Quelles actions pour l’entreprise en cas d’agression de son personnel ?

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03/05/2016 - Sébastien MILLET

Nombreux sont les secteurs d’activité où les travailleurs sont exposés au risque de violences sous toutes ses formes.  Il s’agit d’un risque lourd au regard des conséquences pour la victime d’une agression verbale et/ou physique, mais également pour l’entreprise qui l’emploie.


Citons par exemple les conséquences sur l’engagement dans le travail et les coûts divers engendrés par les absences notamment. Pour l’entreprise, l’impact est aggravé lorsqu’il s’agit d’un salarié-clé dans l’organisation (cadre dirigeant par exemple), ce que peut venir notamment compenser pour partie la souscription d’une assurance dite homme-clé.

Bien évidemment, l’entreprise doit agir en prévention primaire, ce qui implique d’évaluer les risques professionnels dans ce domaine et de mettre en place des actions de prévention adaptées (cf. notamment sur ce point l’ANI du 26 mars 2010 ; brochure INRS n° NS288). La survenance d’évènements violents doit en outre conduire à une réflexion et une analyse en vue d’améliorer la sécurité des salariés.

Cela étant, on peut affirmer ici que le risque zéro n’existe pas, d’autant que le salarié peut être victime de violences dans le cadre de sa vie extraprofessionnelle. On touche ici aux limites de l’obligation de sécurité de l’employeur, et la nouvelle approche de la jurisprudence qui l’envisage sous l’angle d’une obligation de prévention est bienvenue (cf. Cass. Soc. 25 novembre 2015, n° 14-24444).

En marge du registre d’obligations qui pèse sur l’employeur, intéressons-nous ici aux mesures que l’employeur a la faculté de prendre en réponse à une agression commise sur l’un de ses salariés.

Outre les actions d’accompagnement et de soutien des salariés victimes (cf. soutien psychologique, aide aux démarches administratives, etc.), les entreprises disposent de possibilité d’actions sur le terrain juridique à l’encontre des auteurs d’agression sur leurs salariés.

Cette possibilité d’action en justice semble souvent méconnue des entreprises, ce qui les conduit à en assumer le coût sur leur trésorerie.

D’une manière générale, l’employeur a la possibilité d’agir en réparation du préjudice causé par le tiers responsable, ainsi que son assureur le cas échéant, l’enjeu principal étant en pratique celui de la solvabilité du responsable (précisons que lorsque l’auteur des faits est un salarié de l’entreprise, sa responsabilité à l’égard de l’employeur obéit à un régime spécial : en particulier, la jurisprudence exige la commission d’une une faute lourde, ce qui suppose l'intention de nuire à l'employeur et la volonté de lui porter préjudice – cf. Cass. Soc. 22 octobre 2015, n° 14-11291).

Sous cette réserve, les règles classiques de la responsabilité civile délictuelle trouvent à s’appliquer, à savoir la démonstration d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité (cf. C. Civ., art. 1382, recodifié à l’article 1240 au 1er octobre 2016 dans le cadre de la réforme du droit des obligations).

De son côté, le tiers responsable cherchera toujours à minimiser sa responsabilité, en faisant notamment valoir un partage de responsabilité avec la victime et/ou son employeur.

Typiquement, le préjudice indemnisable pour l’employeur concerne prioritairement les salaires et charges sociales versés au titre de la période d’incapacité, dans le cadre de la garantie légale ou conventionnelle de maintien du salaire (cf. Cass. Ass. Plén. 30 avril 1964, n° 62-11135). 

Bien entendu, l’employeur peut également dans ces cas obtenir de l’auteur du dommage la prise en charge de ses frais de justice.

Même si la jurisprudence est plus réservée, la question se pose pour d’autres postes de préjudice, souvent non négligeables (tels que coûts indirects de remplacement du salarié ; frais de gestion administrative divers et frais juridiques ; augmentation indirecte des cotisations d’assurance complémentaire en matière de couvertures de prévoyance et de frais de santé ; imputation sur le compte employeur ATMP ; etc.). Si l’on va plus loin, la question de l’indemnisation du préjudice moral de l’employeur dans certaines circonstances légitimes ne serait pas forcément fantaisiste (sachant que son principe a été admis dans le contentieux commercial, quel que soit le régime de responsabilité concerné – cf. Cass. Com. 15 mai 2012, n° 11-10278).

Citons ici une affaire récente dans laquelle les juges ont fait droit aux demandes de l’employeur qui sollicitait la condamnation de l’agresseur d’un de ses salariés à l’indemniser au titre des préjudices subis du fait d'une désorganisation de l'entreprise (absence d’un salarié expérimenté) et des surcoûts liés au recours à l'intérim et aux conséquences de sa déclaration d’inaptitude. En appel, la Cour avait retenu la thèse selon laquelle le licenciement n’était pas la conséquence directe de l’agression. Décision cassée en faveur de l’employeur, au motif que les juges avaient constaté que l’inaptitude physique du salarié avait été déclarée par le médecin du travail en raison des séquelles résultant des blessures qui lui avaient été infligées, et que l’avis du médecin du travail rendu s’impose aux parties quand bien même il n’est pas contradictoire à l’égard de l’auteur des faits, sans possibilité pour les juges du fond de substituer leur appréciation à celle du médecin du travail (Cass. Civ. II 10 décembre 2015, n° 14-26591).

Il est essentiel de pouvoir documenter ces postes de préjudices afin de pouvoir chiffrer précisément les sommes engagées. Cela vaut également pour l’évaluation de la désorganisation (impacts sur la clientèle, l’avancement de projets, etc.), qui est toujours plus difficile à quantifier précisément.

Précisons sur le plan procédural que dans la mesure où l’agression est en général susceptible de constituer une infraction pénale passible de poursuites, se pose la question d’une stratégie en faveur de l’action judiciaire devant la juridiction civile ou devant la juridiction pénale compétente (cf. CPP, art. 5). L’intervention au procès pénal est toutefois restreinte. En effet, la constitution de partie civile de l’employeur devant une juridiction pénale en vue d’obtenir la réparation du préjudice découlant de l’infraction nécessite de démontrer l’existence d’un préjudice de caractère personnel et découlant directementdes faits objet de l’action publique (CPP, art. 2). Si celle-ci peut être admise en faveur de l’employeur en qualité de tiers payeur en vue du remboursement des salaires maintenus ou des indemnités journalières versées pendant la période d'inactivité consécutive à l'événement dommageable, par subrogation aux droits de cette victime et dans la limite de la part d'indemnité réparant l'atteinte à son intégrité physique (cf. Cass. Crim., 10 mai 1990, n° 89-82856 ; Crim. 7 avril 1993, n° 92-83868). En revanche, la constitution de partie civile de l’employeur est irrecevable lorsque le préjudice subi par l’entreprise n’est que la conséquence indirecte de l’infraction pénale et que celle-ci n’est qu’une victime purement civile (cf. Cass. Crim., 15 mai 1987, n° 86-91015 – exemple de préjudice résultant d’une baisse de production causée par un mouvement de grève au cours duquel des agissements illicites d’entrave à la liberté du travail).

Selon les cas, l’entreprise a sans doute intérêt à apprécier en opportunité la possibilité d’agir contre l’auteur de l’agression du salarié, que ce soit à titre ponctuel (selon l’enjeu financier) ou dans le cadre d’une politique plus systématique (lorsque le phénomène est plus récurrent, ce qui suppose toutefois que l’entreprise ait connaissance de l’évènement et de ses circonstances).