Infractions environnementales - la répression pénale s’adapte aux nouveaux enjeux avec la Convention judiciaire d’intérêt public : quelles conséquences pour les exploitants ?

SECURITE DES LIEUX DE TRAVAIL || Gestion de crise - risques majeurs - PCA
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10/07/2020 - Sébastien MILLET

La prise de conscience sur les enjeux de protection de l’environnement est de plus en plus forte. Un mouvement de fond s’est amorcé et les études montrent qu’il s’agit d’un sujet majeur de préoccupation en France. La logique de citoyenneté commencerait-elle reprendre ses droits sur l’instinct de consommation ?


Typiquement, tout le monde est prêt à accepter des risques pour des raisons économiques, mais personne n’est prêt à accepter les dommages qui sont susceptibles d’en découler, notamment lorsqu’ils se traduisent par des atteintes à l’environnement et à la santé publique.

L’accident industriel survenu à Rouen le 26 septembre 2019 sur les sites industriels des sociétés Lubrizol et Normandie Logistique illustre assez bien cette situation.

En définitive, tous les acteurs se voient demander des comptes a posteriori, qu’il s’agisse aussi bien des exploitants que des services de l’Etat, dont la gestion de crise a donné lieu à un rapport sévère de la commission d’enquête sénatoriale (juin 2020). L’insuffisance de culture du risque industriel y est pointée du doigt notamment. 

1) Un contexte favorable à une réglementation plus sévère en matière de sécurité des installations

Sans rentrer dans le détail, il ressort de cet épisode des recommandations qui devraient se traduire prochainement par l’adoption de textes réglementaires (en cours de consultation publique) visant les établissements à hauts risques classés SEVESO, aux fins de renforcer les obligations des exploitants et de leurs sous-traitants en matière de sécurité et de maîtrise des risques. 

Au titre des enseignements, le renforcement de la surveillance, le suivi et le contrôle administratif des sites est également à l’ordre du jour (étant toutefois précisé que la proposition d’instituer une autorité administrative indépendante spécialement chargée de cette mission, à l’instar de l’ASN s’agissant des activités nucléaires, semble écartée).

Ajoutons à ce contexte que de son côté, la Convention citoyenne pour le climat a émis 150 propositions pour renforcer la protection de l’environnement dans le droit français (et notamment la Constitution), touchant notamment le droit pénal. Elle suggère notamment de créer un nouveau crime d’écocide (précédemment rejeté par le Parlement), ou encore un délit d’imprudence en cas de dommage écologique grave participant au « dépassement des limites planétaires ».

Face à cette nouvelle donne, les entreprises vont devoir s’adapter en conséquence, avec des opportunités dans le cadre de la transition écologique, mais également des contraintes.

Face à une réglementation déjà extrêmement technique et mouvante, qui dit plus d’exigences de conformité et de contrôle, dit nécessairement plus de risque de manquements et de poursuites pénales pour l’exploitant en cas d’infractions, avec ou sans accident.

2) Un contexte favorable à une nouvelle réponse pénale : de la répression à la justice négociée pour assurer l’effectivité de la réglementation environnementale ? 

Dans le prolongement des réformes précédentes relatives au droit pénal de l’environnement, un projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, adopté en première lecture le 3 mars 2020, prévoit notamment d’étoffer les instruments répressifs à disposition des juridictions, avec la transposition en droit de l’environnement du mécanisme de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), sur le modèle de celui prévu par la loi Sapin 2 en matière de corruption et de trafic d’influence.

Partant du constat que les infractions environnementales représentent une part très marginale du contentieux pénal, l’objectif est d’apporter un meilleur taux de réponse, compte tenu des enjeux de protection de l’environnement.

Cela s’appuiera en outre sur une nouvelle organisation juridictionnelle (enquête, poursuite, instruction et jugement) pour les affaires complexes en matière de délits prévus par le Code de l’environnement, afin de spécialiser certaines juridictions sur la question des atteintes à l’environnement.

Sous réserve de la publication de la loi, le nouvel article 41-1-3 du Code de procédure pénal permettra donc aux Parquets, de manière alternative aux poursuites pénales (c’est-à-dire tant que l’action publique n’aura pas été mise en mouvement), de proposer à personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits prévus par le Code de l’environnement ainsi que pour des infractions connexes, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public.

Seules les entreprises pourront en bénéficier, pas les personnes physiques et notamment les dirigeants ou leurs délégataires de pouvoirs. Sans doute cela va-t-il favoriser plus de mises en cause de responsabilité pénale pour les personnes morales.

A noter que seront également exclus du champ d’application les crimes et délits contre les personnes prévus au livre II du Code pénal.

Les Procureurs de la République disposeront donc d’une palette d’aiguillage plus vaste à leur initiative, à côté des mesures de poursuites classiques (précisons que l’autorité administrative dispose également d’un pouvoir de proposer une transaction pénale tant que l’action publique n’est pas mise en mouvement, qui s’étend aux personnes physiques – cf. C. Env., L173-12).

Des garanties de procédure seront prévues afin de permettre le respect du contradictoire et de la défense, et un équilibre du rapport de forces, sommes toute assez relatif.

