La prévoyance complémentaire, levier d’amélioration des conditions de travail et de prévention des risques

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16/07/2014 - Sébastien MILLET
Les garanties collectives en matière de protection sociale complémentaire font partie des instruments à disposition des employeurs pour structurer leur politique sociale et couvrir leur personnel contre certains risques

Il s'agit :

  • De prévoyance (il s’agit d’assurer des revenus de remplacement contre les risques d’incapacité de travail, d’invalidité de décès, voire de dépendance ; on parle alors de risques « lourds ») ;
  • De frais médicaux (ou « mutuelle » dans le langage courant, ce qui couvre les remboursements de consommation médicale courante, souvent qualifié de risques « courts »).

1. Une « niche » sociale et fiscale vient ici favoriser les démarches volontaristes, permettant aux entreprises (et à leurs salariés) de bénéficier d’une optimisation financière. En particulier, le budget consacré par l’entreprise au financement de ces couvertures est exonéré de cotisations de sécurité sociale dans certaines limites, sous réserve toutefois de respecter un cahier des charges juridique très strict et en permanente évolution (les entreprises disposaient d’ailleurs d’un délai jusqu’au 30 juin 2014 pour se mettre en conformité avec les nouvelles exigences en matière de caractère collectif et obligatoire des couvertures - cf. CSS, R.242-1-1 à 6 ; ces règles viennent à nouveau d’être modifiées par un décret n° 2014-786 du 8 juillet 2014).

De volontaire, l’approche tend toutefois à devenir obligatoire. De fait, les employeurs sont incités à reprendre la main et à définir la stratégie sociale la plus adaptée, en réinvestissant un champ de prérogatives très souvent laissé au monde de l’assurance collective de personnes.

D’importants bouleversements structurels sont en effet à l’œuvre actuellement dans ce domaine. Sans rentrer dans les détails de ces nombreuses évolutions, citons à titre principal :

  • L’ANI du 11 janvier 2013, transposé par la loi de sécurisation de l’emploi n° 2013-504 du 14 juin 2013, qui programme la généralisation des complémentaires santé dans toutes les entreprises à horizon du 1er janvier 2016 (cf. CSS, L911-7) ;
  • L’obligation pour les branches d’engager d’ici cette date une négociation en vue de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de prévoyance au niveau de leur branche ou de leur entreprise d’accéder à une telle couverture (cf. art. 1 V de la loi).

Vu des entreprises, il s’agit là incontestablement d’une source de contraintes, eu égard à la complexité des questions, aggravée par une forte insécurité juridique.

2. Toutefois, il n’est pas interdit d’envisager là certaines opportunités. Cette conjoncture est sans doute l’occasion de repenser l’approche classique de cette matière, en considérant que ces régimes complémentaires peuvent aussi constituer un vecteur d’amélioration des conditions de travail et de prévention des risques (notamment professionnels).

Revenons aux fondamentaux : avant d’être un produit d’assurance, les régimes complémentaires sont le fruit du dialogue social dans l’entreprise (l’acte créateur des garanties collectives repose obligatoirement sur un accord collectif de travail, un accord référendaire ou une décision unilatérale de l’employeur, qui sont des instruments juridiques de droit du travail – cf. CSS, L911-1).

Les branches professionnelles comme les entreprises ont la possibilité, tout particulièrement dans le cadre du recours à la négociation collective, d’intégrer leurs dispositifs dans une politique plus générale de prévention, et de les adapter en tenant compte de cette dimension. La corrélation avec la démarche « qualité de vie au travail » est évidente, et la loi en fait d’ailleurs un thème relevant du champ de la négociation unique sur la QVT (cf. article 33 de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014).

A l’ère de la flexisécurité, l’amélioration des conditions de travail et la couverture des risques constituent des contreparties appréciables, pour les salariés mais également les employeurs.

3. Il est bien évident que l’entreprise ne peut que tirer des bénéfices à intégrer la question des couvertures complémentaires dans sa politique générale de prévention.

Ainsi, les complémentaires santé collectives, qui permettent un meilleur accès aux soins pour les salariés, contribuent directement à l’amélioration de l’état de santé global du personnel de l’entreprise, ce qui tend à limiter l’absentéisme maladie et à améliorer de manière globale et durable sa performance.

Egalement, le fait de prévoir des actions de prévention et de sensibilisation contribue à agir sur le comportement des salariés et donc à limiter le risque d’engagement de la responsabilité de l’employeur (notamment sur le terrain pénal ou de la faute inexcusable), quand on sait que le facteur humain et les conduites à risques sont bien souvent à l’origine des accidents du travail ou de la survenance de pathologies.

Cela est en outre de nature à créer un cercle vertueux : réduire la sinistralité de l’entreprise contribue à lui permettre de s’assurer collectivement à moindre coût et de maintenir un équilibre tarifaire sur le moyen et long terme.
Cette dynamique sociale peut donc être source d’optimisation économique au service de l’entreprise (l’employeur ne peut toutefois pas prétendre reporter sur le régime complémentaire, co-financé par les salariés, tout ou partie des diligences mises à sa charge au titre de son obligation de sécurité de résultat).

