Transformation des locaux de travail : attention à ne pas négliger les procédures de dialogue social

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Management SST
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24/09/2021 - Sébastien MILLET

Nombreuses sont aujourd’hui les entreprises qui s’interrogent sur leur immobilier d’entreprise, à la faveur de plusieurs phénomènes convergents :

  • La pérennisation du télétravail, qui bouleverse le rapport aux locaux de travail ;
  • Le coût des « mètres carrés », qui vient souvent grever la trésorerie et la capacité d’investissement de l’entreprise ;
  • L’enjeu de sobriété énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Nombreuses sont aujourd’hui les entreprises qui s’interrogent sur leur immobilier d’entreprise, à la faveur de plusieurs phénomènes convergents :

  • La pérennisation du télétravail, qui bouleverse le rapport aux locaux de travail ;
  • Le coût des « mètres carrés », qui vient souvent grever la trésorerie et la capacité d’investissement de l’entreprise ;
  • L’enjeu de sobriété énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ce contexte multiple questionne sur le devenir de certains locaux professionnels, notamment tertiaires : quels usages et fonctionnalités pour demain, alors que les entreprises doivent œuvrer pour améliorer la qualité de vie et des conditions de travail de leur personnel (QVCT) ?

Faut-il revoir la voilure et redimensionner les locaux ? Les réaménager ou les réaffecter avec plus d’espaces flexibles pour les activités en présentiel ? Déménager ? Regrouper des sites ? Pousser le curseur du télétravail ?

De manière collatérale, comment adapter la politique de mobilité et de déplacements ? quels outils mettre à disposition pour le management et le collaboratif ?

Autant de questions très stratégiques, qui ne se résument pas qu’à une simple équation financière ...

Derrière cela, c’est toute la question du modèle de travail qui est en jeu, avec à la clé celle de la performance économique et sociale de l’entreprise.

Sur le plan juridique, le dialogue social occupe ici une place centrale au stade de la conception du projet, car il conditionne l’acceptabilité des mesures de réorganisation et la maîtrise des risques associés. 

Au-delà de la réglementation du travail, qui impose des obligations en matière de lieux de travail pour le maître d’ouvrage (conception et aménagement) ainsi que pour l’employeur (utilisation *), la jurisprudence a encore récemment eu l’occasion de venir rappeler certains principes, qui appellent à la vigilance dans la construction du projet immobilier :

* Précisons que selon l’article R4221-1 du Code du travail, « on entend par lieux de travail les lieux destinés à recevoir des postes de travail situés ou non dans les bâtiments de l'établissement, ainsi que tout autre endroit compris dans l'aire de l'établissement auquel le travailleur a accès dans le cadre de son travail. (…) »

  1. Sur la procédure d’information et de consultation du CSE :

a) Tout d’abord, ce type de projet, qui concerne la marche générale de l'entreprise, est généralement considéré comme ayant une incidence importante du point de vue des conditions de travail, voire sur le plan de la santé et de la sécurité des travailleurs concernés.

Légalement, dans les entreprises employant 50 salariés et plus, le CSE doit alors être obligatoirement informé et consulté sur le projet (C. Trav. ,L2312-8, II, 4°).
Une exception a toutefois pu être admise lorsque le projet de décision n'a qu'un impact très résiduel, ce qui relève d'une appréciation du juge au cas par cas en cas de contentieux (p. ex. Il a été jugé à propos d'un ancien comité d'entreprise que le projet ne relève pas de la consultation obligatoire lorsque « (…) l'installation d'une partie des salariés sur un demi-étage supplémentaire n'entraînait aucune modification, ni de l'organisation du travail, ni des conditions d'emploi, ni de la durée du travail ou de volume et de structure des effectifs et qu'il n'était pas démontré que la location de ces bureaux était de nature à obérer la situation économique et financière de la société (…) » - Cass. Soc. 1er février 2017, n° 15-22362, décision transposable dans le cadre du CSE).

A noter que lorsque le CSE et doté d'une CSSCT, celle-ci pourra utilement être associée aux travaux préparatoires, mais l'avis devra être formellement rendu par le CSE réuni en instance plénière.

Dans ce cadre, il faut désormais intégrer, à compter du 25 août 2021, l'obligation  d'informer et de consulter le CSE sur les conséquences environnementales des mesures envisagées (cf. loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 - https://www.preventica.com/actu-chronique-transition-ecologique-dialogue-social-entreprises-revolution-bonne-conscience.php).

