Sur la base de cette obligation de résultat, les juges n’hésitent plus aujourd’hui à annuler un projet de réorganisation qu’ils jugent dangereux ou pathogène.
Pour la première fois, avec l’arrêt Snecma du 5 mars 2008, les
magistrats de la Cour de cassation ont autorisé les syndicats
d’une usine Seveso à demander, en urgence, devant le tribunal de
grande instance (TGI), l’annulation d’une nouvelle
organisation de travail qui compromettait la santé et la sécurité
des salariés.
Cet arrêt a eu un fort impact sur les juges de 1ère instance, qui
ont ainsi parfaitement adopté la logique préventive initiée par
la Cour de cassation. Désormais, quand les représentants du
personnel les alertent sur un projet de réorganisation, ils
n’hésitent plus, au nom de l’obligation de sécurité, à annuler ou
suspendre le projet, quel qu’en soit l’impact économique pour
l’employeur.
Le TGI de Lyon a ainsi condamné sévèrement la caisse d’Epargne Rhône-Alpes Sud pour avoir mis en place une organisation managériale de benchmarking, sans en mesurer suffisamment les effets en termes de santé mentale. Dans cette affaire, les syndicats ont obtenu des juges l’interdiction du déploiement de ce projet RH, car il visait, en pratique, à mettre en concurrence des salariés en leur proposant pour seul objectif, de faire mieux que leurs collègues de travail. Cette organisation, jugée extrêmement stressante pour les salariés et néfaste pour le climat social de l’entreprise a entraîné la condamnation de l’employeur. Les syndicats pour faire valoir en justice le bien-fondé de leur inquiétude s’appuyaient sur une expertise du CHSCT et les observations de l’inspection du travail, des assistantes sociales et de la médecine du travail.
Tous ces
acteurs de prévention avaient explicitement alerté l’employeur
« sur les risques psychosociaux d’un tel système ». Le
fait que l’employeur ait mis en place un observatoire des risques
psychosociaux, un numéro vert, un plan d’action « qualité du
travail » a été jugé complètement insuffisant par le
tribunal. En effet, l’ensemble de ces mesures intervenait a
posteriori, une fois le risque réalisé, ce qui est contraire à
une logique de prévention (TGI Lyon, ch. 1, sect. 2,
4 sept. 2012, no 11/05300). L’article L. 4121-2 du
Code du travail qui définit les principes généraux de prévention
précise d’ailleurs explicitement que le risque doit être combattu
à la source.
Le TGI de Paris a, lui aussi, annulé une opération
d’externalisation conduite par la société Areva en reprochant à
l’employeur de n’avoir pas suffisamment pris en compte, en amont,
l’impact de cette réorganisation sous l’angle des risques
psychosociaux (TGI Paris, 5 juill. 2011,
no 11/05780).
Plus récemment encore et pour la première fois, la Cour d’appel
de Paris n’a pas hésité à faire le lien entre obligation de
sécurité et conduite d’un plan de sauvegarde de l’emploi
(PSE).
Dans cette affaire qui concernait la FNAC, lors de l’élaboration
de son PSE, l’employeur s’est vu reprocher de ne pas avoir évalué
et chiffré, en amont, la surcharge de travail, génératrice de
stress, que les salariés restant en poste auraient à subir à la
suite du PSE. Le projet prévoyait notamment la suppression de
100 % des postes de responsables locaux (RH, finances et
communication), au profit d’une centralisation de ces fonctions
au niveau régional. Il en découlait inexorablement un report des
tâches correspondantes sur les directeurs de magasin et les
responsables RH régionaux restant en poste, sans que l’employeur
ait pris la peine d’évaluer quantitativement le surcroît de
travail en résultant.
Saisis par les syndicats et les CHSCT, les juges en ont tiré les
conséquences : la mise en œuvre du projet de réorganisation
ainsi que les ruptures des contrats prévues par le PSE devaient
immédiatement être suspendues (CA Paris, pôle 6, ch. 2,
13 décembre 2012, n° 12/00303).
Remarque
En cas de risque psychosocial caractérisé, peuvent agir en
justice pour faire annuler ou suspendre en urgence auprès du TGI
une mesure patronale, les syndicats mais également, et c’est
aussi un apport de l’affaire FNAC, les CHSCT. Contrairement aux
syndicats, l’action des CHSCT est cependant limitée aux seuls
établissements qu’ils représentent et ne vise pas l’entreprise
dans son ensemble.
Dossier réalisé avec l’aimable collaboration de Wolters Kluver France