À l’heure actuelle, que savons-nous des liens entre les
risques cardiovasculaires et un travail intense ou prolongé ?
Comment définir le « travail prolongé » sur lequel vous vous
penchez ?
L'OMS et l'OIT se sont penché un petit peu sur ces questions il y
a quelques années, notamment pour essayer de hiérarchiser les
risques modifiables et identifier les priorités de prévention en
santé publique. Avec plusieurs chercheurs, il nous a été demandé
de réaliser une revue systématique pour essayer de déterminer
l’état de la science sur le lien entre le travail prolongé et les
risques cardiovasculaires, en consultant la littérature
scientifique. Nous nous intéressons aux « mauvaises conditions de
travail », mais encore faut-il définir cela. C’est pourquoi nous
nous sommes appuyés sur la notion de travail prolongé, qui
bénéficie déjà d’une règlementation à plusieurs échelles.
Pour faire simple, le travail prolongé, c’est travailler plus de
55h par semaine. Nous observons déjà des effets sur la santé à
partir de 50h par semaine. Un autre moyen de le définir, c’est «
travailler plus de 10h par jour pendant au moins 50 jours durant
une année ». Derrière cette notion, plein de choses se cachent et
nous sommes justement en train de les étudier, mais plusieurs
collègues ont montré que le travail prolongé tel que je viens de
le définir était associé à des pathologies cardiovasculaires de
deux types :
- Des AVC
- Ce qu’on peut résumer par des infarctus du myocarde
Nous pouvons retrouver un effet modeste, mais assez significatif pour un travail de plus de 55h. Néanmoins, d’après l’analyse des données françaises, ce risque n’est réellement important que si l’exposition est prolongée pendant au moins 10 ans.
Existe-t-il déjà des pistes de réflexion concernant la
prévention ?
Nous avons des pistes, mais nous devons désormais essayer de les
mettre en œuvre pour voir si cette prévention serait réellement
efficace. Néanmoins, savoir que l’excès de risque n’est pas du
tout significatif avant 10 ans d’exposition est important, car
cela permet déjà d’agir. C’est une réflexion qui a notamment fait
son chemin parmi les professionnels de santé ; la durée de
travail des internes, c’est un vrai problème, pas seulement de
santé au travail, mais aussi de santé publique. Nous pouvons
tolérer des taux de travail plus importants sous réserve qu’il y
ait après une amélioration des conditions de travail et du temps
de travail.
Ensuite, il est important de comprendre ce qui explique
l’augmentation des risques. Nous voyons bien qu’il y a des effets
directs et des effets indirects. On observe notamment une
modification des comportements face au « mauvais travail » : des
troubles du sommeil, une mauvaise alimentation, une diminution de
l’activité physique, des consommations de tabac, voire de
stupéfiants… Et cela explique probablement une partie des AVC.
C’est pourquoi, en améliorant les conditions de travail, on
espère aussi pouvoir modifier des comportements à risques, qui
sont souvent considérés comme « personnels », alors qu’ils sont
en réalité liés aux conditions de travail.
En tant que chercheurs, nous essayons de mettre des chiffres sur
ces phénomènes, mais ce sont évidemment des problématiques bien
connues des professionnels de la santé au travail, et cela depuis
longtemps. Les nouvelles évolutions règlementaires et
législatives s’intéressent également à ces éléments, et devraient
faire évoluer certaines pratiques.
Vous êtes par ailleurs assez présent sur YouTube, dans un
cadre professionnel. Selon vous, cette plateforme est un bon
moyen de prévention ?
Je pense que c’est un très bon moyen complémentaire pour la
prévention. J’ai créé ma première chaine YouTube il y a quelques
années à destination des internes en médecine du travail, pour
présenter un « article du mois ». Et cela a plutôt bien
fonctionné.
Avec l’aide de collègues du service de communication, et du
département audiovisuel du CHU et de l'université d'Angers, nous
avons pu donner un nouveau souffle à ce projet, en essayant de
toucher plus largement les professionnels de santé au travail des
mondes francophones et anglophones. Nous avons énormément de
retours positifs ; cet outil nous permet de diffuser largement
l’information et de partager les pratiques. De très nombreux
collègues m’aident à créer, choisir et mettre en valeur des
sujets. C'est vraiment un travail collectif enrichissant.