Plus que jamais, il est nécessaire de travailler sur la démarche de prévention et la sécurité effective, compte tenu des risques de responsabilité encourus.
En effet, dans le cadre de son plan de lutte contre les accidents du travail graves et mortels (PAGMT), le Gouvernement a décidé de passer à la vitesse supérieure, avec de nouvelles directives d’action à destination des services de l’Etat, et un message adressé aux entreprises.
1°) Une volonté de réponse pénale plus efficace (« mieux coordonnée, plus ferme, plus humaine »)
Une instruction ministérielle tripartite (Travail/ Santé/ Justice) vient d’être signée le 10 juillet 2025 (elle fera l’objet de fiches techniques qui seront diffusées aux services des Parquets et d’Inspection du Travail).
Elle porte spécifiquement sur la politique pénale du travail en matière de répression des manquements aux obligations de santé et de sécurité, à partir d’un double constat d’atteinte d’un palier (absence d’amélioration des statistiques depuis 2010 avec plus de 2 décès et 100 blessés graves par jour), et d’attente de la part des victimes et de leurs familles.
Le précédent document de politique pénale remontait à près de 10 ans, avec la circulaire du 18 juillet 2016 sur la coordination des sanctions administratives et pénales en droit du travail suite l’ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016, qui était plus générale et ne traitait pas que des AT.
Sans mettre en place d’outils nouveaux, ce nouveau texte vise à mieux mobiliser ceux déjà existants, pour plus d’efficacité dans la réponse pénale (à l’instar des récentes évolutions mises en place concernant la protection de l’environnement par le droit pénal).
L’instruction rappelle ici le principe d’une réponse graduée, l’objectif sous-jacent restant de favoriser la prévention des risques professionnels.
Cela est bienvenu car si le droit pénal a par nature une vocation protectrice et dissuasive, une approche fondée uniquement sur le « tout répressif » serait contreproductive car démobilisante, et donc in fine disproportionnée.
Volet sur la coopération renforcée entre services (coordination interinstitutionnelle)
| 1. En d’accident ou de risque grave : invitation des Parquets à cosaisir les agents de l’Inspection du travail en tant que « sachants » et de police judiciaire pour accélérer les enquêtes en temps réel (cf. précédent article 2019).
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2. Incitation à la verbalisation par les Inspecteurs du travail (PV d’infraction) en cas de constat de non-conformité, même en l’absence d’accident.
*A noter qu’en matière de politique pénale, la Chancellerie privilégie généralement l’engagement systématique de poursuites en vue d’un procès, en cas d’accident grave (cf. précédent article 2018).
Sont particulièrement visés ici par l’instruction les infractions d’inobservation qui mettent le plus gravement en cause la sécurité des travailleurs, impliquant un contrôle renforcé (vigilance) en matière notamment de :
Rappelons que certaines situations exigent au préalable une procédure de mise en demeure avant verbalisation (p. ex. concernant les nouvelles règles applicables depuis le 1er juillet en matière de canicule – cf précédent article), ce à quoi l’agent de contrôle peut toutefois passer outre en cas de constat d’un danger grave ou imminent pour l'intégrité physique des travailleurs.
Précisons que parmi la panoplie de mesures à sa disposition, l’agent de contrôle peut également faire un signalement « article 40 » auprès du Parquet (ce dont il n’est pas tenu d’informer l’employeur – Cass. Crim. 20 mai 2025, n° 24-82660 – jugé à propos d’un constat d'infraction de mise à disposition du travailleur d'un équipement de travail non conforme).
L’instruction vient rappeler des règles déjà prévues par la circulaire de 2016 sur l’organisation d’échanges institutionnels entre les services d’inspection du travail et les Parquets pour favoriser leur coordination (référents, rencontres périodiques, échange d’informations, partage de bonnes pratiques, etc.).
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3. Dans les autres cas, lorsqu’une régularisation paraît possible, recours prioritaire à la transaction pénale par le DREETS en cas d’inobservation n’entraînant pas la survenance d’un AT (amende transactionnelle + mesures de mises en conformité).
Invitation des Parquets à engager des poursuites en cas de refus de la proposition ou de non-exécution de la transaction homologuée.
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4. En cas d’accident grave ou mortel du travail : une recherche de responsabilité élargie plus systématiquement sur toute la chaîne de responsabilités, à l’égard de l’ensemble des acteurs impliqués et pas uniquement l’employeur (cf. maîtres d’ouvrage et/ou donneurs d’ordre en cas d’inobservation de leurs obligations propres).
Se pose ici la question des responsables personnes physiques (auteurs directs ou indirects), dont la responsabilité peut être cumulative avec celle des personnes morales.
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5. En cas de poursuites judiciaires, invitation des agents d’Inspection du travail à participer aux audiences correctionnelles (rappelons ici que celle-ci doit toutefois intervenir dans le respect des règles de procédure pénale).
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Volet d’amélioration dans l’accompagnement des victimes
| Invitation à améliorer l’écoute, l’information tout au long de la procédure, et l’orientation des victimes en vue de la réparation des préjudices. |
Rien n’est dit concernant les réquisitions contre le(s) prévenu(s), laissées à l’appréciation des magistrats des Parquets toujours selon une approche graduée par rapport à la gravité du comportement, l’objectif étant de sanctionner, mais également d’éviter la réitération dans la commission des infractions.
Nul doute que ce contexte risque en pratique de peser sur la sévérité des réquisitions et potentiellement, des condamnations judiciaires (sous réserve du principe de proportionnalité et de personnalisation des peines).
Face à ce renforcement répressif, l’exercice des droits de la défense n’en sera que plus exigeant et s’impose comme une garantie indispensable.
L’employeur doit veiller à se faire accompagner le plus en amont possible, cela ne s’improvise pas et les sujets sont généralement très techniques.
2°) Des pistes de réflexion en vue de prochaines réformes ?
Parmi les sujets envisagés pour renforcer ce mouvement de lutte contre les accidents graves et mortels du travail, plusieurs idées sont actuellement relayées et à l’étude, telles que :
- La mise en place d’une obligation générale de formation à la santé/sécurité pour tout employeur ;
- Une procédure obligatoire d’établissement et de communication d'un rapport d'analyse après accident grave ;
- L’interdiction temporaire de recrutement d’apprentis ou de recours à des stagiaires pour les employeurs qui seraient condamnés pour faute inexcusable et/ou pour délits de blessures/homicide involontaires ;
- La mise en place d’un dispositif de name and shame (à l’instar du travail illégal) via la publication des condamnations d'employeurs sur site ministériel.
Derrière ces propositions assez innovantes et impactantes, l’enjeu sera surtout en pratique d’embarquer efficacement et utilement les décideurs et leur chaîne d’acteurs (notamment dans les TPE-PE-PME), en facilitant leur démarche de prévention au quotidien.
En tout état de cause, ces évolutions rappellent que la prévention des risques constitue une priorité tant morale que juridique, qui nécessite d’y consacrer des moyens suffisants tant en ressources humaines que financières, sous peine de s’exposer à de lourdes sanctions (amendes, publicité, interdictions, indemnisation, etc.).