Accidents du travail : la défense pénale et civile se prépare dès l’enquête !

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Evaluation des risques / DU
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21/02/2019 - Sébastien MILLET

En cas de survenance d’un accident du travail, une mécanique complexe se met en mouvement, tout particulièrement lorsqu’il présente des conséquences graves ou met en cause une situation de « coactivité » entre plusieurs entreprises.


Autant d’étapes qu’il convient de ne pas négliger, compte tenu de leur importance in fine sur la mise en cause de la responsabilité de l’entreprise ou de son représentant.

A chaud intervient tout d’abord la question de l’organisation des secours, de la prise en charge de la victime et de son accompagnement : de l’efficacité de ces mesures va souvent dépendre l’importance du dommage et sa qualification juridique en cas d’infraction, mais également l’appréciation du niveau de diligences accomplies par l’entreprise. Il est de bon sens de considérer qu’à ce stade, l’humain prime ici sur toute autre considération.

Sur le plan administratif, la déclaration d’accident du travail constitue une formalité essentielle pour la mise en œuvre de l’indemnisation de la victime au titre de la législation sur les ATMP, par les régimes de base et complémentaires. L’absence ou le retard de déclaration expose l’employeur à des risques financiers importants. Surtout, cette étape est l’occasion, si nécessaire, de faire valoir des réserves écrites et motivées sur les circonstances de l’accident (par exemple lorsque celles-ci sont indéterminées, sans témoins, ou suspectes).

En parallèle, il est tout aussi essentiel d’être réactif et diligent dans la déclaration de sinistre auprès de l’assureur de responsabilité civile de l’entreprise (cf. notamment au titre de la garantie faute inexcusable lorsqu’elle a été souscrite), et ce à titre conservatoire dans les délais prévus par le contrat d’assurance.

Il va sans dire qu’il est particulièrement recommandé de contacter dès ce stade l’Avocat conseil de l’entreprise afin d’anticiper correctement la suite des évènements. L’expérience montre qu’une saisine tardive peut considérablement réduire les marges de défense ultérieures.

En particulier en cas de dommage corporel, l’entreprise va vivre très rapidement au gré de l’enquête préliminaire menée par les services de police judiciaire, en lien avec les agents d’Inspection du travail en qualité de « sachant » : constatations, prélèvements, mise sous scellés, auditions, etc.

D’emblée, précisons qu’il est essentiel de coopérer avec l’enquête, sous peine d’envoyer pour la suite un très mauvais signal, outre le risque également de se voir reprocher un délit d’obstacle.

Concernant les auditions de témoins, les enquêteurs le savent bien, c’est à chaud que les « langues se délient » le plus. Les premières constatations sont donc très souvent capitales du point de vue notamment de la recherche d’éventuels manquements directs ou indirects aux règles de sécurité (par action mais également par abstention).   

A l’enquête de police se superpose en parallèle l’enquête interne pilotée par l’employeur.
A cet égard, l’entrée en scène des représentants du personnel (CHSCT et CSE ou représentants de proximité désormais) constitue un point de passage incontournable, mais qui peut s’avérer délicat.

Précisons que celui-ci est tenu de réunir le CSE à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves, ainsi qu'en cas d'événement grave lié à l'activité de l'entreprise, ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l'environnement (cf. C. Trav., L2315-27).

A « tiède » vient alors la démarche d’arbre des causes interne, qui constitue une étape sensible. Il faut en outre bien garder à l’esprit que la causalité est susceptible d’occuper une place centrale dans les débats judiciaires. Il est surtout nécessaire de rappeler quel est son objectif, à savoir contribuer à faire progresser la sécurité en tirant des leçons d’une analyse objective et partagée de l’évènement (Rex), et non établir une constatation de responsabilités (ce qui relève du rôle des enquêteurs et des tribunaux). La rédaction du document de synthèse appelle donc une prudence rédactionnelle particulière dans sa formulation.

