En quoi la crise que nous traversons peut-elle fragiliser
les personnes addictives ?
DD - Nous ne sommes pas égaux face à la situation créée par le
confinement… L’inégalité physique et psychique face aux
situations de confinement varie en fonction de facteurs
multiples. Si nous travaillons à l’extérieur, la prise de
produits psychoactifs peut se révéler une réponse "auto
prescrite" aux contraintes ressenties lors de l’activité
professionnelle… Les personnes qui ont déjà expérimenté ces «
solutions » et/ou qui en sont devenues dépendantes vont «
naturellement » généralement augmenter les consommations. Si nous
ne sortons pas travailler, les éventuels ressentis et vécus « je
me sens mal » peuvent favoriser les démarches de recherche d’une
diminution de ce « mal être »… En fonction de nos histoires
personnelles et de nos environnements, le recours aux produits
psychoactifs peut être une manière de trouver un équilibre... Il
n’est pas certain, ni évident de « tester » dans cette situation
confinée de nouvelles ressources internes et externes à la
consommation de psychoactifs ... Saluons les très nombreuses
propositions diffusées par les médias et les réseaux sociaux
favorisant une expérimentation et une pratique de ces ressources
existantes : activités sportives au domicile, relaxation... ,
sans oublier les propositions de groupes d’écoute et de paroles
qui se sont développées dans les médias Tv, audio et web… En
conclusion les diverses situations inégalitaires créées par le
confinement rencontrent nos histoires de vies, dans lesquelles
nos solutions pour trouver ou retrouver nos équilibres physiques
et psychiques, nous confrontent aux choix de solutions qui
associeront plus ou moins les consommations psychoactives.
CD - Inévitablement, la crise actuelle comme toutes les périodes
de turbulence vient mettre à mal nos fragilités individuelles
dont la vulnérabilité addictive. Le risque de décompensation des
pathologies s’accroit d’autant que l’offre de soin et
d’accompagnement, confinement oblige, s’est réduite comme peau de
chagrin.
Le télétravail est-il un facteur favorisant la prise de
substances addictives ?
CD - Si l’on en croit une enquête(1) récente indiquant qu’environ
1/3 des Américains en télétravail à leur domicile du fait de la
pandémie actuelle, consomment de l’alcool pendant leur temps de
travail alors qu’ils ne le font pas sur leur lieu de travail
habituel : la réponse est OUI.
Il faut dire que le télétravail du moment ressemblerait plutôt à
un aménagement de poste rendu nécessaire pour garantir la
protection des salariés tout en essayant d’assurer la continuité
de l’activité de l’entreprise. De principe, le télétravail comme
tout contexte professionnel est soumis à des obligations
règlementaires. Il doit s’organiser et être encadré. Il s’adresse
à des salariés volontaires, impliqués et formés, dont le poste se
prête à l’exercice. De surcroit, une certaine compétence à
travailler isolé paraît nécessaire. La réalité ne s’y prête pas
vraiment. Les facteurs professionnels relatifs à l’activité de
télétravail à domicile susceptibles de favoriser les conduites
addictives (consommation de substances psychoactives (SPA), jeux
en ligne…) sont bien connus : isolement social et professionnel,
gestion du temps (plusieurs études ont montré que les salariés en
télétravail allongent leur temps de travail) et difficulté à
scinder vie personnelle et professionnelle. Démotivation en lien
avec la monotonie, disponibilité des SPA, accessibilité des jeux
ou achats en ligne sont également décrits.
De surcroit, la distance physique ne facilite pas le repérage des
problématiques addictives. Le télétravail actuel peu anticipé n’a
souvent pas bénéficié de l’évaluation des risques évoqués et de
l’organisation à mettre en place afin de les prévenir. Certains
salariés n’ont même pas d’espace de travail indépendant. Tous ces
éléments contribuent à majorer le risque de développement des
pratiques addictives. Les enquêtes en cours devraient nous
apporter un éclairage supplémentaire.
Comment les managers peuvent-ils gérer ces situations
?
D.D - C'est une bonne question ! Il y aurait lieu de revenir à
mon avis à la question préalable de la prise en compte des
risques pour la santé mentale en lien avec le télétravail.
(Combien d'entreprises ont elles évalué ce risque en période de
confinement...présence des enfants, ou solitude...). Cette
analyse des risques est de la responsabilité de l'employeur. Le
service de santé au travail peut accompagner les CODIR et
l'entreprise dans cette analyse ; en particulier en conseillant
sur la méthode et sa mise en œuvre. Pour ma part, je reste
attaché à la méthodologie proposée par nos amis belges SOBANE qui
montre l'intérêt d'associer les salariés à cette analyse,
http://www.sobane.be/fr/home.aspx. C'est également
ce qui inspire l'approche pratique de notre Plateau Ressources en
Prévention des Pratiques Addictives à LILLE METROPOLE.
CD - Selon la ministre du travail, il y a aujourd’hui 5 millions
de Français en télétravail, encouragés à continuer dans le
contexte de déconfinement progressif. De ce fait, les partenaires
sociaux sont appelés à négocier avec l’employeur un encadrement
de ce mode de travail, une sorte « de mode d’emploi du
télétravail » qui incluerait le droit à la déconnexion afin de
prévenir les risques. Rappelons que la mise en place du
télétravail et les mesures de prévention et de protection qui
l’accompagnent depuis le 16 mars, doivent figurer dans le
document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER).
Devraient donc y être inscrits le risque lié aux pratiques
addictives ainsi que les facteurs de risque professionnels
susceptibles de les favoriser. Pour guider les managers dans
cette démarche qui se veut pragmatique, un certain nombre
d’outils existent dont le portail https://www.addictaide.fr/pro/.
(1) Lawrence Weinstein - America Addictions Centers (AAC)