, les CSE ont déjà pour mission dans le champ de la santé sécurité au travail de procéder à l'analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs, notamment les femmes enceintes, ainsi que des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels.

Par « contribution », le législateur entend manifestement privilégier une logique de concertation, sans instaurer expressément une obligation spécifique d’information-consultation préalable, ce qui contribue à maintenir une certaine ambiguïté sur la procédure à suivre.

Observons toutefois que l’objectif étant de renforcer le dialogue social dans le champ de l’évaluation des risques professionnels, l’avis de l’instance plénière (c’est-à-dire en CSE et pas simplement en CSSCT) restera toujours à privilégier compte tenu des enjeux en termes de consensus et d’appropriation du document unique, indispensable pour développer la culture sécurité dans l’entreprise.

Bien sûr, encore faut-il que les partenaires sociaux acceptent de jouer le jeu et d’avoir une participation constructive et active, ce qui nécessite d’une part, d’entretenir la confiance dans le dialogue social, et d’autre part de favoriser un niveau de formation suffisant (point sur lequel la loi viendrait également renforcer la durée minimale de formation des élus en santé, sécurité et conditions de travail).

En revanche, des modifications plus profondes seraient apportées, avec l’ajout d’un nouvel article L4121 3-1 dans le Code du travail, prévoyant que :
« I. – Le document unique d’évaluation des risques professionnels répertorie l’ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs, organise la traçabilité collective de ces expositions et comprend les actions de prévention et de protection qui en découlent, regroupées dans un programme annuel de prévention.
II. – L’employeur transcrit et met à jour dans le document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L4121 3.
Les organismes et instances mis en place par la branche peuvent accompagner les entreprises au moyen de méthodes appropriées aux risques considérés et de documents d’aide à la rédaction.
III. – Les résultats de cette évaluation débouchent sur un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail, qui :
1° Fixe la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l’année à venir qui comprennent les mesures de prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels, ainsi que, pour chaque mesure, ses conditions d’exécution et l’estimation de son coût ;
Identifie les ressources de l’entreprise pouvant être mobilisées ;
3° Comprend un calendrier de mise en œuvre.
IV. – Le document unique d’évaluation des risques professionnels et ses versions antérieures :
1° Sont conservés par l’employeur ;
2° Sont tenus à la disposition des instances et personnes énumérées par décret ;
3° Sont remis à sa demande au salarié ou à l’ancien salarié selon des modalités fixées par décret. »

Si l’employeur et les autres parties prenantes disposent d’une marge de manœuvre pour le choix des méthodes d’analyse, force est de constater qu’en termes de contenu, les exigences seraient renforcées.

À noter que les branches pourront dans ce cadre mettre à disposition des entreprises, notamment à destination des TPE/ PME, des outils pratiques pour faciliter la démarche (il n’est toutefois pas prévu en l’état, comme c’est le cas en matière de plan d’action anti-pénibilité, de dispositif de référentiel de branche opposable qui permettrait de sécuriser la démarche des entreprises – cf. C. Trav., L4163-2).

Observons qu’il y a en tout état de cause une logique à ce que le document unique intègre les mesures concrètes de prévention existantes et envisagées, dans la mesure où celles-ci sont l’aboutissement naturel de la démarche d’analyse. Cette exigence sous-entendue est largement appliquée dans la pratique. Demain, si le texte aboutit en l’état, il s’agira d’une obligation forte dont le non-respect sera passible de sanctions, sachant que les agents de contrôle de l’inspection du travail disposeront ainsi d’un fondement juridique pour relever une non-conformité.

Les petites structures auront particulièrement intérêt à se faire accompagner dans ce cadre afin de structurer au mieux leur démarche.

Toutes les entreprises, et pas uniquement celles disposant d’un CSE, devront ainsi justifier qu’elles ont établi et mis à jour chaque année un programme annuel de prévention, lequel devra être consistant et en cohérence avec l’évaluation des risques, la difficulté étant de prendre le parti de faire des arbitrages et prioriser les actions. L’avenir dira quel regard pourront porter les juridictions sur les mesures ainsi décidées par l’employeur. Si bien entendu, il ne saurait être question de faire des économies au détriment de la santé et de la sécurité du personnel, les moyens dont disposent les entreprises sont toujours limités, ce qui nécessitera certainement de prévoir des mesures compensatoires lorsque certains investissements doivent être différés.

Cette démarche sera donc particulièrement impliquante pour les dirigeants d’entreprises et devra être traitée en comité de direction.

Ajoutons qu’en termes de risque, à l’instar des fiches d’exposition, la fonction de traçabilité des expositions (entendue ici de manière collective et non individuelle) risque d’alimenter fortement le contentieux puisque l’employeur devra conserver toutes les générations de document unique, a priori sans limitation de durée, avec possibilité pour les travailleurs et anciens collaborateurs d’en demander une copie, laquelle jouera un rôle probatoire capital dans le cadre des futurs contentieux.

Cela préfigure un accroissement des risques juridiques pour l’entreprise, à charge pour elle d’agir très concrètement en faveur de l’effectivité de la prévention.

Affaire à suivre dans le cadre des débats parlementaires.