Ces éléments de compréhension n’en restent pas moins indispensables pour définir un plan d’actions afin d’éviter une réitération ou un « sur-accident » (et accessoirement, apprécier la nécessité de recourir à des mesures de type disciplinaire notamment). Cela conduit à devoir faire fréquemment de la pédagogie afin d’expliquer que le fait d’améliorer a posteriori la situation ou les pratiques renvoie à l’obligation générale de sécurité et ne préjuge pas d’une quelconque responsabilité à la date où les faits se sont produits.

Le temps judiciaire n’étant pas celui de l’entreprise, l’enquête va ensuite se poursuivre « à froid », avec des phases de collecte d’éléments documentaires et d’auditions complémentaires.
Typiquement, le chef d’entreprise ou d’établissement doit bien souvent s’attendre à être suspecté d’avoir commis une infraction et à être convoqué en vue d’une audition libre devant les services de Police ou de Gendarmerie, et/ou l’Inspection du travail (celle-ci étant soumises aux mêmes obligations procédurales essentielles vis-à-vis de la personne entendue). Les gardes à vues sont rares dans ce domaine, mais le fait de ne pas déférer à une convocation peut inciter à des mesures plus coercitives.

Il sera souvent demandé de désigner qui est le « responsable pénal » au sein de l’entreprise, expression particulièrement inadéquate car elle laisse sous-entendre une reconnaissance de culpabilité.

Se pose alors la question de l’invocation (ou non) par le dirigeant de l’existence d’une délégation de pouvoirs, sachant que plus celle-ci intervient tôt dans la procédure, plus elle aura de chances d’être efficace. Il s’agit toutefois d’un point capital en termes de stratégie globale de défense, qui doit impérativement être appréhendé en amont avec le conseil.

Pour un responsable d’entreprise, il est certain que ce type d’expérience est subie et généralement difficile à vivre, et nécessite de s’y être préparé a minima en amont.

Face à un travail de recherche d’indices de commission d’infractions, une des « règles d’or » réside dans le droit fondamental à ne pas « s’auto-incriminer » et contribuer à sa propre accusation (cf. Cass. Ass. Plén. 6 mars 2015, n° 14-84339). Le principe d’économie est souvent de rigueur et il convient à nouveau d’être très vigilant à la manière dont les réponses seront retranscrites au procès-verbal d’audition. La nuance dans les termes a toute son importance.

Là encore, l’assistance de l’Avocat est capitale en pratique, pour rassurer, conseiller et tendre à rééquilibrer le rapport de forces.

Surtout, cette phase est le moment de jeter les premières bases de la défense à venir, à condition d’avoir pu suffisamment préparer le dossier en amont.

En particulier, il faut s’interroger sur l’opportunité de produire ou non des éléments de preuve susceptibles d’infléchir l’analyse à décharge, en sachant qu’à ce stade, le secret de l’enquête interdit de pouvoir avoir une vision globale du dossier.

Il faudra attendre alors la clôture de l’enquête et la décision du Parquet de mettre en mouvement l’action publique (étant précisé que la saisine d’un Juge d’instruction est rare en la matière), c’est-à-dire de déclencher des poursuites devant une juridiction pénale, pour pouvoir avoir accès au dossier dans son intégralité.

Précisons qu’en matière d’accident grave du travail, la politique de justice pénale est de privilégier l’engagement de poursuites plutôt que le recours à des mesures alternatives.

C’est alors que la stratégie de défense pourra être pleinement déroulée, tant sur la forme que sur le fond, en mettant sur la table toutes les options sachant qu’il s’agira d’une partie à plusieurs bandes mettant en jeu un ou plusieurs prévenus, le Ministère public, des parties civiles, des organismes assureurs ainsi que des organismes de Sécurité sociale, devant différentes juridictions.

Les parties entrent alors dans la phase contentieuse qui peut durer plusieurs années, ce qui nécessite côté entreprise de gérer le dossier dans la durée malgré le turn-over naturel au sein du personnel. 

Au-delà de leurs conséquences marquantes et des impacts financiers parfois très coûteux pour l’entreprise, ces accidents constituent une source d’enseignements utiles, la maîtrise des risques étant un domaine dans lequel rien n’est jamais acquis.