Quelques textes épars réglementent la question concernant certains travaux à risques (cf. p. ex. travaux en milieu hyperbare - C. trav., R4461-40 et 65 ; conduite d’appareils de levage sans visibilité complète pour le conducteur – C. Trav., R4323-41).
Les outils de communication présentent par ailleurs un caractère aujourd’hui incontournable du point de vue de la qualité du travail et des conditions de travail, notamment avec la généralisation du télétravail (dont la définition légale de l’article L1222-9 du Code du travail vise « toute forme d’organisation du travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur et qui est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication »).
Force est de constater que les transformations et réorganisations dans les entreprises s’accompagnent souvent d’une évolution des équipements et outils de communication, ce qui nécessite de s’interroger en amont au stade du projet, sur l’impact prévisible au regard des conditions de travail, de santé et de sécurité au travail.
Une décision récente vient illustrer cette problématique, faisant ressortir qu’un projet n’est pas toujours aussi neutre qu’il n’y paraît au premier abord ...
Dans cette affaire, le CHSCT avait déclenché une expertise dans le cadre d’un projet de la direction d’équiper l’ensemble du personnel de talkies-walkies pour fluidifier les communications internes.
Selon les élus, un tel projet collectif s’apparentait en fait à un aménagement important modifiant les conditions de travail, de santé et de sécurité pour le personnel, ce qui lui ouvrait droit à la procédure d’expertise prévue par le Code du travail (dispositions aujourd’hui recodifiées aux articles L2312-8, 4° et L2315-94, 2° du Code du travail applicables aux CSE, avec une nuance importante puisque ce type d’expertise est désormais cofinancé en principe à hauteur de 80 % employeur/ 20 % budget de fonctionnement du CSE).
Contestant cette décision, l’employeur obtient finalement l’annulation judiciaire de cette expertise, décision confirmée en cassation (Cass. Soc. 10 février 2021, n° 19-21094).
Cet arrêt, qui est parfaitement transposable dans le cadre des expertises du CSE, apporte un éclairage intéressant sur l’analyse des juges et l’appréciation du projet important modifiant les conditions de travail (ce qui vaut aussi bien pour l’obligation de mettre en œuvre une procédure d’information consultation du CSE que du point de vue de la possibilité pour l’instance de missionner un expert habilité – cf. précédente chronique).
Habituellement, la jurisprudence se montre assez favorable aux représentants du personnel dans leur décision d’engager une procédure d’expertise. À titre d’exemple, un courant jurisprudentiel tend à reconnaître le caractère « important » de projets d’introduction de nouvelles technologies dans l’entreprise (cf. p. ex. nouveau logiciel de gestion administrative
- Cass. Soc. 11 décembre 2019, n° 17-31756 ; nouveau logiciel de gestion du temps de travail
- Cass. Soc. 25 mai 2018, n° 16-26856 ; nouveau dispositif de géolocalisation - Cass. Soc. 25 janvier 2016, n° 14-17227).
Toutefois, il ne s’agit pas d’un principe général, et d’autres
décisions ont pu au contraire qualifier le projet de mineur, dès
lors que l’employeur peut notamment établir qu’il contribue à une
amélioration des conditions de travail pour les personnels
concernés (cf. p. ex. Cass. Soc. 12 avril 2018,
16-27866, relatif à la mise en place d’une assistance ayant
recours à l’intelligence artificielle).
Conformément à cette approche au cas par cas, dans la présente affaire, la grille de lecture retenue par les juges est la suivante :
« (…) Ayant relevé, d'abord, que les nouveaux moyens de
communication projetés de mise en oeuvre ne concernaient que des
appareils de type talkie-walkie, que les salariés de l'entreprise
pouvaient être dans la nécessité de communiquer fonctionnellement
entre eux à tout moment, pour toutes sortes de motifs et depuis
divers sites plus ou moins éloignés quant à la bonne exécution de
leurs tâches et missions respectives de travail et de manière
inhérente à l'exécution même de l'ensemble de leurs objectifs de
travail et que l'utilisation de ces nouveaux moyens individuels
de communication constituait une indéniable amélioration par
rapport aux pratiques antérieures de communications de vive voix
ou de communication généralisée de messages par l'intermédiaire
du réseau des haut-parleurs répartis sur l'ensemble des sites de
travail de l'entreprise, ensuite que le CHSCT ne précisait pas en
quoi l'introduction de ce nouvel outil de communication aurait
des incidences sur les amplitudes d'ouverture du magasin, sur les
volumes individuels des horaires de travail et sur la nature même
des tâches à accomplir et qu'il ne procédait que par voie
d'affirmations générales lorsqu'il affirmait que cette
amélioration des canaux et modes de communications existants au
sein de cette entreprise imposerait davantage d'échanges entre
les salariés, modifierait les cadences de travail, intensifierait
les sollicitations dans le but d'augmenter la productivité,
permettrait une géolocalisation permanente des salariés à
l'instar de celle existant déjà à propos des véhicules,
permettrait en conséquence un contrôle permanent de l'activité
des salariés ou aurait des conséquences sur la teneur même ou les
modalités d'exécution des instructions de l'employeur en vue de
conseiller la clientèle ou d'encaisser les achats de celle-ci
suivant les différents postes de travail, le président du
tribunal a légalement justifié sa décision. (…) »
La décision relève du bon sens dès lors que l’analyse bénéfice
risque est clairement ressortir une logique d’amélioration, ce
qui s’inscrit dans le respect de l’obligation générale de
sécurité, selon laquelle : « L'employeur prend les mesures
nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé
physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent (…)
la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir
compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration
des situations existantes » (C. Trav., L4121-1).
Concernant l’appréciation des incidences sur le plan de la santé et de la sécurité proprement dites, la mise à jour de l’analyse des risques contribuera toujours à étayer concrètement et documenter cette logique d’amélioration (à noter d’ailleurs que dans le cadre de la proposition de loi pour renforcer la prévention santé au travail, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 17 février 2021, il est notamment envisagé de préciser à l’article L4121-3 du Code du travail, au-delà des dispositions de l’ANI du 9 décembre 2020, que « (…) Le service de prévention et de santé au travail apporte son aide à l’évaluation des risques professionnels, particulièrement lors de l’élaboration d’un projet de restructuration. (…) Le comité social et économique est consulté sur le document unique d’évaluation des risques professionnels et sur ses mises à jour. (…) »).
Il n’en reste pas moins que côté entreprise, la vigilance est toujours de mise concernant ce type de projet, car s’il est a priori raisonnable de que le simple fait de mettre à disposition des appareils type talkies-walkies n’est pas de nature à modifier en profondeur ou de manière substantielle les conditions de travail du personnel, les élus y voyaient pour leur part un instrument de contrôle permanent de l’activité des salariés.
La preuve du fait qu’une telle finalité intrusive serait poursuivie -une simple allégation étant par nature insuffisante ici- serait susceptible de faire « pencher la balance » en faveur de l’expertise, en tant que facteur d’impact potentiel sur les conditions de travail.
Rappelons en tout état de cause que dans ce domaine, même s’il ne
s’agit pas d’un projet « important », le CSE doit être informé et
consulté pour avis concernant les projets ponctuels relatifs à
l’introduction de nouvelles technologies (qui laisse toujours
place au débat sur ce qu’il faut entendre par « technologie »)
mais également, sur la mise en place ou la modification des
traitements automatisés de gestion du personnel (cf. RGPD), ainsi
que sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de
l'activité des salariés préalablement à toute décision de mise en
œuvre dans l'entreprise (cf. C. Trav., L2312-37 et 38).