- Lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement (dans ce cas, l’expertise est financée à 100% par l’employeur, sauf annulation judiciaire) ;
- En cas d'introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (parallèlement à la procédure d’information-consultation du CSE, rendue obligatoire dans cette hypothèse – dans ce cas, l’expertise est en principe cofinancée par le CSE à hauteur de 20%) ;
- Également, dans les entreprises d'au moins 300 salariés, en vue de préparer la négociation sur l'égalité professionnelle (nous n’aborderons pas ici ce cas d’expertise).
Le CSE, instance fusionnée, a ainsi hérité de cette prérogative dont disposait l’ancien CHSCT.
Toutefois, la réforme issue des ordonnances Macron ne s’est pas exactement opérée ici à droit constant, puisque l’expert, qui devait à l’origine disposer d’un agrément auprès du Ministère du travail pour être valablement désigné, devra dorénavant être certifié (C. Trav., R2315-51 et 52).
La nuance, de taille, se traduit par d’importants changements fixés par l’arrêté du 7 août 2020 relatif aux modalités d’exercice de l’expert habilité auprès du CSE.
1°) Ce qui change sur le papier : nouveau processus de certification plus exigeant pour les experts
Sans entrer dans tous les détails du texte, voici un résumé comparatif avant/ après :
Expert agréé | Expert habilité | |
Objet de l’expertise | Eclairer ses membres sur les champs ci-dessous :
Le cas échéant, l’expertise intègre une vision globale de la santé au travail en tenant compte des questions liées notamment :
Précisément, la finalité de l’expertise est exprimée en 6 points d’attendus :
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Objet de la certification |
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Domaines | L’agrément porte sur l’un ou l’autre des domaines suivants :
| La certification doit porter sur au moins un des domaines suivants :
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Autorité chargée de délivrer le titre | Ministère du travail (après avis du COCT) | Organisme certificateur titulaire d’une accréditation pour la certification du système de management de la qualité d’organismes experts (type COFRAC). |
Durée de l’agrément | 5 ans maximum (renouvelable) A noter : des dispositions transitoires ont été prévues jusqu’au 31 décembre 2021 afin de sécuriser les agréments en cours. | 5 années maximum avec surveillance annuelle et audit annuel sur site. Pouvoir de contrôle de la DGT. |
Conditions de délivrance | Agrément délivré sur dossier (expérience professionnelle, compétences du demandeur, pertinence des méthodes d'intervention proposées, engagements déontologiques relatifs à la prévention des conflits d'intérêts et à la pratique professionnelle de l'expertise, compatibilité de l'agrément demandé avec les activités du demandeur autres que d'expertise). | Processus séquencé (cf. annexe 4 de l’arrêté du 7 août 2020) Preuve par l’organisme candidat de sa capacité à exercer les missions d’expertise conformément au référentiel de certification découlant des nouvelles règles.
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Obligations administratives de l’expert | Adresser chaque année avant le 31 décembre au Ministre du travail la liste des expertises réalisées au cours de l'année civile écoulée, ainsi qu’une copie des rapports (sur demande). | Mise en place :
Obligation d’assurance de responsabilité civile. Communication et mise à jour de la liste des chargés de projet qualifiés selon le domaine d’expertise, et des sous-traitants potentiels. Réalisation d’un audit de surveillance annuel. Transmission annuelle à l’organisme certificateur un bilan de ses activités. |
Obligations de l’expert vis-à-vis des parties | Soumission au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication dont il aurait eu connaissance dans le cadre de l’expertise | Désignation formalisée pour chaque expertise d’un chargé de projet qualifié (pouvant encadrer une équipe de travail composée de salariés disposant d’une compétence spécifique), et information du CSE mandant. Le rôle du chargé de projet est central dans la conduite opérationnelle de l’expertise, puisqu’il doit être en mesure :
Respect du cadre réglementaire de déontologie professionnelle défini à l’annexe 2 de l’arrêté du 7 août 2020 (notamment en matière de confidentialité, de responsabilité, d’indépendance et de prévention des conflits d’intérêt). Interdiction de proposer des prestations en rapport avec les conclusions de l’expertise à l’issue de la mission. |
Sous-traitance de la mission * Rappelons qu’en cas d’expertise « multi-champs », la loi prévoit l'établissement d'un rapport d'expertise unique (C. Trav. L2315-85, 2° et R2315-48). L'expert désigné peut s'adjoindre la compétence d'un ou plusieurs autres experts sur une partie des travaux ; il doit alors vérifier qu’ils disposent des compétences ou de l'habilitation nécessaire. | Possible pour une partie des travaux, au profit :
| Possible pour une partie de la mission, sous réserve de justifier :
Le sous-traitant intervient sous l’autorité du responsable de l’organisme expert certifié, qui doit s’assurer :
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Délai de restitution des travaux | Les délais sont encadrés par les textes (C. Trav., R2315-47) :
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2°) Ce que ces changements impliquent en pratique pour les entreprises :
Tant sur le fond que sur la forme, ce nouveau cadre réglementaire met clairement l’accent sur la qualité de l’expertise (au travers d’exigences de méthodologie, transparence, objectivité factuelle à l’exclusion de tout jugement de valeur, pédagogie, etc.), l’objectif étant de la rendre plus acceptable et pacifiée.
Force est de constater que l’intervention d’experts du CSE est très souvent source de frictions importantes avec l’expert et son mandant, qui rejaillissent négativement sur le dialogue social, pour des questions de principe, mais aussi de budget, de périmètre, ou encore de méthodologie.
L’entreprise n’est pas tenue de « subir » l’expertise, mais doit le cas échéant être particulièrement réactive, compte tenu des délais très brefs qui lui sont impartis pour contester l’expertise devant le Tribunal judiciaire compétent, à savoir 10 jours à compter :
- Soit de la délibération décidant le recours à l'expertise si l’objectif est de contester la nécessité de l'expertise ;
- Soit de la désignation de l'expert si la demande a pour objet de contester le choix de l'expert ;
- Soit de la notification à l'employeur du cahier des charges, si l’employeur entend contester le coût prévisionnel, l'étendue ou la durée de l'expertise ;
- Soit enfin de la notification du coût final de l'expertise (solde) si l’employeur « payeur » entend contester ce coût.
En lien avec son Avocat, l’employeur doit donc se tenir prêt à saisir le juge, sous peine d’être déclaré irrecevable. Précisons que la saisine par assignation suspend l'exécution de la décision d’expertise ainsi que le cas échéant, les délais de consultation du CSE (cf. C. Trav. L2315-86).
Si les contestations relatives au choix de l’expert habilité devraient rester relativement limitées dès lors que celui-ci aura obtenu le sésame de la certification, en revanche, les nouvelles exigences posées par l’arrêté du 7 août 2020 viendront certainement alimenter les possibilités de recours employeur : lettre de mission, conformité de la méthodologie d’expertise au regard de l’annexe 3 de l’arrêté du 7 août 2020, conduite et pilotage de l’expertise par le chargé de projet, sous-traitance, pertinence et utilité des conclusions formulées, etc.
Un nouveau front contentieux pourrait ainsi s’ouvrir à terme, alors qu’en parallèle, les potentialités d’expertise -notamment pour risque grave- n’ont jamais été aussi larges, alimentées en cela par la crise sanitaire et l’accélération des transformations d’entreprise …