Dans ce cadre, la convention, soumise à validation du Président du Tribunal judiciaire compétent, pourra prévoir tout ou partie des mesures suivantes :

  • Versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public, qui devra être proportionnée, le cas échéant au regard des avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les 3 derniers exercices
  • Obligation de faire (programme de mise en conformité d’une durée maximale de 3 ans, sous le contrôle des services de la DREAL) ;
  • Réparation du préjudice écologique résultant des infractions commises dans un délai maximal de 3 ans et sous le contrôle des mêmes services (les frais étant mis à la charge de la personne morale) ;
  • Réparation des dommages causés par l’infraction dans un délai maximum d’un an lorsque la victime est identifiée et n’a pas déjà vu son préjudice réparé.

De son côté l’entreprise devra arbitrer l’opportunité de donner une suite favorable à la position au regard notamment des avantages/ inconvénients en termes de risque réputationnel et financier.

Son Avocat aura ici un rôle d’accompagnement essentiel en termes de conseil et d’expertise.

Sur le papier, la CJIP peut paraître séduisante (cf. non-inscription au casier judiciaire des personnes morales, extinction de l’action publique après exécution des mesures, pas de peines complémentaires, etc.).

Toutefois, une publicité serait organisée autour de la CJIP lorsqu’elle est validée (cf. sites internet des ministères de la justice et de l’environnement, ainsi que localement sur le site de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise).

Sur le plan financier, le montant de l’amende d’intérêt publique peut également être supérieur aux plafonds applicables aux peines d’amende correctionnelles …

Les logiques sont toutefois différentes et ouvrent donc une marge d’appréciation sur la stratégie (choix de la transaction ou de la défense), sachant que l’issue d’un procès pénal ne peut bien sûr jamais être garantie.

Certains critiquent cette évolution en considérant que cela reviendrait à pouvoir « acheter un droit à polluer », pour sa part, le Conseil d’Etat considère au contraire que cela permettra d’apporter une plus grande effectivité au droit de l’environnement.

Au-delà des polémiques, l’enjeu pour les entreprises et exploitants, est celui de la maîtrise des risques (qui ne se limite pas à viser la simple conformité réglementaire même si celle-ci est indispensable), et de l’assurance (sauf concernant la responsabilité pénale qui ne constitue pas de la matière assurable).

3) Enjeu de risques pour la santé-sécurité et l’environnement dans les installations : même combat !

D’expérience, si les mécanismes de responsabilité pénale sont différents, il existe une forte porosité entre la prévention des risques en matière de santé-sécurité au travail et la prévention des risques d’atteinte à l’environnement liées aux installations industrielles.

Le premier amenant souvent le second, il est surprenant que les pouvoirs publics ne cherchent pas à mieux développer l’articulation entre les problématiques de travail et d’environnement, alors que les salariés sont les premiers acteurs de la sécurité.

Force est de constater que le corpus de règles inscrites dans le Code du travail et intéressant l’environnement (et réciproquement) est plutôt limité, et se résume à quelques règles éparses sans véritable logique d’ensemble ou de coordination. Or, il nous semble que pour être efficace, la dynamique de transition verte dans les entreprises ne pourra faire l’économie d’un « verdissement » du Code du travail, car les chartes de bonnes pratiques ne peuvent suffir. Avec un peu d’imagination, de très nombreux pans du droit du travail sont concernés : prévention des risques, organisation du travail, formation, institutions représentatives du personnel, rôle de l’encadrement, etc. Dit autrement, l’enjeu sera de définir comment le droit du travail pourra être utilement mobilisé au service de la transition écologique de l’économie. 

A côté de cela, certains dispositifs ont le mérite d’exister, mais force est de constater que leur mise en œuvre reste assez théorique. Tel est le cas du droit d’alerte du travailleur ou d’un membre du CSE lorsque les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l'établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l'environnement (cf. C. Trav., L4133-1 s.), très peu utilisé contrairement à son frère jumeau, le droit d’alerte et de retrait en cas de danger grave et imminent pour la vie ou la santé du travailleur.

Ira-t-on vers la mise en place d’un dispositif d’alerte et de contrôle plus contraignant pour les entreprises, inspiré de la loi SAPIN 2 en matière de corruption et de trafic d’influence ? (cf. précédente chronique)

Pour l’heure, le sujet n’est pas sur la table, mais une convergence des dispositifs se dessine tout de même comme cela a été évoqué avec le projet d’extension du domaine de la CJIP à certaines infractions environnementales.

Notons d’ailleurs que la Convention citoyenne pour le climat a proposé d’inclure un devoir de vigilance dans la loi qui serait sanctionné en cas d’absence de mesures adéquates et raisonnables relatives à l’identification et la prévention de la destruction grave d’un écosystème ou du dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires. Ce devoir de s’appliquerait non seulement aux sociétés-mères et entreprises donneuses d’ordre, mais également aux entreprises locales ou nationales pouvant avoir un impact en termes de limites planétaires.

Bref, beaucoup d’évolutions en perspective que nous suivrons avec intérêt.