Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la souffrance des
dirigeants ?
La souffrance des dirigeants, c'est un
sujet tabou. Et encore plus celle des dirigeants de PME. Lorsque
l'on parle de suicide au travail, on pense à Orange, Renault ou
Pages Jaunes, de très grandes entreprises. Mais le suicide d'un
patron de PME, d'un artisan, c'est tout juste un entrefilet dans
la rubrique des faits divers.
Notre vision de la souffrance au travail est complètement biaisée
du fait que les sociologues du travail se sont presque
exclusivement intéressées aux grandes entreprises ou aux grosses
administrations. Or le tissu économique en France, c'est 99,8% de
PME, des entreprises qui sont vitales pour notre économie. Et
pourtant ces patrons de PME sont les grands oubliés de la santé
au travail. C'est une injustice, ces patrons ne bénéficient
d'aucun suivi, d'aucune considération de la part des pouvoirs
publics.
C'est pour cela que j'ai créé en 2009 l'observatoire AMAROK, un
observatoire dédié à la santé des dirigeants de PME, commerçants,
artisans et professions libérales. La santé des dirigeants doit
enfin être prise en compte, et nous militons aujourd'hui pour que
AMAROK soit reconnu d’intérêt général.
Depuis 7 ans, vous collectez des données sur la santé des
dirigeants. Que faut-il en retenir ?
Effectivement,
nous avons constitué 3 cohortes d'environ 350 chefs d'entreprises
que nous avons suivis et questionnés à intervalles réguliers pour
mieux comprendre les phénomènes de santé au travail de cette
population qui n'a jamais été étudiée par les spécialistes de la
souffrance au travail. Ce sont environ 1 million de données que
nous avons collectées et ensuite analysées pour en extraire des
résultats très intéressants, qui ont fait l'objet d'un ouvrage
paru en 2012. Parmi tous ces enseignements, j'en retiendrai
un : « Entreprendre, c'est bon pour la
santé ». En effet, les chefs d'entreprises sont soumis à de
nombreux facteurs pathogènes parmi lesquels le stress, la
surcharge de travail, l’incertitude du carnet de commandes et
surtout la solitude qui pèse énormément sur leur santé mentale.
Mais fort heureusement, il existe également des facteurs que je
qualifie de "salutogènes", c'est à dire générateurs de bonne
santé. On peut citer ainsi le sentiment de maîtriser son destin,
l'endurance, l'optimisme et le sentiment d'auto-efficacité.
L'équilibre entre ces 2 types de facteurs contribue à préserver
la santé mentale et physique des dirigeants, qui s'estiment
globalement en meilleure santé que les salariés. Mais cet
équilibre est fragile, et les dirigeants peuvent ainsi connaître
des périodes d'euphorie puis tomber dans des dépressions très
graves.
Vous expérimentez depuis début 2016 un dispositif
d'accompagnement pour les commerçants ayant subi un braquage,
parlez-nous en.
Effectivement, avec le soutien du
RSI, nous avons créé la première Cellule de Coordination et
d'Accompagnement (CCA SANTE), pour permettre une prise en charge
rapide et coordonnée des commerçants, artisans, professions
libérales et exploitants agricoles ayant vécu un événement
traumatique (braquage, violence, agression...).
Pourquoi ? Souvent les victimes d'agression ne mesurent pas
l'impact de cet événement sur leur psychisme. La cellule CCA
Santé va leur apporter une écoute immédiate et s'il y a une
urgence psychologique constatée, une prise en charge
thérapeutique gratuite. L'idée c'est de proposer un vrai service
d'accompagnement facile à mettre en œuvre via le téléphone et des
visites à domicile pour les commerçants, qui n'ont jamais le
temps de se consacrer à eux-mêmes et de prévenir ainsi des dégâts
ultérieurs.