Dans quel contexte est né ce projet d’étude sur les conduites
addictives ?
C’est une question que nous avions déjà envie de traiter avant le
confinement pour comprendre quels étaient les liens entre
conditions de travail, organisation du travail et consommation de
substances psychoactives (tabac, cigarette électronique, alcool,
cannabis, médicaments psychotropes).
La période particulière que nous avons vécue depuis le mois de
mars nous a permis d’enrichir notre sujet d’étude à la lumière
d’un contexte ayant tout a priori pour favoriser une évolution de
la consommation.
Notre étude s’est portée exclusivement sur des actifs, qui ont
pratiqué aussi bien le travail sur site que le télétravail. Le
questionnaire a été réalisé en ligne et avait pour but de
comprendre comment ils avaient vécu cette période et en quoi elle
avait influé sur leur consommation.
Quels sont les principaux enseignements que vous avez pu
en tirer ?
Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, les travailleurs
interrogés ont globalement plutôt bien vécu la situation, que ce
soit en télétravail ou sur site.
Ce qui a été plus compliqué à gérer pour beaucoup, ce sont les
conséquences du confinement sur leurs conditions de travail. Le
sentiment d’isolement a été fortement ressenti, et
particulièrement pour les cadres. En effet, dans une situation où
assez peu d’entreprises savaient comment gérer le bouleversement
auquel elles étaient confrontées, les objectifs de performance
n’ont majoritairement pas été revus à la baisse, voire
augmentés.
Les managers ont basculé du jour au lendemain dans une situation
de management à distance sans y avoir été préparés ni formés.
Dans ce contexte, beaucoup de télétravailleurs ont dû faire face
à une charge de travail plus importante, des horaires à rallonge,
une surconnexion sans parler des logements pas toujours adaptés,
de la gestion des enfants, etc… Le niveau de stress ressenti a
augmenté, en lien avec la charge de travail et la pression sur la
performance.
Les consommations de substances psychoactives ont donc
augmenté ?
Le résultat est plus nuancé. Effectivement, en raison de ces
conditions de travail dégradées, les répondants ont déclaré une
augmentation de leur consommation, principalement de tabac et de
médicaments psychotropes. Parallèlement il y a aussi eu une
baisse liée à la vie privée, certains répondants ayant profité de
cette période pour se « reprendre en main », se remettre au sport
ou tout simplement agir pour leur santé. La consommation d’alcool
et de cannabis est ainsi plutôt en baisse. Pour l’alcool
spécifiquement, le niveau de consommation est en baisse mais la
fréquence de consommation est en hausse.
Comment vont être exploités les résultats de cette étude
?
Cette étude constitue une mine de données que nous allons
retraiter afin de mettre à disposition des employeurs, des
partenaires sociaux et des pouvoirs publics des résultats
permettant d’alimenter à la fois les actions de prévention
en entreprise et les politiques de santé publique et de santé au
travail.
A l’heure où nous sommes à nouveau en confinement avec un
télétravail en voie de généralisation, il est important pour les
organisations de comprendre qu’elles doivent soutenir et outiller
les managers pour les aider à adapter la charge de travail et les
objectifs aux conditions de réalisation de l'activité ainsi
qu'aux situations particulières.
Les questions de stress et du sentiment d'isolement dans une
période anxiogène doivent aussi faire l'objet d'une attention
particulière de l'ensemble des acteurs concernés (directions,
manageurs, Rh, préventeurs, IRP) avec l'appui des services de
santé.