La question de la sécurité, année après année, connaît des
évolutions ambivalentes sur l’échelle de préoccupations des
Français. Le ressenti de nos concitoyens en la matière est
étroitement dépendant de la complexité des temps qu’ils
traversent, et notamment des événements qui leur sont donnés à
vivre. Il l’est aussi plus fondamentalement influencé par les
événements qui les touchent au quotidien, même s’ils sont d’une
portée géostratégique plus limitée voire inexistante.
Ainsi la perception des menaces et des risques qui fondent nos
dispositifs de prévention ou de riposte obéit à des logiques qui
procèdent d’une sensibilité souvent éloignée des réalités
complexes qui les fondent. Car les menaces et les risques n’ont
cessé de muter depuis deux décennies, sans que nous fassions
preuve de la même ductilité.
Modifier nos modèles stratégiques
Ainsi, parce que nous sommes confrontés à de nouveaux enjeux,
devons-nous affronter de nouvelles interrogations, dégager de
nouvelles stratégies et mettre en œuvre de nouveaux moyens. Par
exemple et typiquement, les révolutions arabes ont pris à
contre-pied les appareils diplomatiques européens au point de
laisser les dirigeants des pays concernés dans un état
d’indécision qui les a conduits, dans un premier temps, à
observer plutôt que d’agir. Les grilles de lecture utilisées
depuis des décennies se sont avérées inadaptées face à ces
événements non anticipés. Au surplus, des attentes fantasmées sur
la capacité des régimes autoritaires de la zone à étouffer la
contestation et à maintenir la cohésion de leur société au profit
d’une lutte contre les extrémismes religieux, source avérée d’un
terrorisme menaçant, ont réduit encore plus notre champ de vision
et d’observation. Et il n’est pas certain que la lecture qui est
faite des événements concernés soit aisée et, en conséquence,
pertinente.
La mort d’Oussama Ben Laden marque une victoire importante et
attendue sur le terrorisme qui a occupé notre horizon depuis le
11 septembre 2001. Il faut bien reconnaître que cette
disparition, pour symbolique qu’elle est, n’est qu’anecdotique au
regard des risques et des enjeux liés au terrorisme dans le
monde. Le terrorisme n’est pas mort et il reste le moyen le plus
efficace pour mener une guerre asymétrique, une guerre sans arme
stratégique traditionnelle. Penser que le terrorisme est en
déclin serait une erreur.
Ont été également négligés l’observation des capacités de
mobilisation offertes aux contestations par les réseaux sociaux
et, de manière générale, le Web 2.0, dit
« participatif ». Nouveau territoire de contestation et
d’activisme démocratiques mais aussi de délinquance et de crime,
le « cybermonde » n’a pas encore modifié nos modèles
stratégiques : ce retard doit impérativement être rattrapé
pour parvenir à une juste évaluation des situations de crise, en
particulier sur la scène internationale.
Que dire des catastrophes naturelles et industrielles qui ont
capté notre attention durant l’année 2011. Fukushima et Irène1
nous ont apporté matière à réflexion et il faut bien reconnaître
que pour la première le monde a été surpris. Qu’un pays moderne,
parmi les plus avancés sur de nombreux champs, ait pu se trouver
ainsi pris au dépourvu pour n’avoir pas anticipé un tel événement
montre combien il reste beaucoup à faire pour prévenir et agir.
Mais sommes-nous certains d’en connaître les causes réelles
au-delà des causes naturelles apparentes ? Le Japon est-il
un pays organisé aux structures, y compris de gouvernance,
efficaces et bien gérées par des experts ou des professionnels
conscients de leurs responsabilités ? L’analyse du
déroulement de la catastrophe de Fukushima remet en cause toutes
nos certitudes à cet égard.
Enfin, et pour compléter cette énumération, les leçons que nous
avons tirées de la crise de la grippe H1N1 ont conduit le
gouvernement français à construire un modèle de gestion de crise
dont la plasticité permet de penser que nous sommes en mesure
d’affronter des événements de nature diverse avec plus de chance
d’élever le niveau de résilience des organisations publiques et
privées utiles à la vie de la Nation. Car s’il semble ne plus y
avoir de menaces à nos frontières, il est certain qu’il n’y a
plus de frontières aux menaces et aux risques.
Analyser les signaux faibles
Les difficultés d’analyse stratégique, qui renvoient souvent,
pour ne pas dire toujours, à une difficulté de traitement de
l’information, trouvent plus leur fondement dans des chaines
causales intellectuelles et psychologiques que dans un déficit de
moyens technologiques ou financiers. C’est donc vers une plus
grande capacité à analyser correctement les signaux les plus
faibles qui s’offrent à notre regard qu’il faut tendre. La
question n’est pas de savoir ce que nous ne voyons pas mais
d’accepter ce que nous pouvons parfaitement discerner. La
solution à cette difficulté réside dans la fécondation des
perspectives les unes par les autres, ce qui impose un travail
commun entre des compétences et des spécialistes extrêmement
divers.
Terrorisme, cybercriminalité, réseaux criminels de type mafieux
ou rompus à l’hyper violence, catastrophes naturelles et
sanitaires, vulnérabilités de nos organisations qui diminuent
d’autant le niveau de résilience de notre société face à ces
défis sont les enjeux principaux que doivent relever les pouvoirs
publics dans leur rôle de protection des citoyens et, partant, de
notre démocratie.
La volonté exprimée en 2008, dans le Livre blanc sur la défense
et la sécurité nationale, de s’affranchir des limites anciennes
entre le national et l’international, le militaire et le civil,
l’enquêteur ou le diplomate est plus que jamais d’actualité.
Considérant la transversalité et l’interdépendance des
composantes de la posture de sécurité par homothétie des formes
prises par les menaces, les risques et les vulnérabilités qui se
recombinent en permanence à la manière d’un virus mutant, le
concept de sécurité nationale doit pouvoir évoluer dans ses
objectifs. Il prend ainsi la succession de celui de sécurité
globale dont les perspectives relevaient d’une époque
révolue.
Puisque le monde se réorganise au sein de vastes
interdépendances, il s’avère totalement artificiel de vouloir
segmenter les problèmes, tant dans leur analyse que dans leur
résolution. En effet, les évolutions constatées partout dans le
monde et sur tous les champs, depuis 2008, plaident pour un
réexamen permanent de la stratégie de sécurité nationale avec
notamment pour objectif de donner à l’État la capacité, d’une
part, de lire la conjoncture sans se reposer uniquement sur les
leçons ou les normes du passé et, d’autre part, d’imaginer des
outils adaptés.
Cette transversalité et cette interdépendance entre menaces,
risques et vulnérabilités, interpellent sur la pertinence de
stratégies de réponses de plus en plus exhaustives et complexes.
Peut-on tout prévoir dans un monde où les dangers de toutes
natures sont de plus en plus interdépendants et
transnationaux ?
1 L’ouragan Irène est passé sur la côte est de l’Amérique du Nord
à la fin du mois d’août 2011, faisant près de 40 morts.
Dossier extrait de la revue Préventique n°121 janvier/février
2012
