Congés payés : l’enjeu de l’absentéisme après le séisme des arrêts du 13 septembre 2023

MANAGEMENT RH / QVT || Réglementation / droit social
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13/10/2023 - Sébastien MILLET

Par une série d’arrêts extrêmement médiatisés, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient d’opérer un revirement majeur afin d’aligner l’application du droit français sur le droit de l’Union européenne en matière de droit à congé payé.


  1. Un alignement inévitable au regard du droit de l’Union européenne 

    Il vient d’être ainsi décidé en synthèse que :
  • Les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un ATMP ;  
  • En cas d’ATMP, le calcul des droits à congés payés ne sera plus limité à la 1ère année de l’arrêt de travail ;
  • La prescription du droit à congés payés ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile ...

(Cass. Soc. 13 septembre 2023, n° 22-17340 à 22-17342 ; 22-17638 ; 22-10529, 22-11106)

Objectif : garantir une meilleure effectivité des droits des salariés à leurs congés payés, sachant que selon l'article 31 § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.

Au regard des exigences du droit au congé annuel payé, qui constitue un principe essentiel du droit social de l'Union européenne, les dispositions contraires de l'article L3141-3 du Code du travail qui subordonnent le droit à congés payés à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union européenne, et sont donc écartées.  

Après un grignotage jurisprudentiel progressif, l’ilot de résistance française consistant à conditionner -sauf exception- l’acquisition du droit à congés à un travail effectif a donc fini par céder.

Cette évolution ne devrait pourtant pas surprendre puisqu’elle était annoncée de longue date. A défaut d’une volonté d’intervention législative, les juges ont décidé de franchir le pas.

*Cela devrait poser assez rapidement la question de la responsabilité de l’Etat pour des entreprises qui se verraient condamnées devant les Prud’hommes au titre d’une non-conformité du droit national (il existe d’ailleurs à ce sujet un précédent récent de condamnation, à l’initiative d’organisations syndicales, pour préjudice subi par les salariés du fait justement d’un défaut de transposition de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 en matière de congés payés : CAA Versailles 17 juillet 2023, n° 22VE00442).

Il n’en reste pas moins que du côté des entreprises, c’est une secousse qui se décline au travers de plusieurs répliques. Osons ici un parallèle avec les phases du choc émotionnel :

  • Une première séquence de « sidération » (on estime à plus de 2 milliards d’euros de coût potentiel pour les entreprises, même si cela reste toujours très approximatif à quantifier au plan macroéconomique) ;
  • Puis une phase de « négociation », même si les marges de manœuvres pour les entreprises paraissent assez limitées (quid de la possibilité d’aménager les choses par voie d’accord collectif d’entreprise ou de branche ? de transiger à l’occasion de litiges individuels ? du passé, de l’avenir, du présent ? etc.) ;
  • Suivi d’une phase d’« acceptation » (une fois que l’attentisme sera passé et que la pratique aura « digéré » le changement – à noter que le législateur pourrait intervenir sur le sujet mais son intervention est annoncée au plus tôt pour l’été 2024, et de nouveau, avec une faible marge de manœuvre … ).
  1. En arrière-plan, l’impact de l’absentéisme

Clairement, la logique qui sous-tend cette évolution consiste à privilégier le droit au repos, qui est une composante du droit à la santé, sur des considérations financières, fûssent-elles de nature à poser des difficultés inextricables aux employeurs.

Pour les entreprises il s’agit sans doute d’un changement de paradigme, au-delà de la seule stratégie financière (provisionnement du risque nouveau), sociale (communication, équité) et administrative (paye), d’une part pour purger ce sujet (cf. problématique de la rétroactivité et du point de départ de la prescription) et le sécuriser pour l’avenir.

A côté de l’absentéisme répétitif et de courte durée, facteur de désorganisation, l’absentéisme de moyenne et longue durée était déjà un écueil au plan organisationnel et « business ». Il suffit d’observer les statistiques sur l’évolution du phénomène (signe des temps, une journée mondiale de la santé mentale au travail est institutionnalisée le 10 octobre).

C’est dorénavant un poste de surcoût financier plus important pour l’entreprise (salaires + charges).
Exit l’approche consistant à le considérer comme un coût externalisé via les cotisations de prévoyance complémentaire au titre des garanties incapacité de travail, cofinancées généralement par les salariés.
De manière subliminale, les entreprises sont donc fortement invitées à réfléchir et s’attaquer à leurs facteurs d’absentéisme.

Classiquement, plusieurs leviers RH sont ici mobilisables :

  • D’une part, en termes d’actions de prévention primaire, qu’il s’agisse de risques professionnels ATMP ou de réduire l’absentéisme maladie « ordinaire » (travailler la RSE, la QVCT sous toutes ses dimensions, etc.) ;
  • D’autre part, en termes d’accompagnement secondaire et de prévention de la désinsertion professionnelle pour agir sur la durée des arrêts de travail et favoriser le retour à l’emploi. Outre les mesures structurelles de la loi Santé travail du 21 août 2021 applicables aux SPST, le nouveau RDV de liaison constitue ici un outil qui peut être utilement mobilisé par l’employeur dès que l’arrêt de travail atteint 30 jours (à défaut de pouvoir déclencher une visite de reprise), même si la portée du dispositif est assez limitée – cf. C. Trav., L1226-1-3 et D1226-8-1.
  • Accessoirement, agir sur le processus de délivrance et de renouvellement des arrêts de travail, notamment avec la possibilité pour l’employeur -toujours délicate néanmoins- d’organiser une contre-visite médicale lorsqu’il verse un complément de salaire. A ce niveau, le PLFSS pour 2024 prévoit (cf. art. 27) également de renforcer les moyens de contrôle par les caisses de Sécurité sociale des arrêts abusifs ou de complaisances dans le cadre de la lutte contre les fraudes à l’Assurance maladie. Confronté à un coût croissant pour la solidarité nationale, le législateur essaie de limiter le recours aux arrêts de travail dits de complaisance, mais les actions envisagées dans le PLFSS semblent insuffisantes pour permettre aux entreprises de limiter les effets induits par les arrêts du 13 septembre 2023.