L’employeur est-il forcément responsable en cas de violences entre collègues ?

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24/05/2017 - Sébastien MILLET

Il n’est pas rare que des tensions sur le lieu de travail conduisent à des actes violents entre collègues, pouvant aller jusqu’aux agressions physiques et coups et blessures.


En soi, la survenance de faits violents dans l’entreprise est nécessairement grave, quelle qu’en soit les raisons.

Pendant longtemps, le simple fait qu’un tel évènement puisse survenir était considéré comme un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, celle-ci étant analysée comme une obligation de résultat, et le résultat attendu (la préservation de l’intégrité physique et mentale) n’étant pas atteint.

Ainsi, la jurisprudence considérait que l’employeur était automatiquement fautif lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou morales, exercées par l'un ou l'autre de ses salariés, « quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements » (Cass. Soc. 23 janvier 2013, n° 11-18855).

Cette solution était particulièrement radicale. En cas de licenciement ou de prise d’acte de la rupture du contrat de travail, le salarié victime pouvait ainsi espérer obtenir à coup sûr, devant le Conseil de prud’hommes, l’indemnisation de sa perte d’emploi, sans que les juges n’aient à entrer dans des considérations relatives au degré de gravité de l’altercation.

Bien sûr, l’employeur s’est toujours vu reconnaître la possibilité de sanctionner sur le plan disciplinaire l’auteur des faits, mais le fait de prendre a posteriori des mesures de sanction ou d’éloignement, visant par exemple à mettre fin à des actes de harcèlement moral, n’était pas considéré comme exonératoire de responsabilité pour l’employeur, du point de vue de son obligation de sécurité.

Après ce paroxysme, les choses ont nettement changé, avec un virage amorcé en 2015 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (en charge des affaires relatives aux litiges du travail), avec le célèbre arrêt « Air France » (Cass. Soc. 25 novembre 2015, n° 14-24444 - actu-chronique-contentieux-harcelement-moral-regle-jeu.php ).  

Depuis, le leitmotiv est le suivant : « Vu les articles L1152-1, L4121-1 et L4121-2 du code du travail ; Attendu que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser » (Cass. Soc. 5 octobre 2016, n° 15-20140 ; voir également Cass. Soc. 22 septembre 2016, n° 15-14005).

En cas de contentieux, la défense est améliorée pour l’employeur, qui retrouve ainsi de manière salutaire des moyens d’échapper à sa responsabilité, à condition de prouver non seulement qu’il est intervenu de manière adaptée pour faire cesser la situation (actions de prévention dite secondaire), mais aussi et surtout, qu’il a effectivement pris toutes les mesures au titre de l’obligation générale de sécurité et des principes généraux de prévention (actions de prévention dite primaire).

La jurisprudence apporte sur ce point la précision suivante : « il résulte des articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail que les actions que l'employeur doit mettre en oeuvre pour protéger la santé physique et mentale des salariés concernent la prévention des risques professionnels et l'évaluation de ceux qui ne peuvent être évités » (Cass. Soc. 1er février 2017, n° 15-24166).

Cette dernière affaire est en outre intéressante, puisque les juges ont refusé au salarié ayant déclenché l’altercation et commis des violences physiques sur un collègue de pouvoir faire valoir une « circonstance atténuante » tirée d’un prétendu manquement de l’employeur à son obligation de sécurité au motif qu’il n’aurait pas agi pour prévenir une situation qu’il assimilait à du harcèlement moral.

Dans leur appréciation souveraine, les juges du fond ont pu valablement estimer que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité, alors : 

  • D’une part, que les faits invoqués par le salarié avaient pour seule cause son propre comportement et étaient caractérisés par une violence commise à l'encontre d'un collègue ;

  • D’autre part, que l’employeur ne pouvait anticiper un tel risque et qu’il était personnellement intervenu pour faire cesser l’altercation.

L’auteur de l’altercation, déclaré inapte et licencié à la suite de ces évènements qualifiés d’accident du travail, est donc débouté de sa demande d’indemnisation fondée sur le fait que son inaptitude physique aurait été causée par un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. 

En l’espèce, il s’agissait d’un licenciement pour inaptitude, mais bien souvent, c’est un licenciement pour faute –et souvent pour faute grave- que conteste l’auteur des faits.

Il faut rappeler qu’une agression constitue un manquement du salarié à l’obligation de veiller à la sécurité (en référence à l’article L4122-1 du Code du travail), qui s’analyse en une faute professionnelle passible d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. 

La jurisprudence a pu estimer qu’il importe peu que l’auteur des faits invoque que son comportement trouverait sa cause dans un climat relationnel dégradé imputable à l’employeur (par exemple, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement le fait pour un salarié, à l’occasion d’une altercation, de menacer l’un de ses collègues avec un cutter ouvert – cf. Cass. Soc. 30 octobre 2013, n° 12-20190). Cela reste néanmoins une affaire d’appréciation au cas par cas selon les circonstances et les fonctions du salarié (cadre ; chargé de la sécurité ; etc.).

Le pouvoir disciplinaire de l’employeur est donc conforté ; plus généralement, la tendance est à la sévérité à l’égard du salarié dès lors que son comportement traduit une mise en danger de la santé physique et/ou mentale des personnes (ainsi jugé récemment à propos d’une DRH ayant cautionné et laissé perdurer des méthodes managériales inacceptables du directeur du magasin avec lequel elle travaillait en très étroite collaboration, alors qu’elle avait une mission particulière en matière de management – cf. Cass. Soc. 8 mars 2017, n° 15-24406 ; voir également actu-chronique-prohibition-alcool-seveso-pompiers-sanctionnes.php ).

Même si l’obligation de sécurité patronale prime juridiquement sur celle du salarié (cf. Cass. Soc. 10 février 2016, n° 14-24350), c’est une question de cohérence dans la politique judiciaire, et on ne peut pas raisonnablement imposer à l’employeur une obligation de sécurité quasi absolue sans faire également preuve de sévérité à l’égard du salarié fautif.

Ces évolutions ne peuvent que conduire à une plus grande responsabilisation des salariés, ce qui est une bonne chose dans la mesure où chacun est acteur de la sécurité dans l’entreprise.