A cette question fréquente et sensible, la jurisprudence répond au gré des décisions en fournissant une « boussole judiciaire » sur la conduite à tenir au cas par cas, quel que soit le contexte et la diversité des situations.
Un arrêt récent vient confirmer les principes applicables, concernant les actions à mettre en œuvre (« quoi ? »), la méthodologie (« comment ?») et la temporalité (« quand ?»).
(Cass. Soc. 8 janvier 2025, n° 23-19996)
Selon une formule désormais bien consacrée, l’arrêt rappelle, au visa combiné des grands articles L1152-4, L4121-1, et L. 4121-2 du Code du travail que :
1) Premier principe : L’employeur respecte son obligation légale de sécurité et de protection de la santé tant physique que mentale des travailleurs (notamment ici en matière de harcèlement moral), lorsqu’il justifie avoir pris :
Toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 ;
Et en particulier ici, les mesures immédiates propres à faire cesser les agissements dénoncés, dès qu’il est informé de l'existence de faits susceptibles de caractériser un harcèlement moral.
Peu importe que le salarié n'ait jamais qualifié directement les faits dénoncés de « harcèlement ».
Les faits, rien que les faits : dès lors que la situation rapportée par le salarié est de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral ou sexuel, quelle que soit la qualification qu’il leur donne (ou non), des mesures doivent être mises en œuvre de manière immédiate.
Dit autrement, le fait que le salarié plaignant n’évoque pas être victime d’un « harcèlement » ne dispense pas d’agir.
En l’espèce, les faits portés à connaissance de la hiérarchie reposaient sur un faisceau d’indices autour de plusieurs alertes relatives à un mal-être du salarié lié à un comportement managérial agressif de son N+1, sans que le salarié ait prétendu être victime de harcèlement moral.
Typiquement, l’inaction peut coûter cher à l’entreprise en cas de contentieux.
Il est ainsi reproché à l’employeur de s’être contenté d’engager une procédure de licenciement pour faute grave à l’encontre du plaignant.
Encore faut-il aussi - c’est la deuxième exigence - que les mesures prises soient adéquates au regard du risque, et adaptées pour faire cesser les faits.
Le juge tiendra compte au cas par cas des principes généraux de prévention énoncés par l’article L4121-2 du Code du travail.
Même en l’absence de qualification des faits comme étant du harcèlement moral, des mesures adéquates doivent être prises.
L’arrêt ne le dit pas, mais en creux, le fait ici pour l’employeur de ne pas avoir a minima traité l’alerte au moyen d’une enquête RH interne est de nature à fragiliser sa position.
Précisons que la réalisation d’une enquête n’est pas systématiquement obligatoire, à condition de justifier avoir pris dans ce cas des mesures suffisantes pour assurer la protection du salarié auteur du signalement (cf. Cass. Soc. 12 juin 2024, n° 23-13975). A défaut, l’absence d’enquête peut suffire à caractériser un manquement à l’obligation de sécurité (cf. Cass. Soc. 27 novembre 2019, n° 18-105512).
Cf. Précédentes chroniques sur la question de la méthodologie d’enquête :
- Enquêtes RPS et harcèlement : sécuriser la démarche ;
- Enquêtes internes en matière de harcèlement moral ou sexuel : panorama de jurisprudence en 10 décisions
- Alertes internes en travail, santé et environnement : comment anticiper et réagir ?
A noter que le Défenseur des droits vient de publier le 6 février 2025 une décision-cadre relative aux recommandations en matière de recueil et traitement des signalements de discrimination et de harcèlement sexuel en entreprise.
2) Second principe : la dualité entre l’interdiction du harcèlement moral ou sexuel (dont découle l’obligation pour l’employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir ces agissements) d’une part, et l’obligation de sécurité et de protection de la santé d’autre part :
« L'obligation de prévention des risques professionnels et du harcèlement moral (…) est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L.1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle ».
Concrètement, cela signifie que même si aucun fait de harcèlement n’est établi, l’employeur peut se voir reprocher au contentieux un manquement à son obligation générale de sécurité et de protection de la santé mentale de ses salariés, s’il ne justifie pas avoir pris toutes les diligences adéquates (cf. Cass. Soc. 17 janvier 2024, n° 22-19724).
A l’inverse, un harcèlement ne peut être présumé du seul constat d’un manquement à l’obligation de sécurité (Cass. Soc. 20 décembre 2017, n° 16-21302).
Ici, le simple fait d’avoir engagé la procédure de licenciement sans traiter les alertes du salarié concrétise un manquement ouvrant droit à des dommages et intérêts pour un préjudice spécifique, indépendamment de celui susceptible de découler de la rupture du contrat.
Il est fréquent en pratique qu’une alerte soit formulée à l’occasion d’une procédure de licenciement, ce qui appelle à de nombreuses précautions compte tenu notamment aujourd’hui de la protection spécifique applicable au lanceur d’alerte prévue par la loi Sapin II, et du risque d’un motif « contaminant » s’il apparaît que la cause réelle du licenciement est en fait liée en tout ou partie à la dénonciation (de bonne foi) de faits de harcèlement.