Qu’est-ce qui vous a poussé à interroger en profondeur nos pratiques professionnelles ?

 

Dans ma vie j’ai connu des contextes très favorables et très défavorables à mon épanouissement et ma motivation personnels comme professionnels. Certains expériences professionnelles se sont très bien passées, quand d’autres me faisaient vomir avant d’aller au travail. J’ai, de fait, constaté et ressenti un écart entre les attentes des organisations et ce que j’étais capable d’apporter. Des structures faisaient preuve d’un réel manque d’empathie, quand je pouvais évoluer en toute confiance dans d’autres environnements. Or, j’ai réalisé aussi que des conditions de travail ingrates étaient souvent mises au profit de la « performance », dont le sens a été galvaudé. Résilience n’est pas persévérance, ni courage. La « per » formance c’est produire de la qualité avec des gens qui se réalisent dans le temps. En 2016, j’ai décidé de tout arrêter pour me consacrer à des travaux de recherches multidisciplinaires. Pendant sept ans, j’ai fait des recherches pour comprendre comment les organisations fonctionnaient de nos jours, quelles étaient leurs pratiques internes et leurs concepts idéologiques. J’ai constaté qu’il y avait un écart immense entre les pratiques actuelles et les besoins fondamentaux des individus, comme ce que j’avais connu. Or, en fonction du contexte, il apparaît que la motivation d’un collaborateur peut changer du tout au tout. Cela  a un impact sur sa santé, son engagement, sa stabilité mentale et son épanouissement.

 

 

Au terme de ces recherches approfondies, quel est l’enjeu principal de ce monde du travail sous tension ? 

 

Le sujet central du livre, c’est la motivation. Les scientifiques se sont aperçus que les gens qui déploient une motivation autonome ont plus de bien être psychologique, sont plus créatifs, sont moins absents, ont un meilleur équilibre de vie et sont beaucoup plus fidèles à l’organisation. De nombreuses études ont montré que lorsqu’une entreprise était capable de mettre en place un contexte qui favorisait cette motivation autonome, la société connaissait : 21% de bénéfices en plus, 17 % de productivité en plus, 25 % de rétention d’employés en plus et même 10 % de satisfaction client supplémentaire.

 

 

Selon vous, qu’est-ce qui explique le fameux désengagement ? Pourquoi un tel changement du rapport au travail de nos jours ?

 

Nous sommes dans un système qui n’a pas évolué depuis la fin de la Révolution industrielle où, au travail, l’homme n’était pas là pour se réaliser. Les tâches étaient répétitives et inintéressantes simplement pour augmenter la capacité de production. Et justement, nous n’avons pas changé nos pratiques organisationnelles qui consistent à standardiser et encadrer le travail des individus en punissant ceux qui ne font pas ce qu’il faut. Nous sommes toujours aux « Temps modernes » (film de Charlie Chaplin, ndlr). Alors que les travailleurs évoluent dans ce prisme utilitariste, sans l’espoir de mieux vivre, il faudrait qu’il se réalise. Ce paradoxe a donc engendré une génération perdue du travail, la notre, qui y a cru et où les burnout ont explosé ; puis de nouvelles qui s’interrogent. Dans les années 1950’, il fallait 15 ans pour doubler son niveau de vie, aujourd’hui c’est 80 ans. La promesse n’est donc pas tenue. Beaucoup ont compris l’impasse et se désengagent progressivement du travail pour ne pas exploser. Les pratiques organisationnelles génèrent de la souffrance et les éléments de motivation externes ne marchent plus. Évidemment, cela nuit aux travailleurs et aux entreprises elles-mêmes. L’enjeu est donc de questionner les pratiques organisationnelles pour susciter à nouveau de la motivation, du réengagement de la part des collaborateurs.

 

 

Dans votre livre, vous offrez des pistes de solutions pour changer ce paradigme mortifère.

 

L’ambition du livre c’est de re-féconder les organisations et de ressourcer les individus. Ce fonctionnement, fait d’injonctions contradictoires horribles pour les individus, est à bout de souffle. Je développe en détails une approche que j’ai baptisé « CRAFT ». Premièrement, les managers doivent de nouveau donner Confiance aux salariés leur apporte de la reconnaissance et satisfaire leur besoin de compétences. Tout cela peut se faire par du feedback, un système de mentorat ou des formations régulières. Ensuite, la Relation doit être profondément travaillée. Les collaborateurs ont besoin de se sentir appartenir à un groupe et de se sentir appréciés. Puis vient l’enjeu de l’Autonomie, que les salariés se sentent à l’origine de leur action et de leurs tâches. Tout cela avec pour transmettre une Finalité dans laquelle doivent s’inscrire les travailleurs pour les rassurer sur le temps long. Aujourd’hui, les mangers doivent créer un cadre de sécurité psychologique, convaincre leurs équipes que le système est juste entre salariés mais aussi entre les salariés et les dirigeants. La confiance et l’engagement ne sont pas un requis, ce sont des résultats. Enfin, il faut impérativement éviter de créer de la souffrance en n’évaluant pas précisément le Talent et donc les capacités de ses collaborateurs. Les DRH et cadres devront être formés pour mieux évaluer objectivement les capacités des individus et donc pour pouvoir mieux les utiliser. Cette approche a pour but de créer une motivation autonome et qualitative, pour engendrer bonheur eudémonique et un sentiment de progression qui favorise l’épanouissement.

 

 

Vous considérez-vous optimiste concernant l’avenir du monde professionnel ?

 

Repenser nos cadres organisationnels et nos pratiques professionnelles sont nécessaires, certes, mais deviennent surtout possibles. Les jeunes refusent de plus en plus les pratiques traditionnelles. Des gens se désengagent quand des pratiques alternatives apparaissent. La philosophie hégémonique néolibérale utilitariste qui génère beaucoup de souffrances trouve de moins en moins d’adeptes. Cela va ouvrir un entre vers autre chose, je l’espère plus solidaire. 

 

 

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