Typiquement, cette nouvelle obligation prend tout son sens concernant un projet impactant l'immobilier d'entreprise (cf. smart buildings, etc.). Or, pour rendre un avis éclairé, le CSE devra pouvoir disposer d'informations précises et écrites, ainsi que d’une réponse motivée à ses questions. Cela peut conduire à différer la présentation d'un projet le temps de pouvoir intégrer correctement les données nécessaires et une analyse de leur impact.

Si la mesure est vertueuse, l'expérience amène aussi à craindre que cette nouvelle obligation puisse servir de prétexte pour retarder ou refuser de restituer un avis formel, ce qui débouche fréquemment sur du contentieux, notamment sur le point de savoir si le délai d'avis implicite a réellement commencé à courir ...  

Il est donc essentiel de bien sécuriser les procédures en veillant à inscrire à l'ordre du jour de la consultation un point sur les conséquences environnementales du projet.

b) Sur le moment de la consultation, la jurisprudence considère de manière traditionnelle que pour avoir un effet utile, l'avis de l'instance doit être rendu à un stade ou le projet est suffisamment avancé sans être toutefois définitivement arrêté dans son principe.

Ainsi a-t-il été jugé récemment concernant Au sujet d'un projet important de construction d'un nouveau site regroupant 5 autres sites, alors que « la réorganisation proposée n'était plus au stade d'une étude préliminaire mais d'un projet avancé, que la réorganisation sur un nouvel emplacement géographique allait avoir des répercussions sur les conditions de travail des salariés et qu'attendre plus avant dans l'évolution du projet priverait l'instance (…) d'une grande partie de ses prérogatives car les choix faits en l'état d'avancement du projet allaient avoir des conséquences pour chaque salarié » (Cass. Soc. 9 juin 2021, n° 19-22833).

Le même jour, L'obligation de consultation était confirmé concernant un projet important dans lequel « (…) le projet architectural, la définition des espaces, leur destination, leurs fonctionnalités et leur agencement général étaient susceptibles de déterminer la configuration finale et la distribution des postes de travail, et donc susceptible de modifier les conditions de santé, de sécurité et de réalisation du travail, que l'effet utile de la consultation imposait qu'elle soit faite en amont, dès le macrozoning, faisant ainsi ressortir que le processus décisionnel relatif au projet immobilier était acquis (…) » (Cass. Soc. 9 juin 2021, n° 19-21724).

Hasard du calendrier, ces décisions ont été rendues dans un contexte de mise à jour du protocole sanitaire recommandant (à l’époque) aux employeurs de fixer, dans le cadre du dialogue social de proximité, un nombre minimal de jours de télétravail par semaine, pour les activités qui le permettent (doctrine aujourd'hui supprimée dans le cadre de la dernière mise à jour en vigueur à date au 10 septembre 2021).

c) A noter que la conduite des procédures de consultation peut être rendue complexe lorsque sont en présence un CSE central et des CSE d'établissement. Depuis les ordonnances Macron, le Code du travail prévoit toutefois à titre de simplification la clé de répartition suivante :

    • Le CSE central est seul consulté (cf. C. trav., L2316-1) sur :

      1. Les projets décidés au niveau de l'entreprise qui ne comportent pas de mesures d'adaptation spécifiques à un ou plusieurs établissements ;
      2. Les mesures d'adaptation communes à plusieurs établissements des projets d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;
      3. Concernant les projets et consultations récurrentes décidés au niveau de l'entreprise, lorsque leurs éventuelles mesures de mise en œuvre, qui feront ultérieurement l'objet d'une consultation spécifique au niveau approprié, ne sont pas encore définies.
    • Sous cette réserve, les CSE d'établissements sont concurremment consultés sur les mesures d'adaptation des décisions arrêtées au niveau de l'entreprise spécifiques à l'établissement et qui relèvent de la compétence du chef d’établissement (C. trav., L2316-20). En cas de procédure menée à un double niveau, l’ordre et les délais de restitution d’avis peuvent être éventuellement aménagés par accord collectif (C. Trav., L2316-22).

 

  1. Sur la possibilité de recours à une expertise :

Qui dit projet consultation obligatoire en matière de projet d'aménagement important, dit possibilité -mais non obligation systématique- pour le CSE de recourir à un expert habilité.

Dans les affaires précitées, le recours à expertise a été validé, l’objectif de l’expertise étant, vu les incidences des projets, de permettre aux instances de rendre un avis éclairé.

