Quel regard portez-vous sur l'évolution de la prévention
ces dernières années ?
Un regard assez critique. La prévention reste trop souvent
abordée de manière négative, en termes de manque et de
catastrophe, sans prêter attention aux procédures informelles de
sécurité mises en œuvre au cours de l’activité. S’il faut
toujours étudier les accidents du travail pour comprendre et
pallier les défaillances de son organisation et de sa gestion, il
importe tout autant d’étudier le travail avec tous les moments de
récupération par les équipes des situations dégradées avant que
le risque ne se précipite en évènement accidentel ou en
maladie.
Cette dimension positive du travail concret n'est pas
suffisamment connue et valorisée. Pour moi, étudier le travail
quand il va bien est essentiel pour conduire une politique de
prévention intelligente et adaptée aux conditions concrètes de
l’activité.
Dans le BTP, mais ailleurs également, des savoir-faire de
prudence sont transmis de façon plus ou moins formelle entre les
anciens et les nouveaux. Ce sont des gestes, des pratiques qui ne
figurent dans aucune procédure mais font partie d'un patrimoine
de métier à préserver et à entretenir.
Vous insistez sur le rôle fondamental de l'équipe, quel
est-il ?
Sur les chantiers de BTP comme ailleurs, l'équipe est le lieu de
la construction de l’expérience, de la mutualisation des
savoirs, de l'intégration des nouveaux arrivants, mais aussi du
maintien dans l’emploi de travailleurs âgés. Cette
dimension collective dans l’équipe ne va pas de soi comme
j’essaie de le montrer dans le livre. Quand tout va bien,
l'équipe permet de temporiser entre les contraintes qui pèsent
sur l'entreprise et l'individu sur le terrain. La fonction du
manager de proximité, le chef d'équipe, voire le chef de
chantier, est primordiale. Le chef d'équipe non seulement a le
savoir et les tours de main techniques, il sait prendre le temps
pour que le travail se parle dans l’équipe et il sait également
prendre une décision le moment venu. C'est sans doute ce
qui manque aujourd'hui à nombre de managers qui en imposent
davantage par leur statut que par leurs compétences, avec toutes
les crispations et situations de harcèlement que cela peut
entraîner.
Faire confiance, c'est votre leitmotiv ?
Tout à fait. J'ai confiance en l'humain. Encore faut-il être un
peu outillé pour en comprendre quelque chose. Les opérateurs de
terrain tout comme les cadres sont souvent plus intelligents
qu'ils ne le pensent, ils ont des idées, ils ont des pratiques
prises dans le quotidien du travail qui concourent déjà à la
prévention sans forcément être étiquetées sécurité. Il faut
placer leur travail et leur représentation du travail au cœur des
démarches de prévention et ensemble construire des
stratégies qui fonctionnent. Cette approche n’exclut ni
l’expertise technique ni l’expertise médicale du travail, elles
sont absolument nécessaires mais non suffisantes. D’où l’intérêt
de la pluridisciplinarité en santé au travail.