Cela est particulièrement symptomatique concernant le protocole sanitaire national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise, mis en place dans le cadre du 2e confinement et plusieurs fois amendé les 29 octobre, 13 novembre 2020, et de nouveau le 6 janvier 2021, afin d’adapter les exigences au contexte sanitaire.
Force est de constater que la doctrine administrative entretient l’ambiguïté, en énonçant des règles de manière prescriptive, mais dépourvues de base légale ou réglementaire directe.
De nombreuses exigences ont pu faire polémique, compte tenu des difficultés de mise en œuvre concrète pour s’y conformer (p. ex. sur la question du port du masque obligatoire, des jauges ou encore de la généralisation du télétravail).
Il fallait donc s’attendre à ce que la légalité du protocole soit contestée, d’autant qu’il a donné lieu dans le cadre du 2e confinement à une instruction DGT du 3 novembre 2020 à destination des services d’inspection du travail et s’est traduit par une campagne de contrôles auprès des entreprises, notamment pour vérifier le déploiement du télétravail.
Dans ce contexte, le juge administratif a pu exercer son rôle de vigie.
Il faut ici rappeler que la jurisprudence administrative permet
de contester la légalité d’un document établi par
l’administration qui, sans présenter le caractère de décision ou
d’acte réglementaire, contiendrait des « lignes directrices »
illégales .
Dans une récente décision, le Conseil d’État vient ici confirmer
sa position sur le fait que le protocole national exprime des
règles à valeur de « recommandations » (CE référé, 17
décembre 2020, n° 446797).
Cette position s’inscrit dans le prolongement d’une précédente décision pour laquelle il avait été saisi par le même syndicat patronal requérant en vue de faire ordonner la suspension du protocole sanitaire dans sa version du 17 septembre 2020 (CE référé 19 octobre 2020, n° 444809 - cf. notre commentaire).
Dans le cadre de cette seconde procédure, le syndicat demandait de nouveau la suspension du protocole national dans sa version du 13 novembre, ainsi que de l’instruction DGT du 3 novembre 2020 aux motifs :
- De l’urgence, compte tenu du caractère impératif et général des mesures ;
- De l’existence d’un doute sérieux quant à sa légalité, au motif notamment d’une méconnaissance des dispositions du Code du travail en matière de télétravail et d’une atteinte excessive aux libertés individuelles des salariés et employeurs ainsi qu’à la liberté d’entreprendre. Était notamment mis en avant le fait que le protocole impose un mode contraignant d'exercice de l'activité de nature à bouleverser son bon déroulement, ainsi que les risques pour la santé mentale des travailleurs induits par le télétravail à 100 %.
Le Conseil d’État rejette de nouveau ces arguments, estimant que
ces dispositions ne sont pas de nature à créer un doute sérieux
quant à la légalité du protocole.
La décision vient rappeler que celui-ci a valeur de recommandations au regard des obligations légales de l’employeur :
« (…) 7. Le protocole dont la suspension est demandée
constitue un ensemble de recommandations pour la
déclinaison matérielle de l'obligation de sécurité de l'employeur
dans le cadre de l'épidémie de covid-19 en
rappelant les obligations qui existent en vertu
du code du travail. Si certains termes du protocole sont formulés
en termes impératifs, en particulier en ce qu'il est indiqué que
" Dans les circonstances exceptionnelles actuelles, liées à la
menace de l'épidémie, le télétravail doit être la règle pour
l'ensemble des salariés qui le permettent. Dans ce cadre, le
temps de travail effectué en télétravail est porté à 100 % pour
les salariés qui peuvent effectuer l'ensemble de leurs tâches à
distance ", le protocole a pour seul objet d'accompagner
les employeurs dans leurs obligations d'assurer la sécurité et la
santé de leurs salariés au vue des connaissances
scientifiques sur les modes de transmission du
SARS-CoV-2 et n'a pas vocation à se substituer à
l'employeur dans l'évaluation des risques et la mise en place des
mesures de prévention adéquate dans l'entreprise. La
fiche Questions-réponses sur le télétravail, publiée sur le site
internet du ministère du travail et actualisée au 17 novembre
2020, rappelle ainsi que le protocole formalise, en
matière de santé et sécurité au travail, les recommandations du
Haut conseil de la santé publique pour se protéger du
risque de contamination au covid-19, qu'il appartient à
l'employeur de mettre en oeuvre les principes généraux de
prévention énoncés à l'article L. 4121-2 du code du travail,
qu'il lui incombe dans ce cadre d'évaluer les risques et de
mettre en oeuvre des actions et moyens de prévention adaptés, que
la mise en place du télétravail pour les activités qui le
permettent participe des mesures pouvant être prises par
l'employeur dans ce cadre, et que l'employeur,
qui reste tenu à une obligation de sécurité à l'égard du
salarié placé en télétravail, doit être attentif au risque de
situations de souffrance pouvant en résulter pour les salariés
isolés et leur permettre le cas échéant de venir travailler sur
leur lieu de travail. (…) »
Concernant l’instruction DGT du 3 novembre 2020 à destination des
services d’inspection, la décision ajoute que « (…) de la même
façon, l'instruction (…) rappelle la nécessité pour l'employeur
d'évaluer les risques et de mettre en oeuvre des moyens de
prévention adaptés, en vertu des articles L. 4121-1 et
suivants du code du travail. C'est sur ce seul fondement légal
que peuvent être prononcées les mises en demeure
adressées par le directeur régional des entreprises, de la
concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ».
