Quelle est la vocation d’Opale ? Pourquoi sensibiliser
sur les violences conjugales ?
La création d’Opale est partie d’un constat. J’ai été victime de
violences conjugales moi-même. Cela a eu un impact sur ma santé
et ma vie personnelle bien sûr mais aussi sur ma vie
professionnelle, sur la façon dont je faisais mon travail.
L’enjeu, pour moi, était de nous extraire du prisme qui nous fait
considérer la violence conjugale comme un sujet privé. Les
violences ont un impact sur l’ensemble de la société. Même si
vous n’êtes pas victime, vous en payez les conséquences.
Quel intérêt ont les entreprises à s’emparer de ce sujet
grave ?
Rien ne justifie donc que ce sujet reste dans le cadre intime.
Tout le monde devrait s’y intéresser. J’avais été très marqué, à
l’époque, par une étude parue en 2006 ; seulement 36 000
personnes portaient plainte pour violences conjugales. De
surcroit, des recherches montraient que les conséquences des
violences sur une seule victime représentaient 68 000 euros pour
l’ensemble de la société ; 44 % concernaient les entreprises en
termes de perte productivité ou d’absentéisme par exemple. C’est
simple, en 2023, le ministère de l’Intérieur indiquait le chiffre
de 1 900 000 victimes de violences conjugales en France, faites
le calcul. Après les faits, les entreprises font aussi face à
toutes ces charges. En plus de la nécessité de protéger leurs
salariées, elles ont un intérêt économique à s’intéresser à cette
question.
Quel est l’objectif poursuivi par Opale ? Par quoi cela
se traduit-il concrètement pour les salariées ?
Nous faisons de la prévention, informons sur les types de
violences. Nous insistons sur le fait qu’elles sont toutes aussi
graves et qu’elles s’entremêlent. Notre but premier est de
faciliter la prise de conscience des victimes. Beaucoup ne savent
pas qu’elles le sont car justement les violences conjugales ne
sont pas seulement physiques ; elles peuvent également être
psychologiques, sexuelles, administratives, économiques etc.
Grâce à notre plateforme en ligne et à un formulaire de 200
question qui couvrent tous les champs de la relation (à réaliser
en 20 minutes, ndlr), Opale offre un diagnostic et une
contextualisation juridique et pénale pour que la victime sorte
de la norme imposée par l’agresseur. Ensuite, nous trions les
associations utiles en fonction des besoins et de la situation de
la personne tout en référençant toutes les aides de l’État
(financières, juridictionnelles etc.). Nous centralisons toute
l’aide existante pour que la victime sache vers qui se tourner et
où, quand, comment. Au devant d’un sujet d’une telle gravité, il
faut une information éclairée.
Accompagnez-vous également les entreprises sur le long
cours ?
Notre travail avec les entreprises concerne tout ce qui peut être
fait au sein de l’organisation pour faciliter le quotidien d’une
victime de violences ou pour aider sa sortie de violences. Nous
suggérons des aménagements de temps de travail pour que la
victime puisse aller déposer plainte lorsque le conjoint pense
qu’elle est au travail ; ou pour aller à une permanence
juridique. Différents points d’appuis existent et peuvent être
fournis dans le cadre de l’entreprise et avec le soutien de
l’employeur : avance sur salaire, caution pour un logement. Nous
appuyons également la sensibilisation et la communication sur ce
sujets par le biais de campagnes d’affichages ou l’organisation
de conférences. Pour rappel, une femme sur six est victime de
violences conjugales. La prévention peut permettre de limiter les
situations d’extrême urgence. Nous collaborons aussi avec les
collectivités (régions, départements, ndlr) pour la mise en place
des mêmes ressources. Opale échange avec des entreprises de
toutes tailles et avec des communes dans toute la France. Nous
avons déjà aidé plus de 2500 personnes.
Les entreprises ont longtemps considéré les victimes de
violences comme des poids. Depuis #MeToo, où en sommes-nous selon
vous ?
« Si une salariée se fait péter la gueule à la maison et est en
arrêt de travail, je n’ai pas à savoir pourquoi ». Voilà ce que
m’a répondu, il y a quelques mois, un banquier d’une soixantaine
d’années alors que je lui présentais Opale. Concrètement, on a
encore à faire avec le changement des mentalités. Mais, j’ai
aussi vu que le conseiller bancaire qui l’accompagnait, deux fois
plus jeune que lui, était outré par la réponse de son supérieur.
J’ai bien vu un contraste. Les choses évoluent, même s’il faut
rappeler que ça ne va pas assez vite pour une victime de
violences.