Trois vecteurs sont à l’œuvre dans ce processus :
- la mise en place de coalitions locales dans toutes les villes
qui agissent dans les champs de la prévention sociale et
situationnelle de la malveillance et de la sécurité
publique ;
- une responsabilisation constante, à travers les lois cadres
de la sécurité depuis 1995, des grands gestionnaires d’espaces et
d’équipements ouverts au public ;
- une reconnaissance du secteur de la sécurité privée comme intervenant légitime, voire comme supplétif dans la chaîne de la protection des personnes et des biens.
Les coalitions de sûreté au plan local
L’idée est déjà ancienne en France selon laquelle, tant l’insécurité perçue que l’insécurité réelle ont des causes multifactorielles ne pouvant être combattues avec succès par la seule force publique. La primeur de son expression publique en revient au rapport Peyrefitte « Réponses à la violence » publié en 1977 alors que l’insécurité après les Trente Glorieuses, après le premier choc pétrolier, était, pour la première fois depuis la Reconstruction, à l’agenda politique.
Le même
constat fut fait en 1984 par une commission de maires et d’élus
locaux qui eut à s’interroger sur les causes des premières
émeutes à la française, survenues pendant l’été 1981 en banlieue
lyonnaise. Cette commission publia en 1984 un rapport dit
« Bonnemaison » du nom du maire d’Épinay-sur-Seine de
l’époque, dont le titre « Prévention, répression,
solidarité » annonçait les politiques de prévention de la
délinquance et de la Ville qui allaient être menées jusqu’à
aujourd’hui encore.
Le dispositif actuel de prévention de la malveillance à l’échelle des territoires traduit l’idée selon laquelle la sécurité est l’affaire de tous. Il est le suivant : toute ville de plus de 10 000 habitants est dotée d’un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) présidé par le maire ou le président de l’intercommunalité, rassemblant autour de lui les institutions de l’État (justice, police, éducation…), les collectivités territoriales et les associations ainsi que les opérateurs économiques (transporteurs publics, logement social, gestionnaires de grands ERP). Chacun de ces conseils locaux est censé mettre en place une stratégie territoriale de sûreté, sur la base d’un diagnostic et d’un pilotage cohérents.
Le grand intérêt de ces stratégies territoriales est de mettre autour de la table des acteurs locaux dont les cultures sont souvent fort éloignées (métier du social, du sanitaire, de la sécurité, de l’éducation, de l’exploitation des transports…) et de décloisonner ainsi le fonctionnement des institutions. Leur faiblesse est probablement l’insuffisance du pilotage des institutions partenaires, très complexe au demeurant, et le déficit d’évaluation.
L’« imposition de sûreté » faite aux opérateurs
recevant du public
Dès
la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité
du 21 janvier 1995, s’est mise en œuvre une conception
pragmatique de la sûreté selon laquelle celui qui génère le
risque, y compris dans un domaine aussi imprévisible que le
comportement humain, doit l’assumer. Le risque étant
essentiellement associé à l’existant de flux importants de
personnes, la sûreté va consister à limiter l’impact des
comportements malveillants associés à ces flux.
Au fil des lois de sécurité1
ce principe sera consolidé, obligeant par exemple les
gestionnaires de parkings publics, les gestionnaires de stades,
les gestionnaires d’aéroports, les organisateurs de
manifestations sportives et culturelles à mettre en œuvre des
moyens de surveillance et de protection proportionnés au risque
de trouble et de malveillance.
Ce mouvement sera renforcé après les attentats de Londres qui
propulseront la technologie de vidéosurveillance au rang de
véritable principe de précaution. La loi d’orientation et de
programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite
Loppsi 2, promulguée le 14 mars 2011, sera, dans ce domaine, pour
partie censurée par le Conseil constitutionnel. La haute
juridiction rappellera deux principes fondamentaux du droit de la
sûreté : premièrement l’État ne peut déléguer à un opérateur
privé la compétence de la sûreté sur les voies et espaces
publics, deuxièmement tout moyen de sûreté doit être proportionné
au risque de malveillance qu’il est censé réduire.
Le législateur est allé plus loin encore dans ce principe de
responsabilisation du générateur de comportements malveillants
potentiels en imposant aux concepteurs de grands ouvrages une
analyse de leur impact prévisible sur la sûreté.
L’article 14 de la loi sur la prévention de la délinquance
du 5 mars 2007, devenu l’article L 111-3-1 du Code de
l’urbanisme, rend obligatoire une « étude de sûreté et de
sécurité publique » (ESSP) pour les grands projets
d’aménagement et de construction d’établissements recevant du
public.
Cette ESSP est devenue une pièce réglementaire des dossiers de
demande de permis de construire. Les futurs stades, lycées,
centres commerciaux, musées… doivent être désormais analysés sous
l’angle des risques de malveillance. Il faut pour ce faire se
livrer à une scénarisation de risques à partir de diagnostics sur
l’environnement urbain existant et à partir d’une analyse des
risques nouveaux générés par le projet.
L’impact de cette réglementation est important que ce soit par la prise de conscience qu’elle engendre chez les maîtres d’ouvrage et chez les architectes et par les améliorations qu’elle génère tant dans la conception de sûreté des projets que dans la facilitation du travail futur des forces de sécurité2.
Le secteur de la sécurité privée, un acteur grandissant de la
coproduction de sûreté
Considérées
avec suspicion au début des années 80, les entreprises privées de
sécurité sont progressivement entrées dans le concert des acteurs
légitimes de la sécurité intérieure. Employant en 2010 plus
d’agents privés (150 000) que l’État n’emploie de policiers,
elles ont gagné nombre de compétences dont certaines relevaient
auparavant des seuls agents de la force publique3.
Les récents mouvements sociaux d’agents de certaines entreprises de sûreté aéroportuaire ont montré à quel point était devenu stratégique le rôle de ces agents de sûreté dans les aéroports notamment. Le poids social et économique du secteur d’activité a conduit les pouvoirs publics à accepter que son contrôle soit, pour large partie, partagé avec la profession elle-même. En créant le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) par un décret du 22 décembre 2011, organisme public de contrôle, de régulation et de conseil, l’État poursuit ainsi un mouvement de légitimation de la sécurité privée qui connaîtra sans aucun doute d’autres développements.
Les enjeux de sûreté pour les opérateurs privés
Deux exemples, de nature radicalement différente, illustrent bien les nouveaux enjeux de sûreté pour les opérateurs non étatiques : d’un côté, le secteur du logement social, contraint, pressé par la puissance publique, de devenir un acteur de la sûreté du quotidien qui prendrait toute sa part dans la prévention et la gestion des incivilités, de l’autre côté, le monde de l’entreprise privée dont les grandes entités sont déjà fortement engagées dans la mise en œuvre de stratégies de sûreté.
1. Notamment loi sur la
sécurité quotidienne du 18 décembre 2000, loi de sécurité
intérieure du 18 mars 2003, loi relative à la prévention de la
délinquance du 5 mars 2007.
2. Concernant un premier bilan
de cette réglementation des ESSP, voir l’article suivant : «
La dimension de sécurité publique dans l’aménagement urbain »,
Eric Chalumeau, Tribune du commissaire, n° 116, octobre
2010.
3. A titre d’exemple :
l’inspection visuelle des bagages à main dans certains
établissements recevant du public, fouilles et palpations de
sécurité dans les aéroports.
Article extrait de la revue Préventique n°121 janvier/février 2012