Au regard de cette confirmation de jurisprudence, les choses sont
tout à fait claires puisque l’administration ne peut pas prendre
de mesures coercitives, de type mise en demeure ou à plus forte
raison procès-verbal d’infraction, sur le seul fondement de
l’inobservation du protocole.
Seul compte ici la référence à des textes de nature légale ou
réglementaire.
En pratique, même si le cahier des charges est rigoureux et
complexe, le protocole a l’avantage de fournir aux entreprises
une grille de lecture opérationnelle basée sur l’état des
connaissances scientifiques.
A date, les entreprises se sont appropriées ces exigences.
Ce guide d’organisation étant général, il autorise une marge d’adaptation par l’employeur, au regard de son analyse des risques au cas par cas. Il est donc bien rappelé ici le caractère tout à fait déterminant de la mise à jour de l’évaluation des risques professionnels.
L’employeur qui dispose du pouvoir de direction et de commandement dans l’entreprise, reste « maître de la situation » et il lui appartient de déterminer et mettre en œuvre, sous sa propre responsabilité, les mesures de prévention les mieux adaptés en vue d’assurer une protection effective de la santé et de la sécurité des travailleurs qu’il emploie.
En cas de contrôle ou de contentieux, il lui appartiendra
toutefois d’établir la pertinence et l’adéquation des mesures
prises.
À cet égard, l’observation stricte des dispositions du protocole
sanitaire permettra toujours de sécuriser la démarche et de
bénéficier d’une forme de « présomption de conformité », même
s’il faut toujours rappeler ici que la conformité ne préjuge pas
de la sécurité réelle.
Plus l’entreprise prendra le parti de s’écarter de ce référentiel, plus elle s’expose logiquement à devoir se justifier et être en mesure de prouver, au regard de l’évaluation des risques et des principes généraux de prévention, la nécessité, la pertinence, la cohérence et l’adéquation des mesures d’adaptation qu’elle a mises en œuvre.
Bien qu’il s’agisse sur le papier de simples « recommandations » qui ne lient pas les juges, elles font autorité et il faut s’attendre tout de même à ce qu’elles exercent en cas de contentieux futur une influence du point de vue de l’appréciation d’éventuelles négligences ...
Comme son nom l’indique, une recommandation n’est pas totalement indicative, puisqu’elle invite à suivre une certaine ligne de conduite et de prudence.
La portée de cette jurisprudence doit donc être nuancée, car en arrière-plan, c’est bien d’obligation de sécurité qu’il est question, et on sait bien que dans ce domaine la jurisprudence se montre très sévère.
Sur la question du télétravail (cf. précédent article), les nouvelles
dispositions du protocole mis à jour le 6 janvier 2021, qui sont
légèrement assouplies, doivent être comprises à la lumière de ces
principes : « (…) Le télétravail est un mode d’organisation
de l’entreprise qui participe activement à la démarche de
prévention du risque d’infection au SARS-CoV-2 et permet de
limiter les interactions sociales aux abords des lieux de travail
et sur les trajets domicile travail. L’accord national
interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 pour une mise en
œuvre réussie du télétravail constitue un cadre de référence
utile pour sa mise en œuvre. Dans les circonstances
exceptionnelles actuelles, liées à la menace de l’épidémie, il
doit être la règle pour l’ensemble des activités qui le
permettent. Dans ce cadre, le temps de travail effectué en
télétravail est porté à 100% pour les salariés qui peuvent
effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance. Dans les autres
cas, l'organisation du travail doit permettre de réduire les
déplacements domicile-travail et d’aménager le temps de présence
en entreprise pour l'exécution des tâches qui ne peuvent être
réalisées en télétravail, et pour réduire les interactions
sociales. Les employeurs fixent les règles applicables dans le
cadre du dialogue social de proximité, en veillant au maintien
des liens au sein du collectif de travail et à la prévention des
risques liés à l’isolement des salariés en télétravail. Pour les
salariés en télétravail à 100 %, un retour en présentiel est
possible un jour par semaine au maximum lorsqu’ils en expriment
le besoin, avec l’accord de leur employeur. Cet aménagement prend
en compte les spécificités liées aux organisations de travail,
notamment pour le travail en équipe et s’attache à limiter au
maximum les interactions sociales sur le lieu de travail.
(…) »