Contexte
Parmi ses différentes attributions, le CHSCT a la possibilité
dans certaines situations limitativement énumérées de recourir à
un expert agréé, ou à un expert en risques technologiques.
Intéressons-nos ici aux projets d’aménagement important modifiant
les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de
travail, dans lesquels le CHSCT doit être informé et consulté
pour avis par le chef d’établissement et peut à cette occasion
décider de recourir à un expert agréé (cf. C. Trav., L4614-12
2°), dont la mission est de 45 jours au maximum. Le
périmètre du CHSCT étant l’établissement, un projet affectant
l’entreprise toute entière peut ainsi conduire à ce qu’il y ait
autant d’expertises que de CHSCT, avec des issues très
variables.
Cette situation est d’autant plus décriée du côté des directions
d’entreprises que le recours à l’expert est souvent détourné de
sa finalité, alors que l’employeur est « payeur
obligé ». En pratique, ces expertises sont très coûteuses et
représentent une charge financière souvent jugée disproportionnée
(plusieurs dizaines de milliers d’euros la mission). Certes,
l’employeur peut contester devant le président du Tribunal de
grande instance statuant en la forme des référés la nécessité de
l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le
délai de l'expertise, mais l’étude de la jurisprudence montre que
statistiquement, les contestations aboutissent rarement. Une
évolution était inévitable afin de mieux concilier les droits du
CHSCT avec les intérêts de l’entreprise :
- Acte I – Un meilleur contrôle des experts auprès des CHSCT organisé par le décret n° 2011-1953 du 23 décembre 2011 (modification des conditions et de la procédure d'agrément afin de garantir la qualité des expertises ; renforcement des exigences de compétence et des règles déontologiques ; contrôle continu de l'activité des experts et possibilité de suspension d’agrément).
- Acte II – Une recherche de simplification et d’amplification du rôle des CHSCT dans les entreprises comptant plusieurs CHSCT concernés par un même projet, par la création d’une instance unique de coordination. Fait notable, ce dispositif est le fruit de la négociation collective au travers de l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité et l'emploi (cf. art. 12). Le projet de loi en discussion prévoit d’intégrer ce mécanisme dans le Code du travail (futurs articles L4616-1 et suivants).
Fonctionnement
Mise en place - Lorsque les consultations
obligatoires du CHSCT (aménagement important modifiant les
conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail,
introduction de nouvelles technologies, plan d’adaptation à des
mutations technologiques importantes et rapides) portent sur un
projet commun à plusieurs établissements dotés de CHSCT,
l’employeur pourra décider de mettre en place d’instance de
coordination des CHSCT. Ce sera pour lui une simple faculté
laissée à sa libre initiative.
Composition – Sauf aménagement particulier prévu par
accord collectif, participeront à l’instance de coordination le
chef d’entreprise (ou son représentant), un représentant désigné
au sein de chaque CHSCT, ainsi que des personnes territorialement
compétentes pour l’établissement dans lequel se réunit l’instance
de coordination (médecin du travail, inspecteur du travail, agent
des services de prévention notamment).
Double mission – Bien qu’il ne soit pas envisagé de lui
reconnaître la personnalité morale, l’instance de coordination
organisera le recours à une expertise unique par un expert agréé
dans les conditions des articles L4614-12 2° et L4614-13
du Code du travail, et rendra sur cette base un avis sur le
projet commun, éventuellement sous forme d’un avis unique (en
lieu et place des consultations locales) si un accord collectif
d’entreprise préalablement conclu le permet.
Fonctionnement identique au CHSCT – Les règles prévues
en matière de présidence, ordre du jour des réunions, moyens
matériels et informations, délibérations et confidentialité
seront applicables à l’instance de coordination.
Procédure accélérée – L’instance de coordination sera
tenue de se prononcer dans un délai préfix (à définir dans un
futur décret en Conseil d’Etat), le point essentiel tenant au
fait qu’à l’issue de ce délai réglementaire, l’instance de
coordination sera réputée avoir été (régulièrement ?)
consultée même si elle n’a pas rendu son avis ou si l’expert n’a
pas été en mesure de rendre son rapport. Il appartiendra donc
d’une part à l’instance de coordination de définir en conséquence
la mission de l’expert (qui sera désigné dès la première
réunion), et d’autre part au cabinet d’expertise de bien
s’organiser sachant que le périmètre d’expertise sera plus large
(multi-sites) avec un temps imparti qui devrait être raccourci
par rapport au délai actuel…
Perspectives
En l’état actuel du projet de loi, il est permis de penser qu’à
défaut d’alléger le coût des expertises, la conduite des
réorganisations devrait tout de même gagner en cohérence, en
rapidité et en sécurité pour les entreprises. Les conflits et
contentieux devraient être moins nombreux dans la mesure où en
décidant de recourir à cette instance de coordination,
l’employeur accepte le principe d’une expertise unique. Les
directions d’entreprises auront sans doute intérêt à recourir à
l’instance de coordination plutôt qu’à subir les aléas d’une
multiplication des consultations locales. En tout état de cause,
cela donnera lieu à des arbitrages en termes de stratégie
procédurale et d’opportunité.
Certes, les partenaires sociaux s’interrogeront sur le point de
savoir si une expertise unique ne risque pas d’être superficielle
et peu pertinente en termes d’analyse, et si finalement, derrière
la volonté affichée, il s’agit véritablement d’une création de
« nouveaux droits collectifs »…
Cela étant, cette instance de coordination va se superposer aux
instances locales (CHSCT et comités d’établissements), mais sans
les déposséder de leurs attributions. Ainsi, chaque CHSCT sera
destinataire du rapport d’expertise unique et de l’avis de
l’instance de coordination. Chaque CHSCT conservera en outre la
possibilité de déclencher une expertise sur le fondement du
risque grave constaté dans l’établissement, ce qui est souvent le
cas en matière de projet de réorganisation.
Reste à attendre la publication de la future loi.