De quel constat êtes-vous partie en vous engageant auprès
de Cancer@Work ?
1000 personnes chaque jour en France apprennent qu'elles ont un
cancer. Parmi elles, 400 travaillent. De plus, entre deux et
trois personnes sur cinq perdent leur emploi dans les deux ans
qui suivent le diagnostic d'un cancer. Mais le travail, c’est un
droit constitutionnel, qui participe directement à la qualité de
vie. Cancer@Work, c’est une association reconnue d’intérêt
général, mais également un club d’entreprises qui s’engagent, par
la signature d’une charte, à mener des actions en faveur de
l'intégration de la maladie au travail. L’originalité de cette
charte, c’est qu’elle n’est ni rigide, ni un outil clé en main ;
il s’agit de guidelines permettant à chaque entreprise de créer
son propre outil de management de la fragilité.
Quels sont les avantages pour les employeurs à mieux
intégrer les salariés en situation de fragilité ?
À mon sens, il y a un vrai enjeu socio-économique, car les
progrès de la science sont tels que les taux de survie au cancer
sont de plus en plus élevés, et heureusement. En France, nous
dépensons beaucoup d’argent pour soigner et sauver les gens. Il
est donc normal de bien les réinsérer dans la vie active ensuite,
si c’est possible. C’est un vrai combat que de faire entendre que
ces publics peuvent créer de la valeur ajoutée alors que les
entreprises ont pour habitude de baisser les bras et de
s’orienter vers l’inaptitude. Mais financièrement, la maladie
grave n’est pas celle qui impacte le plus l’entreprise. Elle ne
représente que 1% de nos arrêts maladie. Et pourtant la France
est dans le top 5 des pays européens qui posent le plus de jours
d’arrêts de travail. Et cela tient à ce que j’appelle la «
bobologie » ; le fait de multiplier les arrêts pour les choses de
la vie courante. La surprise que j’ai eue, en poursuivant un
politique d’entreprise très forte et engagée aux côtés de
Cancer@Work, c’est de constater que cette « bobologie » a
justement diminué chez nous. Les salariés bien portants
bénéficient eux aussi de cette politique sociétale bienveillante.
Et nous avons constaté une baisse considérable du nombre d’arrêts
de travail chaque année depuis que nous sommes inscrits dans une
démarche de création de valeur humaine avec la fragilité. Mais à
mon avis, cela ne fonctionne que si la démarche est à la fois
sincère et réellement mise en place. Ce sont des politiques qui
marchent par l’exemplarité. Il y a encore 80% des entreprises qui
fonctionnent avec des notions de performances financières
strictes. Mais on voit apparaître des notions de performances
sociétales. Elles sont encore insuffisamment valorisées par les
politiques fiscales, mais je pense que les choses bougent. La
bienveillance est une clé de réussite pour l’entreprise, et une
clé de création de valeur ajoutée. C’est peut-être là l’enjeu des
décennies à venir pour les chefs d’entreprise.
Au sein de votre atelier Ozalys, vous avez mis en place
une chaîne de production sans cadence. En quoi consiste-t-elle
?
C’est une bulle en plein milieu de l’atelier, qu’on a appelé «
l’atelier-école », où les salariés en situation de fragilité vont
pouvoir travailler durant la maladie si c’est possible. Et
effectivement, il n'y a pas de machine qui impose la cadence au
salarié. C’est le salarié qui impose la cadence à la machine.
L’atelier s’est vraiment adapté. À titre d’exemple, les secteurs
agroalimentaires, pharmaceutiques et cosmétiques interdisent
d’avoir une bouteille d’eau à son poste de travail dans les
usines, pour des raisons de risques de contamination. Mais dans
le cadre de certains traitements médicaux, ou après ces
traitements, ne pas pouvoir boire peut-être une vraie torture.
Donc nous avons imaginé des dispositifs spécifiques pour pouvoir
se désaltérer.
Cet atelier-école, il intéresse parce que l’on comprend très bien
le mi-temps thérapeutique et le télétravail pour des postes
sédentaires, de services ou intellectuels. Mais dès que l'on
arrive sur des postes physiques, classiquement des postes qui ne
peuvent pas télétravailler, les entreprises ont beaucoup de mal à
imaginer des dispositifs. Et l'atelier-école est l'exemple même
que l'innovation en matière de gestion des ressources humaines
peut conduire à de la profitabilité.