Toutefois, il est fait droit à l'argument de l'employeur selon lequel la mission d'expertise ne peut être permanente pendant toute la durée de mise en oeuvre du projet (cf. Cass. Soc. 9 juin 2021, n° 19-21724, précité, rendu concernant l'ancienne instance de coordination ITC-CHSCT qui n’a eu qu'une existence très brève dans le code du travail. Cette nuance est toutefois importante, dans la mesure où elle est transposable au CSE central, qui dispose du pouvoir d’expertise en cas de projet important concernant l’entreprise en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail – C. Trav., L2316-3).

  1. Sur l’exigence de mise à jour de l’évaluation des risques professionnels et facteurs de risques

a) Dans ce cadre, si la qualité de vie et des conditions de travail sera au centre des débats, il ne faut pas négliger l’analyse des risques professionnels induits par le projet, qu’ils soient immédiats ou différés.
Ces risques (RPS notamment) ne doivent pas être sous-estimés, même si l’objectif annoncé est celui de l’amélioration des conditions de travail.
Il existe souvent des angles morts, qui nécessitent des mesures de prévention adaptées sur le plan organisationnel, humain et/ou technique.
Au terme de ce travail de réévaluation en profondeur (y compris dans sa dimension facteurs de risques liés à l’environnement ou aux mesures visant à réduire les impacts du projet), la mise à jour du document unique constitue une étape essentielle et incontournable.

b) Cela, d’autant que la loi santé du 2 août 2021 vient renforcer le formalisme et le contenu d’élaboration du document unique et de ses mises à jour, avec une exigence de dialogue social renforcé, notamment avec le CSE, et de programmation et traçabilité des mesures de prévention découlant de l’évaluation des risques (cf. C. Trav., L4121-3 modifié et L4121-3-1 nouveau, d’application différée au 31 mars 2022).

Concrètement, dans les entreprises de 50 salariés et plus :

  • Le CSE devra être formellement consulté sur le document unique d'évaluation des risques professionnels et sur ses mises à jour, et y apportera sa contribution dans le cadre de ses attributions générales en matière d'analyse des risques professionnels ;
  • Les résultats issus de la démarche d’évaluation devront déboucher sur un programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail structuré, lequel devra :
    • Fixer la liste détaillée des mesures envisagées sur N+1 en matière de prévention des effets d'exposition aux facteurs de pénibilité et de risques professionnels, avec pour chaque mesure, le détail de ses conditions d'exécution, des indicateurs de résultat et de son coût estimatif ;
    • Identifier les ressources de l'entreprise pouvant être mobilisées ;
    • Prévoir un calendrier de mise en œuvre.

 

Plus généralement, bien qu’il s’agisse déjà d’une réalité en marche courante dans de nombreuses entreprises dotées d’une politique HSE, il s’agit d’obligations inscrites « en dur » dans la loi.

En termes de responsabilité, notamment pénale, la démarche sera ainsi plus engageante.

Observons que le fait de renforcer le caractère paritaire et participatif de l’évaluation des risques a du sens car tout ne peut reposer exclusivement sur l’employeur et il est indispensable que l’ensemble des acteurs de l’entreprise soient responsabilisés et proactifs, notamment les partenaires sociaux. Cela permet d’ailleurs d’entrevoir certaines perspectives intéressantes en termes de moyen de défense, dans l’hypothèse -fréquente- d’un défaut d’identification collective de certains risques, où l’enjeu est toujours de déterminer si raisonnablement, l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience d’un danger (cf. faute inexcusable).

Pour autant, l’impulsion de la démarche, la programmation (actions concrètes vs/ moyens alloués) et la mise en œuvre effective du plan d’actions continuera de relever du pouvoir de direction. De ce point de vue, il ne faut pas s’attendre à une atténuation de la sévérité judiciaire traditionnelle en cas de manquement. Typiquement, il ne suffira pas d’avoir élaboré sur le papier un plan d’actions pour être exonéré de responsabilité (cf. différence entre le prescrit documentaire et le réel). Dans le même temps, il ne pourra être fait l’impasse sur l’analyse du plan d’action en termes de consistance (quantitatif) et d’adéquation (qualitatif) des mesures prises dans leur ensemble, ce qui aura le mérite de permettre de porter un regard plus objectif mais aussi plus juste sur les efforts accomplis par l’entreprise dans sa démarche globale de prévention.