Ces aidants prennent soin d’enfants en situation de handicap, de conjoints ou de parents malades. Pourtant, ils osent peu informer leur management de leur situation, par manque de confiance ou par peur d’être stigmatisés (baromètre Interfacia 2023). Cette réalité est mal appréhendée dans l'entreprise, qui ne sait pas souvent estimer le nombre d’aidants salariés au sein de ses effectifs.

 

L’exemple de Polynov ingénierie, un bureau d’études industriel faisant partie du groupe SIBIM pour les process et produits industriels basé à Clermont-Fd (Puy-de-Dôme) montre néanmoins que c’est possible. « Notre PME a toujours été très sensible aux situations difficiles de la vie, au handicap. Plusieurs collaborateurs sont reconnus TH. Notre force, ce sont les hommes ! Notre président est très sensible au bien-être de ses collaborateurs » argue Amélie Maubert, responsable de l’unité clermontoise. 

 

Un enjeu aussi social qu’économique

Le cas de Gwenaël*, technicien actif de cette PME, est symptomatique de l’enjeu qui peut peser sur la PME. « Papa, d’un enfant de 8 ans en situation de handicap à 80%, il est investi, professionnel, il est très consciencieux dans la réalisation ses projets techniques et surtout un fidèle de l’entreprise. Nous sommes conscients que son environnement de travail apporte un souffle différent à son quotidien. En tant qu’employeur, il est essentiel aujourd’hui de prendre conscience de l’importance de l’humain au cœur du système : mettre en adéquation, avec des conditions les meilleures possibles dans le but d’atteindre une efficacité optimale. Une relation de partage et de confiance. »

 

L’aidance n’est plus uniquement du ressort de la sphère privée mais bel et bien un sujet d’entreprise, incitant les employeurs à (re)penser leurs organisations du travail à la lumière de ce phénomène. En 2030, un salarié sur quatre sera proche aidant, et pour les salariés de plus de 40 ans, cette proportion pourrait même atteindre un sur trois (Observatoire OCIRP, 2021).

 

Le coût de l’inaction est élevé (environ 1 500 €/an selon France Stratégie, 39 ans l’âge moyen d'entrée, près de 10h/semaine consacrés à l'aidance). Les coûts directs liés à l’absentéisme des salariés aidants et les coûts indirects liés au présentéisme représentent en moyenne 10 % de la masse salariale (Nathalie Chusseau, Université de Lille). Une grande partie de ces coûts pourraient être évités grâce à un meilleur accompagnement des aidants. « Oui, cela a un impact pour l’entreprise d’avoir un salarié absent, mais le poids est encore plus lourd humainement d’avoir un salarié en difficulté. Ses collègues sont bienveillants, l’ambiance de travail est bonne, ils comprennent et sont soucieux de sa situation. Nous le soutenons tous à notre niveau, autant que possible » abonde la responsable de Polynov Clermont-Fd, vigilante sur le bon équilibre de son équipe. Cela peut affecter plus largement la santé au travail du collaborateur, déjà arrêté à plusieurs reprises. 

 

Des compétences précieuses et ignorées

Les salariés aidants ne doivent pas être réduits à une somme de chiffres. Leur expérience leur permet de développer des compétences clés telles que l’écoute, la résilience, l’empathie, la résistance au stress et les capacités organisationnelles et de coordination (Nathalie Chusseau, Université de Lille). 7 travailleurs aidants sur 10 ont acquis de nouvelles compétences grâce à leur rôle, que ce soit la gestion des priorités (91%), l’organisation du temps (86%) ou l’efficacité (80%) selon le baromètre Aider et travailler d’Interfacia de 2023.

Polynov est aujourd’hui une PME beaucoup plus agile, du fait notamment de sa considération pour ses salariés. « Nous avons mis en place des chèques CESU. Ses horaires de travail sont en cohérence avec ses impératifs personnels et il bénéficie de jours de télétravail pour alléger le nombre de déplacements bureau/domicile. »

 

Pour soutenir les aidants, les entreprises peuvent aussi proposer des mesures telles que la désignation d’un référent qui centralise l’information sur les droits et les aides possibles telles que l’allocation journalière du proche aidant (AJPA), la flexibilité horaire pour concilier les contraintes professionnelles et personnelles, le congé aidant (avec l’appui de certaines mutuelles), des aides financières, des réseaux de pairs et des groupes de soutien. 

 

Suite à l’entrée en vigueur en octobre 2020 de la loi reconnaissant et soutenant les personnes proches aidantes, le Ministère de l’Economie a mis en ligne un guide pratique à disposition du proche aidant. « C’est à travers l’écoute que nous lui portons, notre observation quotidienne que nous lui montrons notre présence à ses côtés, qu’il compte pour nous en tant que membre de l’équipe mais surtout qu’en tant qu’individu, complète Amélie. Nous connaissons sa situation personnelle, mais nous ne la vivons pas tous les jours. Nous ne pouvons qu’être vigilant sur son état. » C’est pourquoi il peut être utile de sensibiliser les managers aux signaux de surcharge pour adapter l’accompagnement et anticiper la rupture.


Un impact positif sur la PME

Soutenir les salariés aidants peut avoir un impact positif sur la réputation de la PME, améliorant la fidélisation des talents et attirant de nouveaux talents. Les entreprises qui prennent soin de leurs salariés aidants sont perçues comme plus humaines et responsables. 

« Être aidant, on commence à en parler dans les médias, mais on ne peut pas s'imaginer tout ce que ça engendre derrière, tant dans la vie personnelle que professionnelle. » In fine, l’aidance revêt un enjeu majeur pour les TPE-PME pour préserver l’épuisement professionnel latent des collaborateurs aidants. En reconnaissant et en soutenant les aidants, les entreprises peuvent améliorer la qualité de vie au travail, réduire les coûts cachés et capitaliser sur les compétences précieuses de ces salariés. Parce que « la vie ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise », lever le tabou et mettre en place des dispositifs adaptés pour accompagner ces aidants, sont essentiels à la performance et à la responsabilité sociale des entreprises.

 

(*) : prénom modifié pour préserver l’intimité de la personne concernée.

 

Yann KAPPES

Chargé de mission handicap, CPME Auvergne Rhône Alpes

Action soutenue par l’AGEFIPH et le Fonds social européen

 

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Ressources :

Guide du proche aidant (Ministère de l’Economie)

Congé de proche aidant | Service-Public.fr

Aidants | Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques

L'Observatoire OCIRP Salariés aidants®-Agir au cœur de la société - Ocirp - Portail 

- Baromètre « Aider et travailler » Interfacia (2023) : Management de l’aidance et inclusion professionnelle des aidants : 2023 - Salariés aidants - Livre Blanc interactif Aider & Travailler

- Interview Nathalie Chusseau, professeure d’économie (Université de Lille) : L’aidance, enjeu majeur du monde du travail - France Travail | francetravail.org

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