4.Bien conscient de ce nouvel enjeu, le législateur fait d’ailleurs entrer la dimension préventive dans le champ des régimes complémentaires. Ainsi, dans le cadre des  régimes conventionnels de branche, les partenaires sociaux pourront dorénavant mettre en place des accords professionnels ou interprofessionnels prévoyant l’institution de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité et comprenant à ce titre des prestations à caractère non directement contributif, qui pourront notamment prendre la forme d’une politique de prévention (cf. CSS, L912-1 I).

Selon un projet de décret (à paraître), il pourrait s’agir là de financer des actions de prévention de santé publique ou des risques professionnels, pouvant revêtir la forme de relais de la politique de santé publique (campagnes nationales d’information ; programmes de formation ; programmes visant à réduire les risques de santé futurs et à améliorer la qualité de vie des salariés, etc.). Les actions de prévention pourraient prendre la forme de formations, de réunions d’information, de guides pratiques, d’affichages, d’outils pédagogiques intégrant des thématiques de sécurité et comportements en ternes de consommation médicale.

Un « pont » sera ainsi clairement dressé entre la protection sociale complémentaire et la thématique des risques professionnels, qui ont traditionnellement été traités de manière cloisonnée. Ces actions de prévention viendront enrichir les droits des salariés, à côté des garanties d’assurance plus traditionnelles.

Dans ce prolongement, en marge des dispositifs généraux qui seront applicables à l’ensemble des salariés, la nécessité de répondre également à des problématiques plus spécifiques en termes de risques pourrait émerger. Dans quelle mesure des garanties ou des actions ciblées pourront-elles être instituées ? Précisons ici que pour la définition des garanties de prévoyance, il est admis à titre dérogatoire que le fait de prévoir au bénéfice de certains salariés des garanties plus favorables en fonction des conditions d’exercice de leur activité ne remet pas en cause le caractère collectif de ces garanties, ni les exonérations sociales qui s’y attachent (CSS, R242-1-3 al. 2). Les situations de pénibilité professionnelles paraissent notamment pouvoir relever de cette hypothèse. S’il ne serait pas possible par exemple d’intituler une catégorie professionnelle en référence au critère d’exposition à la pénibilité, il semblerait en revanche raisonnable de considérer, tant au regard du caractère collectif (droit de la Sécurité sociale) que de l’égalité de traitement (droit du travail), que l’exposition aux facteurs de risques définis au plan réglementaire (cf. C. Trav., D4121-5 et s.) et la tenue du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) constituent des critères objectifs car institutionnels et matériellement vérifiables, directement liés à l’activité professionnelle. A condition que cela soit effectivement pertinent au regard de l’objet des garanties proposées, sans doute cela pourrait-il justifier l’existence de garanties de prévoyance adaptées de manière spécifique pour les travailleurs concernés (il est déjà admis en ce sens qu’un degré d’exposition plus important au regard de la nature du métier exercé puisse constituer, pour le choix de certains critères catégoriels, un élément de justification au fait de prévoir des différences de traitement s’agissant de la nature ou du niveau des garanties de prévoyance, sans remise en cause du caractère collectif - cf. lettre-circulaire ACOSS n° 2014-02 du 4 février 2014, QR n°8). Pour l’heure, tout cela relève du domaine de la prospective faute de recul ; dans la mesure où l’uniformité de couverture reste l’exigence de principe et où la conformité du régime relève d’une appréciation au cas par cas, la prudence reste à ce stade de rigueur.

5.En définitive, de nouvelles perspectives s’ouvrent et devraient permettre certaines expérimentations sociales pour les branches ou entreprises désireuses de renforcer leur politique.

On peut même imaginer la mise en place d’indicateurs internes permettant de suivre les effets directs et diffus des garanties de prévoyance complémentaires sur le plan de l’amélioration des conditions de travail et de la prévention des risques professionnels.

Bien entendu, dans la mesure où l’employeur a l’obligation d’externaliser la couverture des risques et ne peut être son propre assureur en la matière (cf. loi Evin n° 89-1009 du 31 décembre 1989), encore faut-il trouver un opérateur d’assurance parmi les différentes familles existantes (compagnies d’assurance, institutions de prévoyance, organismes mutualistes) susceptible de proposer des produits adaptés et pertinents.

Sur ce marché, les organismes assureurs qui se montreront dynamiques et innovants sur le terrain de la prévention se démarqueront certainement à l’avenir.

Cela d’autant que face au renchérissement inexorable des couvertures de base et complémentaires (santé notamment), nombreux sont aujourd’hui les observateurs qui considèrent nécessaire de dépasser l’approche « curative », et de développer au contraire une approche préventive permettant de réduire à la source les risques ainsi que le coût pour la collectivité (à l’instar d’autres domaines où l’enjeu est de parvenir à consommer mieux pour consommer moins).