Estimez-vous préférable de juger les djihadistes français
en Irak plutôt que d’organiser leur retour ?
Le droit international autorise chaque Etat à juger les auteurs
de crimes commis sur son territoire. L’Irak est un Etat souverain
dont la justice se montre sévère envers les djihadistes qui sont
régulièrement condamnés à perpétuité, ce qui correspond en
réalité à vingt années d’emprisonnement. Depuis 2018, la position
de la France consiste à favoriser le traitement judiciaire local
des djihadistes français.
Comment faire, a fortiori, s’ils n’ont pas commis de
crimes ou de délits en Irak ?
Il s’agit de l’enjeu majeur, d’autant qu’en annonçant son
intention de retirer les troupes américaines, Trump a fragilisé
la situation dans le nord de la Syrie. Il n’y a que deux
solutions. Soit on organise le transfert des détenus en France,
soit on négocie avec l’Irak un moyen de rattacher leur situation
à la compétence de son système judiciaire (par exemple au motif
de leur adhésion à un groupe terroriste actif indistinctement des
deux côtés de la frontière syro-irakienne). La visite récente du
président irakien à Paris a peut-être été l’occasion de
discussions en ce sens.
Que répondre aux djihadistes qui réclament d’être jugés
en France comme citoyens français ? Et pour les femmes et
les enfants ?
Il est toujours savoureux de se prévaloir d’un Etat que l’on veut
par ailleurs détruire. Pour moi, la sécurité des Français doit
être la motivation primordiale. Il est démontré que l’engagement
des femmes dans le djihad est largement équivalent à celui des
hommes. Quant aux enfants, il ne faut pas être naïf. Le potentiel
de dangerosité des préadolescents est considérable. Dès l’âge de
8 ans, certains ont été contraints à prendre part à des
entraînements. Ils ont été fanatisés par une propagande
incessante. Leur retour devrait être entouré de la prudence la
plus stricte. Et l’éloignement des mères toujours radicalisées me
parait nécessaire.
La justice française n’a -t’elle pas les moyens de
répondre à ces exigences ?
C’est LA question. Contrairement à ce que beaucoup pensent, notre
justice éprouve des difficultés à démontrer l’engagement effectif
des djihadistes sur le terrain. La France dispose de
renseignements, mais beaucoup sont inexploitables judiciairement.
Avec le retour des djihadistes, il faut s’attendre à juger une
armée de cuisiniers et d’agriculteurs autoproclamés : tous
nieront leur engagement effectif dans la guerre, comme le leur
ont appris notamment des tutoriels du groupe Etat Islamique.
Comment faire alors pour que des individus dangereux n’échappent
pas à. de lourdes peines ? Quelques-uns d’entre eux
apparaissent sur des vidéos de propagande, mais ils sont loin de
représenter la majorité. Je rappelle que la moyenne des peines
prononcées en 2018 par notre justice antiterroriste n’est que de
sept ans et demi.
Dans des prisons en France, ne pourraient-ils pas être
plus facilement surveillés ?
Malgré un retard considérable dû au dogmatisme de Christiane
Taubira (ministre de la justice de 2012 à 2016), un bureau
central de renseignement pénitentiaire a enfin été créé en avril
2017. Mais la situation est déjà très tendue, les détenus
islamistes radicalisés étant de plus en plus nombreux et
violents. Une surveillance permanente de toutes les personnes à
risque n’est pas possible. Imaginez le prestige des combattants
revenus de Syrie aux yeux des autres prisonniers ! De
nombreux condamnés pour des faits de terrorisme islamiste sont
appelés à sortir de prison dans les prochains mois. Or le taux de
déradicalisation effectif est proche de zéro.
Votre tableau n’est-il pas trop noir, alors que la
défaite de l’EI est acquise ?
On s’oriente vers une troisième phase du terrorisme islamiste.
Nous avons d’abord subi les attaques de commandos projetés de
l’extérieur, comme en novembre 2015 à Paris. Puis avec les revers
militaires de l’EI, des individus vivant en France ont pris le
relais avec des méthodes rustiques, mais hélas efficaces en écho
aux incitations de la propagande islamiste. Or, ce terrorisme
endogène est en train de se structurer et sera sans doute bientôt
capable de monter des attaques complexes. Les renseignements
l’ont constaté : les islamistes ont beaucoup progressé tant
en sécurisation de leurs communications qu’en
contre-surveillance. C’est inquiétant et le grand public n’en a
pas conscience.
Propos recueillis par Pascal Céaux, pour Le Journal du
Dimanche
