Vous avez réalisé plusieurs études sur la discrimination
hommes/femmes en santé au travail, dont la dernière centrée sur
la Belgique. Quel a été le point de départ de ces
travaux ?
Nous sommes partis d’un constat statistique : dans la
majorité des pays européens, les femmes représentent moins de 25%
des cas reconnus de maladies professionnelles. Or, les femmes
sont tout autant susceptibles que les hommes d’atteinte à leur
santé dans leur environnement professionnel. Les enquêtes sur les
conditions de travail montrent que le pourcentage de
travailleuses mentionnant un problème de santé causé par leur
travail est comparable à celui des hommes. En Belgique et au
Royaume Uni, moins de 10% des reconnaissances concernent les
femmes. Ce pourcentage est plus équilibré en France, grâce à
l’important travail qui a été fait sur la reconnaissance des
Troubles Musculo-Squelettiques.
D’où vient cette différence entre homme et femme dans la
reconnaissance des maladies professionnelles ?
En premier lieu, d’un stéréotype largement répandu qui a
conditionné les politiques de prévention : les hommes
exerceraient les métiers les plus pénibles et dangereux tandis
que les femmes seraient moins exposées aux risques
professionnels. Cette idée reçue a impacté la rédaction des
tableaux de maladies professionnelles en mettant plus l’accent
sur les risques en milieu industriel traditionnellement plus
masculins que sur les métiers des services. Ces tableaux n’ont
globalement pas suivi les évolutions du monde professionnel et de
la place des femmes au travail.
Y a t’il des maladies professionnelles où ce déséquilibre
est particulièrement flagrant ?
En sus de la représentation particulièrement basse des femmes
dans les cas reconnus de maladies professionnelles, il y a une
concentration sur trois groupes de maladies : les
tendinites, les syndromes du canal carpien et les affections de
la peau. Or les données d’enquête sur les conditions de travail
indiquent des atteintes à la santé beaucoup plus diversifiées. La
situation est particulièrement inquiétante dans le domaine de la
reconnaissance des cancers professionnels, où les femmes
représentent moins de 2% des cas.
Dans le cas particulier de la Belgique, vous mettez en
lumière un suivi insuffisant des services de médecine du
travail ?
Effectivement, en Belgique, les services de santé au travail ne
sont pas organisés comme en France avec par exemple la visite
annuelle obligatoire. Le suivi est organisé en fonction des
facteurs de risques identifiés, avec des professions qui sont
complètement laissées à l’écart du suivi. En cas de maladie
professionnelle déclarée, les travailleurs concernés vont alors
avoir énormément de difficulté à apporter la preuve de
l’exposition. Ainsi entre 2000 et 2009, les statistiques font
apparaître un taux extrêmement bas de maladies professionnelles
dans les professions du nettoyage, secteur où pourtant les
facteurs de risques sont clairement identifiés.
Quelles sont les recommandations énoncées à la suite de
ces travaux au niveau européen ?
Dans le domaine de la reconnaissance des maladies
professionnelles, nous militons pour une révision des tableaux et
une simplification des procédures administratives de
reconnaissance par chaque état membre. La complexité et la
longueur des procédures ne favorise pas la prévention. Elle donne
l’illusion que, lorsqu’il y a moins de maladies professionnelles
déclarées, c’est que le risque est maîtrisé. Ce n’est
malheureusement pas toujours le cas.
En termes de prévention et d’évaluation, nous constatons que plus
il y a concentration d’hommes ou de femmes dans un secteur
d’activité, plus la charge de travail et l’exposition aux risques
sont sous-estimées. Par exemple, dans la profession d’infirmière
qui est une profession typiquement féminine, dans la mesure où
l’on prête aux femmes des qualités naturelles de compassion,
d’empathie, de résistance au stress, on va minimiser les risques
psychosociaux. A contrario dans les métiers du BTP plus
masculins, c’est le risque lié à la manutention de charges ou les
risques d’accident qui sont sous-évalués au nom de la virilité
qui caractériserait ce milieu professionnel.
La stratégie communautaire de Santé et Sécurité au
Travail peut-elle avoir un impact sur les politiques
nationales ?
La stratégie 2005-2012 est venue à échéance en décembre et nous
insistons auprès de la Commission Européenne pour que le résultat
de nos travaux soient pris en compte dans l’élaboration de la
stratégie pour la période 2013-2020. Avec le contexte de crise
actuel, les problématiques de santé au travail passent au second
plan et la stratégie 2013-2020 n’a pas encore été adoptée. Nous
pensons qu’elle le sera vers l’été 2013.
La stratégie communautaire de Santé et Sécurité au Travail n’a
pas un caractère obligatoire au niveau des états membres, elle ne
donne que des orientations mais elle a le mérite de susciter des
débats sur les grandes problématiques de Santé et de Sécurité au
Travail dans les pays concernés.
L’Institut Syndical Européen est une émanation de la
Confédération européenne des Syndicats et a été créé en
1989.
A travers son département Conditions de travail, Santé et
Sécurité, il a pour vocation de mener des travaux de recherche
sur les problématiques de Santé et de Sécurité au travail et de
diffuser des campagnes d’information sur la prévention des
risques professionnels.
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